Va-t-on enfin vers une relance de la coopération transfrontalière ?
Quelques clés fournies par l’Institut Franco-Allemand (DFI).
(Par Alain Howiller) – Lors de sa visite en France, en Alsace en particulier, Winfried Kretschmann, le Ministre-Président du Bade-Wurtemberg, interrogé sur sa vision de la politique transfrontalière, avait manifesté son attachement aux liens tissés dans le cadre du Rhin Supérieur privilégiés par rapport aux relations qui devront s’établir entre les Länder allemands concernés (Bade-Wurtemberg, Sarre, Rhénanie-Palatinat) et la région du « Grand Est » telle qu’elle était issue de la réforme territoriale française. (eurorojournalist.eu du 5 Octobre)
S’appuyer sur ce qui existe en attendant que le Grand Est se soit consolidé, paraissait d’autant plus sage que les cantons du Nord de la Suisse, non-membres de l’Union Européenne, étaient intégrés dans les structures du Rhin Supérieur et qu’une nouvelle « structuration transfrontalière » n’impliquant que des régions appartenant à des états-membres de l’Union Européenne qui risquaient de poser le problème de la coopération avec les cantons suisses relevant d’un pays non-membre : Winfried Kretschmann avait même évoqué, à ce propos, la possibilité d’une sorte de « Brexit » des cantons helvétiques ! Dans une analyse particulièrement pertinente(1) sur la coopération transfrontalière et ses perspectives après la réforme régionale française, le « Deutsch-Französisches Institut » (Institut Franco-Allemand) de Ludwigsburg(2), effleure à peine cet aspect particulier mais s’attache, après une étude approfondie de la réforme française et de l’état de la coopération transfrontalière (SaarLorLux et Rhin Supérieur), à développer les axes de ce que pourrait être une future coopération transfrontalière.
Trois Länder qui devraient s’entendre ! – Un premier constat s’impose (étonnant pour un Français !) : la coopération implique, côté allemand, la Sarre (qui développe un véritable plan en faveur de la coopération avec la Lorraine et qui a fait du Français la première langue étrangère du Land), la Rhénanie-Palatinat et le Land de Bade-Wurtemberg. Au nom des principes d’autonomie régissant le fédéralisme, ces trois Länder (note de la rédaction : il a existé un plan de fusion entre la Sarre et la Rhénanie-Palatinat) n’ont pas une approche coordonnée entre eux pour définir une approche voire une coordination entre leurs politiques en matière de relations transfrontalières. Néanmoins, ils pourraient –devraient ?- s’entendre au sein du Bundesrat, l’assemblée des Länder et effacer ainsi un obstacle à un rapprochement des politiques menées face au « Grand Est ». Coincé, finalement, entre la région parisienne et le bassin rhénan, grand comme deux fois la Belgique, ce dernier peut, lui, rapprocher les politiques menées par les régions qui composent la nouvelle structure de « méga-région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine » : encore faut-il qu’il en ait la volonté et que l’Etat centralisateur ne lui mette pas des bâtons dans les roues !
Le « Grand Est » devra coordonner la « stratégie allemande » de la Lorraine qui se met en place face à la « Stratégie France » de la Sarre(3). Pour éviter un délitement voire un effondrement de la coopération menée jusqu’ici, le « Grand Est » servira inévitablement de cadre à une coordination entre les politiques développées d’un côté par « SaarLorLux » (avec la Sarre, la Rhénanie-Palatinat, le Grand-Duché du Luxembourg, la Wallonie belge et les départements lorrains de la Moselle, de la Meuse et de la Meurthe-et-Moselle) et de l’autre côté par la Région du Rhin Supérieur (Oberrhein) (avec le Pays de Bade relevant du Bade-Wurtemberg, les deux départements alsaciens, le Sud du Palatinat relevant du Land de Rhénanie-Palatinat, les cantons de la Suisse du Nord-Ouest).
Si on commençait à voir ce qu’on fait ? – Le DFI dans son étude recommande la création d’un groupe de travail transfrontalier pour recenser les acquis, pour définir les convergences entre partenaires, pour mieux exploiter les « plus », les développer et les soutenir. Il estime que son « commanditaire » (c’est le gouvernement de Stuttgart qui, avant même les dernières élections du Land, avait commandé l’étude qui devrait placer le « transfrontalier » au cœur de sa politique : une approche qui, selon moi, est facilement jouable en Pays de Bade frontalier, mais qui risque de l’être beaucoup moins au niveau du Land et de sa capitale wurtembergeoise, Stuttgart ! Pourtant, la coopération transfrontalière pourrait profiter des encouragements de l’Union Européenne favorable aux relations par-dessus les frontières !
Le DFI, qui plaide pour la rédaction d’un document (un nouveau traité du type de celui conclu pour la Région du Rhin Supérieur ?) définissant le cadre et les modalités des relations transfrontalières, insiste sur les inconvénients nés de l’existence des frontières : fragmentation des marchés et des réservoirs de main d’œuvre, mauvaise coordination des travaux de planification, d’aménagement du territoire et dysfonctionnements en matière d’infrastructures. Ces faiblesses ont un coût alors que la coopération par-dessus les frontières apporte des solutions. L’entreprise qui aura réussi à s’installer et à se développer dans un espace transfrontalier aura, en quelque sorte, réussi un test de qualité : grâce à lui, elle pourra aborder et réussir sur tous les marchés du monde !
