Vercingétorix et la double potion néo-magix

Esther Heboyan se penche sur les vedettes gauloises…

Vercingétorix ? Sarkozyx ? Ah, ces Gaulois... Foto: Jochen Jahnke sur Wikimedia allemand / Wikimedia Commons / PD

(Par Esther Heboyan) – Mais qui a écrit le discours de Nicolas Sarkozy à l’occasion de l’élection primaire de la droite ? Comment peut-on encore servir ce genre de discours ? Un plat des temps mauvais. Un plat des jours anciens réchauffé pour un soir de gloire. Imaginez un vieux plat de frites (la trajectoire qui va de Vercingétorix aux frites – didactique ? dialectique ? démagogique ? — étant bel et bien inscrite dans le discours) et constatez le désastre. Dans le plat et les estomacs. L’écrivant dans l’ombre et l’orateur dans la lumière, se pourléchant de propagande politique, y ont cru. C’était du tout cuit. Présenter en héros national un guerrier de la Gaule, ami et ennemi de Jules César, naturellement exécuté par ce dernier. Il fallait y penser. Wikipédia pense pour vous.

En ce début du 21ème siècle, à l’heure où un jeune homme avec un master en linguistique française gagne sa portion de frites comme déménageur sous-traitant héroïx des temps modernes, à l’heure où un autre jeune homme avec un master en musicologie gagne son casse-croûte en enchaînant les CDD sous le rayonnement d’un conservatoire de musix, à l’heure où les réactionnaires de tous les pays nombrilix s’unissent pour renvoyer les jeunes femmes à leur rôle de rôtisseuses joyeuses et de pondeuses, on eût espéré un symbole plus apaisant, plus parlant, plus intelligent. Non ?

Vercingétorix, vaincu à Alésia en 52 avant J.-C. – Enfant immigrée dans les années soixante (du siècle précédent), j’ai appris cette phrase par cœur. Mais je n’y ai jamais rien compris. Je trouvais le nom de Vercingétorix très comix. Dans le pays d’où je venais, j’avais entendu parler de Tom Mix, mais pas de Vercingétorix. Si seulement quelqu’un m’avait expliqué le sens de ce patronyme et le sens des actes du bonhomme à la grosse moustache blonde ou rousse (au gré des dessins dans les manuels scolaires). Je compris bien plus tard qu’Astérix et Obélix étaient les héros imaginaires d’une histoire inachevée. De plus, où se trouvait la cité d’Alésia ? D’où sortait ce « s » qui avait usurpé la place du « z » ? Que signifiait « 52 avant J.-C. » ? Quel était ce calendrier étrange avec des « avant » mais pas des « après » ? Étais-je donc la seule idiote de la classe ? Aucune des élèves ne semblait étonnée. Tout le monde entonnait la phrase sans broncher. Et peut-être sans rien comprendre. En tous cas, ici ou là-bas, l’apprentissage de l’Histoire se valait. Rien à comprendre, tout à apprendre.

Qui aujourd’hui se reconnaît en Vercingétorix ? Apparemment, les nostalgiques d’une certaine France, celle de La Gaule avant l’ère chrétienne et des Gaulois dont Jules César et Cicéron soulignaient la feritas (la cruauté) et la vanitas (l’irréflexion). Si l’on rêve de grandeur passée, pourquoi ne pas aller au bout de la logique passéiste ? Pourquoi ne pas évoquer nos ancêtres les Gauloises ? Ah, les Gitanes brunes sur le paquet de cigarettes ! Pour une question d’image, on se prive de rendre hommage à Boudicca, une Brettanide, reine des Icéniens, qui résista à Néron en 61 mais fut vaincue. Comme Vercingétorix. Dommage.

C’est à croire que le discours prononcé par Nicolas Sarkozy a été inspiré par le personnage de l’oncle Victor dans Harold et Maude (1971) de Hal Ashby. Le haut gradé de l’armée américaine qui, pour éveiller le patriotisme de son neveu Harold, fait le salut militaire de la révérence devant le portrait de Nathan Hale, héros-martyre de la Guerre d’Indépendance. Vercingétorix et Nathan Hale, deux guerriers pas très contents d’être sous le joug d’une puissance étrangère. On compatit. Deux figures qui avaient la frite jusqu’à ce que la mort les dégomme.

De la guerre et des hommes. Des héros et des frites. Des frites et de la jeunesse française. Dis-moi quelle(s) langue(s) tu parles, dans quel canton du globe tu te trouves, à combien de portions de frites tu as droit au quotidien et je te dirai qui tu es…

L’histoire des frites, un trait de génie. Là, oui, chapeau à l’écrivant et à l’orateur. Des frites – tous en veulent, enfants, adolescents, étudiants. Les cantines de France en savent quelque chose. Les bacs à frites se vident et se remplissent, se remplissent et se vident. De quoi faire pâlir carottes, tomates et brocolis en déshérence. Lorsqu’il n’y a plus de frites à la cantine, il y en a toujours au fast-food du coin qui, quelle que soit l’heure, ne désemplit point. À Lille, à Nantes ou sur l’île de Rhodes, on fait la queue pour un cornet de frites. Imaginez l’hologramme de Salvador Dali (moustache en croc) annonçant pendant les meetings de la droite : « Les frites, c’est mon dada ! »

Sauf que là, nous sommes en 2016 et que la jeunesse française devient obèse. L’écrivant et l’orateur n’ont pas conscience des efforts faits par les nutritionnistes et autres spécialistes afin d’initier les palais à d’autres goûts et formules : légumes verts, mets exotiques (au risque de faire tiquer certains de la mouvance identitaire), plateaux équilibrés. Les frites, c’est gras. Tout le monde le sait. Alors une double portion, vous pensez bien ! Quelquefois dans les cantines, on affiche d’autres valeurs : on félicite les mangeurs de frites qui s’abstiennent un jour. Les addicts aux frites sont parmi nous. Inutile d’en rajouter. Faut-il être politicien, et candidat à la plus haute fonction d’un pays, pour ignorer la malbouffe et les tentatives pour l’enrayer ?

À bien réfléchir, l’image-idée « double portion de frites » présente une dose d’élégance que n’aurait pas, par exemple, « double portion de cassoulet » ou encore « double portion de nouilles ». Cela dit, la réalité n’est plus ce qu’elle était. Le monde change. Les végétariens et les végétaliens non plus ne mangent pas de porc. Et au pays du foie gras et du steak tartare, ils sont de plus en plus nombreux. Une mode venue d’Amérique. Encore une. N’en déplaise aux défenseurs des frontières culinaires. Alors, double portion de frites pour les progénitures des végétariens et végétaliens qui se disent cousins lointains, voire par test ADN, de Vercingétorix, d’Astérix et d’Obélix ? Ces enfants-là rentreront déjeuner chez eux, comme les autres, ou bien ne consommeront pas la viande qu’on leur sert.

Pour faire avaler n’importe quoi à leurs électeurs, les orateurs d’une certaine droite, aidés de leurs écrivants qu’ils paient grassement, ont encore de beaux jours devant eux. Vu l’air du temps ici et là sur tous les continents, on s’attend à tout. La séparation par un mur des jouisseurs de carne et des empêcheurs de tourner en rond. À quand un oppidum sur Montmartrum, des oppida sur Massalia ? Au nom du nouveau roman national. Exit Marguerite Duras.

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