Une mutation génétique importée

De récentes études ont démontré au sein de la population de l’île de La Palma, la présence d’une mutation génétique venant d’ailleurs...

Sur la route des Amériques, Santa Cruz de La Palma était le dernier port d’Europe avant le Nouveau Monde. Foto: NASA / Jacques Descloîtres / Wikimedia Commons / PD NASA

(Jean-Marc Claus) – Placée sous les feux de l’actualité à l’automne dernier, suite à l’éruption de la Cumbre Vieja, l’île canarienne de La Palma est depuis les années 2010, l’objet d’études scientifiques relatives à une maladie pulmonaire dont l’origine remonte au XVIe siècle. Il n’est pas ici question de pollution atmosphérique causée par les fumées et autres émanations volcaniques, mais d’un phénomène à mettre en lien avec le développement des routes commerciales maritimes reliant les continents.

De 2011 à 2015, durant quatre années et demie, toutes les personnes se présentant aux consultations externes de pneumologie de l’hôpital de La Palma, se sont vues prélever avec leur accord, une goutte de sang à des fins d’analyse génétique. Il en fut de même avec les nouveau-nés de l’année 2014. Ce qui, sur une collecte de près de 2.000 échantillons, dont un peu moins d’un quart chez des nourrissons, a permis de mettre en évidence la prévalence d’une mutation génétique jusqu’ici sous-diagnostiquée.

Favorisant notamment des pathologies hépatiques telles que cirrhose et hépatocarcinome, ainsi que pulmonaires comme la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et l’emphysème, cette mutation du gène SERPINA1 réduit la production d’alpha-1-antitrypsine (A1AT). Elle touche à La Palma, 30% des patients atteints d’affections pulmonaires et 20% des enfants en sont porteurs. De la plus d’une centaine de variantes existant de cette mutation, la plus nocive touchant une personne sur 3.334 au niveau national, atteint une personne sur 2.100 à La Palma, plaçant l’île en termes d’incidence au quatrième rang des régions européennes, après la Lettonie, l’Estonie et le Danemark.

Cette mutation génétique prédomine en Europe du Nord, et donc l’explication est à chercher dans le cours de l’Histoire. Au XVIe siècle, dans la foulée de la Conquista, Santa Cruz de La Palma devint le dernier port européen sur la route des Amériques. Plaque tournante du commerce de la canne à sucre, elle a attiré les Européens du Nord espérant y faire fortune. C’est ainsi que, de générations en générations, la mutation génétique s’est transmise jusqu’à ce que de récentes études en constatent la prévalence dans l’île.

Le pneumologue José María Hernández Pérez, lauréat de l’Université de La Laguna (ULL) en 2019 et interviewé récemment dans El Diario, affirme qu’actuellement, nous assistons non seulement à un sous-diagnostic de cette mutation génétique, mais aussi de sa détection trop tardive. Or, ces tests, appliqués aux nouveau-nés, ont un coût dérisoire allant de 30 centimes à 30 euros selon la variante recherchée. Un programme avait d’ailleurs été proposé par le praticien, suite à sa distinction par l’université canarienne, mais la pandémie de Covid-19 a imposé d’autres priorités.

La bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) est la troisième cause de mortalité dans le monde, et son diagnostic se fait souvent après plusieurs années d’errance. José María Hernández Pérez estime que 70% des patients ne sont pas diagnostiqués par manque de connaissance du corps médical, à qui il manque le réflexe élémentaire de prescrire un test spirométrique. Une détection post-natale de la mutation génétique favorisant la BPCO, pourrait rendre médecins et familles plus attentifs en cas de positivité, mais cela peut s’appliquer aux individus de tous âges, car il n’est jamais trop tard. D’autant plus qu’aux Îles Canaries, comme nous le verrons dans un prochain article, le tabagisme est aussi un problème de santé publique enraciné dans l’Histoire.

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