Vers l’émergence d’une « compétence interculturelle » – Plaidant pour l’émergence « des compétences interculturelles » (« interkulturelle Kompetenz »), le DFI place au cœur de ses suggestions la nécessité absolue de développer le « plurilinguisme » qui n’est pas seulement connaissance linguistique, mais qui exprime aussi cette « compétence interculturelle » grâce à laquelle l’étranger devient une réalité européenne. Car il s’agit dès le plus jeune âge d’aller au-delà de la simple connaissance de la langue du voisin.
L’enseignement joue évidemment un rôle déterminant dans cette approche : devant le manque de professeurs susceptibles d’enseigner dans la langue du voisin, les auteurs de l’étude suggèrent de faire appel aux professeurs du pays voisin sans que la carrière ou la rémunération de ces enseignants ne souffre de retards susceptibles de les décourager.
La politique transfrontalière devra tenir compte des dispositions de la réforme régionale française qui prévoit une mise en adéquation de la politique régionale du Grand Est et de celle de ses métropoles (Nancy, Metz et Eurométropole de Strasbourg).
Faut-il laisser du temps au temps ? – Pour mettre en œuvre les nouvelles dispositions nées de la création du Grand Est, le DFI suggère qu’il soit procédé à un recensement de ce qui existe déjà pour dresser un socle commun à ce qui devra exister : après une analyse dans chaque pays concerné, une « conférence » réunissant tous les acteurs de la politique transfrontalière devra définir ce socle. On peut penser qu’une telle procédure suggérée par un DFI dont une précédente étude avait souligné qu’il y avait trop d’instances s’occupant de la coopération transfrontalière(!), sera longue et peut-être périlleuse ! Mais compte tenu des nouvelles structures côté français qui ne se mettront que progressivement en place, pourra-t-on l’éviter ?
Le facteur « temps » est -malheureusement- une donnée incontournable, comme nous l’apprend le nombre d’années depuis lesquelles les acteurs du transfrontalier essayent, en vain, de promouvoir une simplification des structures existantes et un rapprochement entre les instances issues des collectivités locales (exemple : le « Conseil Rhénan » pour le Rhin Supérieur) et celles créées à l’instigation des Etats (exemple : la « Conférence franco-germano-suisse du Rhin Supérieur ») ! Pas étonnant dans ce contexte que Winfried Kretschmann ait plaidé, lors de sa visite en France, pour laisser du temps au temps et de poursuivre la politique menée jusqu’ici !
Au cœur du Bade-Wurtemberg ? – Pour les habitants des bords du Rhin, l’un des éléments-clés de l’étude du DFI restera le fait que l’analyse plaide pour que le Bade-Wurtemberg place la politique transfrontalière au cœur de sa politique. Il était bon que cela soit dit aussi clairement. Surtout qu’on a le sentiment que reste -hélas- d’actualité la déclaration que fit Wolfgang Schäuble (candidat à un nouveau mandat de député en 2017), il y a quelques années à Strasbourg : « …Nous n’avons pas réussi à gagner les populations en faveur du travail réalisé dans le transfrontalier. La société civile n’a pas pénétré le politique, en la matière et réciproquement…. » Alors Maire de Kehl, Günther Petry, avait complété ce propos en soulignant(4) : « La coopération suppose, en général, que tous ceux qui coopèrent veuillent les mêmes choses, ce qui est loin d’être le cas. Il nous faudrait créer des structures avec de réels pouvoirs de décision, respectant les règles majoritaires ; les décisions seraient prises à la majorité… transfrontalière. Si un tel système existait, on commencerait à créer un sentiment commun, une communauté !… ». C’était il y a une douzaine d’années et déjà on évoquait cette « compétence interculturelle » dont les auteurs du rapport du DFI parlent à nouveau aujourd’hui.
(1) Zukunft der grenzüberschreitenden Zusammenarbeit nach der französischen Regionalreform. Aktuelle Situation und mögliche Entwicklungsszenarien, par Frank Baasner et Stefan Seidendorf. (Editeur : DFI-Compact-Septembre 2016). Etude réalisée pour le gouvernement du Land de Bade-Wurtemberg, après un appel d’offres remporté par le DFI.
(2) Le « DFI », présidé par Erwin Teufel, l’ancien ministre-président (CDU) du Bade-Wurtemberg, est la plus ancienne « institution » franco-allemande, créée en 1948 (!) comme centre de recherches et de documentation par les deux gouvernements, le Land et la ville de Ludwigsburg siège du centre. Celui-ci est dirigé par Frank Baasner qui donnera une conférence à Strasbourg à l’invitation de la « Société des Amis des Universités de l’Académie ». Il parlera le Mardi 15 Novembre (18H30) à l’Amphithéâtre Jean Cavaillès du Patio de « L’Europe sous le doute : que rôle pour le partenariat franco-allemand ? »
(3) La Ministre-Présidente du Land de Sarre, Annegret Kramp-Karrenbauer, recevra au mois d’avril prochain, à Baden-Baden, dans le cadre du traditionnel « Symposium Pierre Pflimlin », le « Prix Cœur de l’Europe en Or ».
(4) Dans « Où va l’Alsace » par Alain Howiller. Le Verger -Editeur- 2008.
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