Unterlinden à Colmar : plus qu’un musée en transformation, un investissement rentable ?

Les travaux sur l’extension du Musée Unterlinden à Colmar constituent un exemple pour un projet privé/public, du développement urbain et d’une politique culturelle ambitieuse.

Le Musée Unterlinden à Colmar constitue l'un des atouts principaux du tourisme colmarien - et il représente bien plus encore ! Foto: Sanseiya / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Ce soir-là, Gilbert Meyer, 74 ans, maire de Colmar depuis… 20 ans, avait tout lieu d’être satisfait ! Il sortait de l’église Saint Mathieu où Vladimir Spivakov venait de diriger une superbe 7ème Symphonie de Beethoven. Elle avait été interprétée par l’Orchestre Philharmonique National de Russie, dans le cadre du 27ème Festival International de Musique. Autres raisons de satisfaction – le matin même, l’édition de Colmar des DNA lui avait consacré une page entière dressant le bilan de ses vingt ans de gestion municipale auxquels lui même consacrera un ouvrage à paraître, en Novembre, pour le 26ème Salon du Livre de la ville. Il se trouvait, en plus, à la veille de l’inauguration, avec les cuivres de l’orchestre russe, de la «nouvelle salle à vocation évènementielle» du nouveau musée Unterlinden. Une «première» qui marque une «étape décisive» dans la transformation et l’extension du musée en chantier depuis 2012.

La restructuration du musée, célèbre dans le monde entier grâce à la présentation du «rétable d’Issenheim» du au peintre Grünewald, doit s’achever pour la fin de l’année : l’ouverture étant prévue le 12 Décembre, l’inauguration officielle par le Président de la République et le Président du Parlement Européen, étant, elle, d’ores et déjà fixée au 23 Janvier prochain !

42 millions investis, au global ! – Plus important chantier de ce type en Alsace, le coût global de la rénovation et de l’agrandissement du musée sera de l’ordre de 36 millions d’euros : y sont liés, en plus, 6 millions supplémentaires injectés par la ville pour l’aménagement du quartier et des abords du musée (42 millions donc en coût global). Les travaux prévoient notamment la modernisation des locaux, la construction d’un nouveau bâtiment pour l’art du XXème siècle et des expositions temporaires, l’intégration de l’ancienne piscine municipale datant de 1905, désaffectée et rattachée à l’ancien couvent des Dominicains d’Unterlinden (XIIIème siècle) par une galerie souterraine qui passe sous un cours d’eau couvert pendant un siècle, et sous une place aménagée.

La conception et la réalisation du projet, porté pendant des années d’études et de réflexions, ont été confiés au cabinet d’architectes bâlois Herzog & De Meuron, à qui ont doit, notamment, la restructuration de la «Tate Modern Gallery» de Londres, le stade couvert de football («Arena») de Munich ou le stade olympique de Pékin (J.O. de 2008). Le maire avait longtemps rêvé de ce projet, après avoir du abandonner, faute de financement, l’installation dans sa ville, d’un musée consacré au peintre Bernard Buffet.

Surnommé «le bâtisseur», en référence aux nombreux projets menés à bien, Gilbert Meyer mène ici son œuvre la plus spectaculaire : malgré un retard d’un an et demi (les travaux devaient être achevés au printemps 2014), le musée, avec la transformation esthétique du quartier menée parallèlement aux travaux, est entré dans la phase finale de son achèvement.

Un projet culturel, patrimonial… d’aménagement urbain ! – Le maire, pourtant, n’a pas pu s’empêcher de sourire lorsque Vladimir Spivakov, prenant la parole après la 7ème de Beethoven, a rendu hommage à un «maire qui maintient son engagement en faveur de la culture, au contraire de tant d’autres qui devant les difficultés économiques baissent les bras et diminuent les financements !»

