Une relation filiale émouvante sur fond de décors de cinéma inédits

Le film «Vendeur» est le premier long métrage de Sylvain Desclous – une belle surprise pour les cinéphiles.

"Vendeur" - un magnifique face-à-face entre Gilbert Melki et Pio Marmai. Foto: Bac Films

(Nicolas Colle) – Pour son premier long métrage, Sylvain Desclous nous offre un face à face saisissant entre deux acteurs dont on découvre une nouvelle intensité de jeu, Gilbert Melki et Pio Marmai. Le premier interprétant un vendeur de cuisine, froid, efficace, charismatique, le second incarnant son fils passionné de cuisine mais qui va peu à peu intégrer le milieu professionnel de son père par besoin d’argent avant de se découvrir un don insoupçonné pour cette pratique et de se perdre peu à peu dans les excès de la réussite. Le père et le fils parviendront–ils à se rencontrer ? Éléments de réponse avec le cinéaste ainsi que le jeune Pio Marmai que nous avons rencontré.

A travers ce film, vous explorez la complexité d’un rapport entre un père et son fils, mais aussi la violence de l’univers de la vente et des cuisinistes. Quel était le point de départ original pour en arriver à ce scénario ?

Sylvain Desclous : Au risque de te décevoir : ni l’un, ni l’autre… (Rires). Le point de départ vient surtout de la fascination que je peux avoir pour ces personnes qui ont l’air de parfaitement réussir leur vie, notamment professionnellement et quelque soit le domaine dans lequel ils exercent, mais dès lors que l’on gratte un peu ce vernis, on s’aperçoit que tout ça se construit au prix d’une grande solitude. J’ai voulu traiter cette problématique à travers le monde des cuisinistes et de la vente car c’est un métier qui met encore plus en valeur la tchatche et la solitude. En fait, mon envie, même si ça peut paraître assez naïf, ça serait que quelque chose de bienfaisant se passe dans l’œil du spectateur et qu’il se demande s’il a bien choisi le métier qui le rend heureux car dans la vie, les demi-tours sont toujours difficiles à faire.

Votre film a sans conteste les caractéristiques d’un long métrage de cinéma alors qu’il se déroule dans des décors qu’on a peu l’habitude de voir au cinéma mais plutôt dans des documentaires ou dans les journaux télévisés. Je parle bien sûr des zones commerciales et des foires de cuisines. Quelle était la direction artistique à suivre ?

SD : Même si le point de départ du film devait être réaliste afin de rendre le propos crédible, je ne voulais pas faire un documentaire sur les cuisinistes, ni un pamphlet sur le monde du travail. J’ai tenu à éviter toutes les méthodes propres à ce genre de cinéma comme la caméra à l’épaule et une lumière réaliste pour servir un propos néoréaliste. À partir de là, je me suis demandé comment j’allais procéder pour que cet univers qui peut paraître assez dur et froid avec ces non-lieux que sont les zones commerciales mais qui recèlent tout de même une certaine forme de beauté. Je ne tenais pas à les rendre glauque ou à les montrer comme des lieux de rébus. Je n’ai donc cherché aucun effet de suresthétisation. Au contraire, j’ai voulu les filmer tels qu’ils sont vraiment. Comme des décors de cinéma. On a alors beaucoup travaillé avec le chef opérateur pour que ce soit beau et cinématographique d’où l’usage du Scope et de focales pas trop courtes. On a aussi beaucoup insisté sur la couleur. Les nuits sont rouges, jaunes alors que la facilité aurait été d’utiliser des teintes froides pour décrire avec cynisme cet univers.

La musique est également très originale et prend complètement le contre-pied de ce qui pourrait être attendu dans cet univers ?

