«Une histoire de fou» : c’est le cas de le dire…

Le génocide arménien fait encore aujourd'hui couler beaucoup d'encre. Le réalisateur Robert Guédiguian a fait un grand film sur ce sujet toujours difficile à traiter.

Le génocide arménien fait partie des sujets historiques qui n'ont toujours pas trouvé de fin - ce film tente d'en montrer un autre aspect. Foto: Diaphana Distribution

(Par Nicolas Colle) – Pour la première fois dans son abondante production, Robert Guédiguian pose un regard sur les questions d’identité à travers ce film qui aidera peut-être à la reconnaissance du premier génocide du 20ème siècle, hélas trop longtemps oublié et nié. En exclusivité pour Eurojournalist(e), Robert Guédiguian témoigne de cette «histoire de fou».

Vous ne montrez pas le génocide arménien. Vous l’évoquez à travers le procès de cet arménien, Soghomon Thelirian qui a exécuté de sang froid Talaat Pacha, l’un des provocateurs et thuriféraires du massacre. Pourquoi ce choix de mise en scène ?

Robert Guédiguian : Selon moi, un génocide n’est pas quelque chose de filmable. Avec un livre, les mots peuvent assurer une certaine distance, mais les images, elles, sont faites pour plaire et on ne peut pas faire un spectacle supportable avec une telle barbarie. C’est le grand problème des films d’actions qui esthétisent la violence et la torture. Je pense que la seule manière de filmer la violence, c’est justement de ne pas la rendre regardable. Mais c’est tout un paradoxe car on fait des films pour qu’ils soient vus. Le seul qui a été capable de ça, c’est Pasolini avec «Salo ou les 120 journées de Sodome»… J’ai donc dû avoir recours à un artifice et ce procès permet de raconter le génocide tout en positionnant les questions du film : quid de la justice, de la vengeance, la reconnaissance ? En acquittant cet homme, les jurés ont fait le plus beau geste de reconnaissance du génocide arménien.

Vous montrez aussi que ce meurtre n’était pas un acte de vengeance isolé mais bien une action politique soigneusement préparée.

RG : En effet, je voulais montrer que tout était organisé… un peu à la façon des chasseurs de nazis après la seconde guerre mondiale. Les Arméniens ont donc créé l’opération «Némésis» (nom de la déesse grecque de la vengeance et de la justice) qui consistait à traquer les organisateurs du génocide à travers le monde et à les éliminer. En tout, ils en ont tué près d’une cinquantaine. Ils voulaient néanmoins limiter ces exécutions pour que leurs tueurs qui en étaient chargés n’aient pas d’accoutumance. C’est pourquoi les organisateurs de cette traque recrutaient des combattants qui étaient pour la plupart des survivants du génocide. Ces derniers tuaient deux fois puis étaient mis hors circuit afin qu’ils ne prennent ni plaisir ni habitude à assumer leur mission.

Je crois que c’est la première fois que vous abordez aussi frontalement le thème de l’identité ?

RG : Disons que depuis dix ans, je réfléchis beaucoup à cette question d’identité parce qu’il faut être honnête, on ne parle que de ça. Donc forcément, je m’interroge également sur la mienne. N’oubliez pas que je suis Français, Arménien, Allemand et Marseillais de surcroît. Donc je traite cette question car elle est d’actualité alors qu’elle ne l’était pas dans les années 80 quand j’ai commencé à faire du cinéma. Et puis, je voulais aider à la reconnaissance si difficile de ce génocide.

Vous montrez clairement qu’il y a un point de vue très différent sur ce génocide entre l’ancienne et la jeune génération arménienne ?

RG : Mes grands parents, mes oncles et mes tantes ont vécu le génocide. Donc en arrivant en France, ils étaient surtout préoccupés par leur installation et leur survie. Ce qui les a amené à beaucoup travailler afin d’intégrer leur famille. Mais la génération d’après a demandé des comptes. Ce n’était plus seulement des ouvriers et des commerçants, ils étaient médecins, avocats, cinéastes… Donc ils avaient les mots pour demander des comptes.

Je sais que c’est toute la question du film, mais je ne peux m’empêcher de vous demander quel regard vous portez sur cette lutte armée qui sacrifie aussi des innocents ?

RG : Il y a toujours deux courants de pensée dans la lutte armée. Certains pensent que cela fait partie du combat et que : «La fin justifie les moyens !». Tandis que d’autres pensent que : «Qui veut la fin veut des moyens adaptés !». C’est quelque chose que l’on retrouve dans toutes les luttes armées, que ce soit avec le FLN ou d’autres. C’est toute la contradiction de cette lutte qui dans ses excès et/ou ses accidents peut mettre en jeu des vies innocentes. Mais cette dernière a permis, par rapport au génocide arménien, de réveiller les consciences alors que la cause était oubliée. Le film montre à quel point tout cela est une histoire de fou… Une histoire qui rend fou les bourreaux, les victimes et leurs descendants.

Eh bien, voilà une mise au point politiquement nécessaire mais aussi un œuvre militante. Sans parti pris ? On vous croit.

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Une histoire de fou AFFICHE

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