Une histoire de noms

D’un jugement rendu par la CEDH, sur une affaire d’attribution du nom de famille à une jeune Espagnole, et de ses conséquences.

La CEDH à Strasbourg, ultime recours. Foto: Gzen92 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Alors qu’au Portugal, la mère a une place prépondérante dans la filiation en étant le premier des deux noms portés par un enfant, c’était jusqu’à la réforme de la loi sur l’état civil de 1999 l’inverse en Espagne, où celui père était alors d’office au premier plan. Mais dans un pays comme dans l’autre, les deux patronymes sont associés au prénom du nouveau-né. Du côté espagnol de la Péninsule Ibérique, un récent jugement de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), a encore rebattu les cartes.

Saisie pour discrimination dans l’affaire « León Madrid c. Espagne », les juges de la CEDH ont donné raison à Josefa León Madrid contre le Royaume d’Espagne. Séparée du père de sa fille avant sa naissance, elle contestait l’attribution automatique du patronyme de ce dernier en premier lieu, dans le nom de leur enfant. C’est ce que prévoit la loi espagnole en cas de désaccord des parents, et les possibilités d’y déroger sont particulièrement complexes.

Les magistrats de la CEDH ont estimés que l’Espagne violait les articles 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 (Interdiction de la discrimination) de la Convention Européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que le Protocole n°12 (Extension du champ de l’interdiction de la discrimination) de la dite convention. D’où la sanction infligée par la CEDH au Royaume d’Espagne, qui doit verser 10.000€ de dommages à la plaignante et 23.853,22€ de frais et dépens. Plus que les sommes, au demeurant non symboliques, c’est la portée du jugement qui est significative.

La première fille de Josefa León Madrid est née en 2005, et donc pouvait bénéficier de la réforme de la législation sur l’état civil de 1999, lui permettant de porter un patronyme ayant en première position le nom de sa mère. Mais il fallait pour cela que les deux parents soient d’accord et se présentent ensemble lors de l’enregistrement de la naissance de leur enfant à l’État Civil. Si ces conditions n’étaient pas réunies, le nom du père prévalait d’office, avec la possibilité pour l’enfant, une fois devenu majeur, de se prononcer pour un choix inverse dans un courrier adressé au juge chargé du Registre Civil.

La réforme de 2017 est encore allée plus loin vers l’égalité, car elle a imposé la nécessité de l’accord entre les deux parents pour la formation du patronyme de l’enfant. Accord formulé dans un document écrit. Donc il n’est depuis plus question d’attribution du nom du père par défaut. Mais si les parents n’arrivent pas à se mettre d’accord dans un délai de trois jour, c’est la personne en charge du Registre Civil, qui est selon les textes de loi, habilitée à trancher, dans l’intérêt supérieur du mineur.

Josefa León Madrid eut une liaison avec J.S.T.S.* entre 2004 et 2005. Alors qu’ils étaient séparés, elle se découvrit enceinte et lui annonça. Celui-ci l’enjoint d’avorter, ce à quoi elle se refusa, coupant tout lien avec J.S.T.S.*. Le 9 novembre 2005, elle donna naissance à leur fille C.V.* enregistrée au Registre Civil sous les deux noms de famille de sa mère. Accédant à la demande de J.S.T.S.*, elle lui permit de voir leur fille, mais mit fin à ces rencontres au motif qu’il se livrait à un harcèlement psychologique.

En 2006, J.S.T.S.* engagea une procédure de réclamation de paternité non matrimoniale. Josefa León Madrid s’y opposa, en sollicitant sa privation de l’autorité parentale, si la reconnaissance de paternité lui était accordée. Les prétentions du demandeur furent acceptées par le Tribunal de Première Instance de Palma de Majorque en 2007, lui reconnaissant la paternité biologique de C.V.* et donnant à cette dernière, le nom de ses deux parents, celui du père placé en première position. Cela se passait avant la réforme de 2017, et le juge appliquait la loi de la réforme de 1999.

Josefa León Madrid fit immédiatement appel de ce jugement, pour que son nom à elle soit alors en première position. Ce que l’Audiencia Provincial de Palma de Majorque rejeta la même année, arguant qu’au regard de la loi de 1999, l’accord des deux parents n’étant pas obtenu, le nom du père prévalait pour occuper la première position du patronyme de C.V.*. Idem pour le pourvoi en cassation de Josefa León Madrid en 2009.

C’est à partir de 2013, que la Cour Européenne des Droits de l’Homme fut saisie par la requérante. Le temps de la justice européenne n’étant pas celui de la justice espagnole, il fallu que Josefa León Madrid s’arme de patience afin de voir le 26 octobre 2021, un jugement de la CEDH rendu sur son affaire. On en retiendra que, l’impossibilité d’obtenir une dérogation à la règle de l’octroi du nom du père en premier, est discriminatoire envers les femmes. De même que, l’argument de la sécurité juridique souvent avancé pour faire prévaloir le nom du père dans celui de l’enfant, doit être aussi recevable pour celui de la mère. Ce qu’aucune loi espagnole ne prend en compte explicitement.

Dès à présent, une question se pose. Ce jugement de la CEDH sera-t’il à l’origine d’une nouvelle réforme de la législation espagnole relative à l’État Civil ?

* Emploi des seules initiales par la CEDH afin de préserver les intéressés.

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