SD : On s’est beaucoup creusé la tête pour avoir une bande originale qui permettrait de déjouer les pistes. D’où l’utilisation de ces musiques américaines que l’on n’a pas l’habitude d’écouter et qui sont incroyablement cinématographiques alors que la facilité aurait été d’utiliser des chansons françaises ou de l’opéra. C’est un des clichés que l’on peut retrouver au cinéma : le type qui est plus intelligent et plus sensible que ce qu’il peut montrer dans sa vie professionnelle, il écoute de l’opéra (rires). Quant aux séquences de vente, elles sont comme des shows de trois heures, on est proche de l’univers de la scène, du théâtre, du cirque et le compositeur a eu l’idée de les illustrer avec des sons de batterie qui au début sont très jazzy, clinquants et brillants puis davantage sombres et inquiétants à la fin. Je tenais vraiment à ce que le film ait une identité sonore et visuelle très forte.

Pio, ton personnage suit un parcours assez singulier notamment dans son rapport avec son père, mais aussi avec le métier de vendeur car bien que très éloigné de ce milieu, il se découvre peu à peu un don pour ce métier ?

Pio Marmai : C’était tout l’enjeu en tant qu’acteur, de ne pas rater cette évolution au delà du fait d’être au service de la mise en scène et du film. D’ailleurs, c’était justement ce qui m’avait attiré dans le scénario : ce parcours en dent de scie, très évolutif. Il fallait amener une certaine finesse et ne pas rater ces bascules qui s’opèrent de manière très subtile car le plaisir qu’il commence à prendre est presque accidentel. A l’origine c’est un artiste, un passionné de cuisine, il devient vendeur par besoin d’argent et il découvre peu à peu le plaisir de la vente grâce au coaching de son père alors que ce n’est pas du tout son monde. Puis arrive la reconnaissance, puis l’argent, puis les filles et tout ça le perd un peu. Néanmoins, il fallait garder une certaine empathie pour ce personnage et pour cela, j’avais envie de l’amener à cet endroit là. A mi chemin entre la fébrilité, la fragilité et le besoin de s’affirmer avec une certaine forme de dureté.

C’est une relation complexe qui unit les personnages du père et du fils. Que peux tu me dire sur ce rapport très ambigu et sur ta collaboration avec ton père de cinéma, Gilbert Melki, pour interpréter ce malaise ?

PM : Ce sont deux personnages qui s’aiment mais avec tellement de pudeur et de non dits qu’ils se sont ratés tous les deux. Ils ne se parleront pas et ne se rencontreront jamais vraiment. Pour générer ce blocage, je pars du principe que la fragilité de la relation que l’on peut avoir avec son partenaire de jeu, peut se mettre au service de la relation qu’ont les personnages dans le film. C’est ce qui s’est passé entre Gilbert et moi, on n’a jamais essayé de forcer quoi que ce soit entre nous. On n’a pas cherché à répéter en amont du tournage. On s’est simplement dit que tout se jouerait en direct sur le plateau où l’on peut être parfois un peu tendu parce que stressé et exigeant quant au jeu que l’on souhaite offrir. Cette tension et cette angoisse nous ont également permis de nourrir nos personnages et leur relation.

Et pour conclure, je sors un peu du sujet mais je crois savoir que tu es en train de tourner dans « Le Vin et le Vent », le nouveau film de Cédric Klapisch, un réalisateur que j’adore. Je ne peux pas m’empêcher de te demander ce que tu peux me dire sur ce projet ?

PM : C’est un film qu’on tourne sur une année complète car Cédric tenait à raconter cette histoire durant les quatre saisons. Il ne nous reste plus qu’une session de tournage de cinq semaines entre mai et juin. C’est une grande aventure humaine, d’autant plus forte que j’aime l’idée de faire des films assez rares et qui sortent des poncifs. C’est une histoire pleine d’humanité, avec beaucoup d’enjeu émotionnel. Pour te la pitcher rapidement : suite à la mort de son père, mon personnage revient dans sa Bourgogne natale après dix ans d’absence. Lui, son frère et sa sœur, interprétés par François Civil et Ana Girardot, héritent du vignoble familial et vont peu à peu apprendre à se redécouvrir les uns les autres tout en se questionnant sur ce qu’ils doivent faire de ce vignoble. Je suis très confiant quant au résultat car on sent une belle énergie sur le plateau et Cédric a un vrai sens du cinéma, avec beaucoup de vie et de simplicité.

Eh bien… Voilà qui donne envie… On a hâte…

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