«Par les temps qui courent, la culture ne peut pas être une fin pas en soit. L’argent manque et les projets culturels doivent s’inscrire dans un investissement économique qui cherche à être rentable. Comment aurais-je pu justifier auprès des contribuables mon engagement dans le projet Unterlinden, si je n’avais pas pu lui trouver une justification économique», me dit le maire de Colmar, qui poursuit, «Le projet n’est pas seulement culturel : il est «patrimonial», car il contribue à sauver le patrimoine de la ville, en l’occurrence l’ancien couvent qui abrite le musée et l’ancienne piscine. Il s’agit aussi de la concrétisation d’un engagement en faveur du développement de la ville, de son attractivité touristique. C’est aussi une opération d’urbanisme car «Unterlinden», ce n’est pas seulement l’adjonction de mètres carrés supplémentaires, c’est aussi la transformation d’un quartier par l’aménagement d’une place et d’un square, enjolivés par un cours d’eau à nouveau à l’air libre, débarrassé de la chape de béton qui le couvrait».

L’enjeu de la rentabilité ! – Mais, au départ, l’objectif recherché à travers la transformation et l’extension d’Unterlinden, n’était pas une opération d’aménagement du territoire, ni même l’opération de séduction d’une ville qui accueille plus de 3 millions de touristes par an. Encore que ces données ont été intégrées assez rapidement en appui de la décision d’investir. Il s’agissait de redonner de l’attractivité à un musée certes prestigieux, mais dont le nombre de visiteurs s’étiolait au fil des années : 236.000 visiteurs, en gros, en 2000 ; 179.000 en 2012 ; 151.000 en 2013 et 185.000 en 2014 ! Faute de place, le musée était limité dans l’organisation d’évènements-expositions temporaires et l’impressionnant fond d’art moderne et contemporain ne pouvait que rarement sortir des réserves. Les investissements réalisés répondront à ces besoins, le nombre de visiteurs devant dépasser, à moyen terme, les 300.000 par an ! Rentabilité oblige !

Si selon la tradition chère au maire, si le résultat des travaux doit servir le tourisme et l’économie de la ville, il doit aussi (surtout ?) pouvoir être apprécié visuellement par le contribuable : c’est sans doute l’une des explications à la longévité de Gilbert Meyer. Il avait inauguré, en quelque sorte, cette méthode dès son arrivée à la mairie, en menaçant le déjà célèbre Festival de Musique, trop élitiste à son goût. Il réussira à peser sur le Festival, devenu aujourd’hui un élément essentiel pour la ville, pour en faire, avec la complicité de son chef d’orchestre russe, une manifestation ouverte aux colmariens grâce à des concerts gratuits, des expositions…

Un exemple de financement public/privé et un sacré défi ! – Pour mener à bien le «projet Unterlinden» le maire, avec l’adhésion de la Société Schongauer, association à but non lucratif qui gère le musée depuis son ouverture en 1853, a réussi à monter un financement qui fédère la ville (maître d’ouvrage), l’état, la Région Alsace, le Département du Haut-Rhin, la société Schongauer et… le mécénat privé (notamment une banque, le Crédit Mutuel Centre Est Europe, deux fondations américaines dont Timken qui a une usine à Colmar et deux donateurs suisses).

L’objectif du «cercle des mécènes» est de participer au financement des travaux à hauteur de 3,5 millions d’euros ! L’appel aux mécènes confirme l’intérêt du partenariat public/privé dont le «Conseil Economique, social et environnemental régional d’Alsace – CESER» a souligné l’importance dans sons avis du 17 Juin sur «Comment renforcer l’impact économique de la culture». Aussi serait-il opportun de ne plus seulement considérer la culture comme une charge économique, mais comme une source de richesse, qu’elle relève de la création artistique ou de l’économie du divertissement. L’économie culturelle est multiple et la culture un investissement».

C’est ce qu’on a compris à Colmar où on a aussi conscience du fait que «l’opération Unterlinden» est une chance, avec un défi : celui d’atteindre les objectifs fixés, notamment sur le plan de la fréquentation : «Il faudra qu’il y ait un retour sur investissement», me dit le maire, qui sait bien que si l’équipe -voire la structure elle même- mise en place par l’association Schongauer ne pouvait pas être à la hauteur des défis, il faudra en tirer les conclusions y compris sur le mode de gestion lui-même. Il faudra un «plan B» ambitieux même si, officiellement, personne ne veut aujourd’hui engager ce type de réflexion !

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste