Une « observation proactive »…

La Hongrie vient de se transformer en dictature, en abolissant immédiatement la liberté de la presse. L'Union Européenne ne voit pas de raison d'intervenir. Business as usual.

La Commissaire européenne Vĕra Jourová en train d'observer proactivement... Foto: Arno Mikkor, Aron Urb / Flickr / EU2017 EstonianPresidency / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(KL) – La vice-présidente de la Commission Européenne, Vĕra Jourová, avait un problème. Comment condamner la transformation de la Hongrie, considérant que techniquement, certains pays occidentaux avaient fait la même chose ? Evidemment, quand un pays du groupe des « pays de Visegrad » opère une telle mainmise sur le pouvoir, on a l’habitude de critiquer. Mais comment critiquer lorsque techniquement, des pays comme la France ou la Roumanie ont fait la même chose ? Alors, il faut tempérer. Et dans ce cas, tempérer, c’est accepter. Est-ce que quelqu’un s’étonne encore qu’il devient de plus en plus difficile « d’aimer » l’Europe ?

Ce n’était même pas une surprise – le chef du gouvernement hongrois Victor Orbán avait pris les pleins pouvoirs sur fond de corona-crise, ce qui ne constitue, selon Vĕra Jourová, aucunement une violation de la Constitution hongroise. Même si le Parlement n’a pas défini une durée pour ces pleins pouvoirs qui permettent à Orbán de gouverner par décret, jusqu’à ce qu’il ait envie de rendre le pouvoir au Parlement. Mais est-ce que les dictateurs, une fois dotés des pleins pouvoirs, sont vraiment pressés de rendre ce pouvoir absolu et personnalisé à la représentation de leur peuple ?

Wait and see, voilà la réponse de l’Union Européenne, il n’y a pas de raison de s’exciter. Regardez, la France fait pareil, Emmanuel Macron peut aussi gouverner par décret, donc tout va bien. L’Union Européenne regardera, sachant qu’en cas d’abus, elle n’interviendra pas. Car jamais les 27 ne voteront à l’unanimité en faveur de sanctions contre l’un de leurs collègues. Voilà la pratique, l’Union Européenne n’est pas en mesure de réagir à la transformation d’un des ses Etats-membres d’une démocratie parlementaire en dictature.

Mais Vĕra Jourová se voulait quand même rassurante. Elle serait totalement consciente des problèmes liés à la séparation des pouvoirs en Hongrie. Et elle serait aussi consciente des critiques internationales de l’évolution en Hongrie. Mais aucune procédure ne sera lancée à l’encontre de la Hongrie. Donc, l’Union Européenne sort ses griffes : elle va « observer l’évolution en Hongrie très intensément et de manière proactive ». On imagine facilement que Victor Orbán tremble déjà face à cette observation proactive…

En attendant que cette « observation proactive » ne se concrétise, Victor Orbán a déjà aboli la liberté de la presse. Désormais, les « fake news » seront passibles de peines. Mais ce sera à Victor Orbán et uniquement à lui de décider ce qu’est une « fake news ». Toute critique du gouvernement et de ces mesures peut donc être considéré comme une « fake news ». Cette mesure n’est autre que la fin du journalisme critique en Hongrie. Et du coup, on pense aux plans du gouvernement français d’établir une liste des médias dont le gouvernement considère qu’ils relatent « la vérité ». Comprendre : la presse présidentielle.

Et tout le problème de Vĕra Jourová se situe là, et elle l’a dit. Comment lancer une procédure européenne à l’encontre de la Hongrie à un moment où la France et la Roumanie ont pris plus ou moins les mêmes mesures, invalidant temporairement des droits fondamentaux et instaurant la gouvernance par décret ?

Prenons le cas de la France – la possibilité de gouverner par décret offre une grande efficacité à la prise de décisions rapide pendant la crise sanitaire qui nécessite parfois des réactions rapides. Mais on sait déjà que la crise sanitaire sera suivie d’une grande crise sociale – une forte tentation de garder le format actuel, sous prétexte du maintien de l’ordre public. Comme en Hongrie, en quelque sorte.

Aujourd’hui, lancer une procédure européenne à l’encontre de la Hongrie signifierait qu’il faudrait lancer la même procédure européenne à l’encontre de la France et de la Roumanie. Et ça, bien sûr, on ne peut pas. Parce que nous sommes « les bons ». Qui n’abuseraient jamais des pleins pouvoirs présidentiels. N’est-ce pas ?

Autre frustration – l’impuissance du Parlement Européen qui avait demandé à la Commission Européenne de vérifier la possibilité de lancer une procédure contre la Hongrie pour avoir violé les principes fondamentaux de la démocratie européenne. Réponse de la Commission : « on observe de manière proactive ».

Les Européens et Européennes ne sont pas dupes. Ils voient que la démocratie disparaît peu à peu dans plusieurs Etats-membres de l’Union Européenne, et ils voient aussi que cette Europe intergouvernementale n’a tout simplement pas les moyens d’arrêter une telle évolution. Ils sont de plus en plus nombreux à poser la question de savoir à quoi ces institutions européennes servent encore. La seule réponse qui pourra sauver l’UE, ce serait une réforme fondamentale. Mais pour l’heure, personne n’y travaille sérieusement. Est-ce que l’Europe perdra la course contre la montre contre elle-même ?

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