Veto No !
Jean-Marc Claus écrit sur l'extrême-droite espagnole et la politique d'éducation du parti « Vox » qui est, disons, très anachronique...
(Par Jean-Marc Claus) – Créé en 2013, Vox, le parti d’extrême-droite espagnol, a réussi une percée remarquée aux élections régionales de 2018/2019 et aux élections générales de 2019. Devenu troisième force politique du pays, il s’invite régulièrement dans le débat ; et si, au sein du Parlement Européen, il ne représente que 5,5% des eurodéputés espagnols, son potentiel de nuisance n’est pas à négliger pour autant, car il est déjà très actif au sein du royaume.
Au nombre des habituelles cibles favorites des formations politiques d’extrême-droite, l’éducation ne fait pas exception en Espagne. Ainsi, depuis la dernière rentrée scolaire, le « veto parental » occupe le centre des débats. Dans la Région de Murcie, au Sud du pays, où il est allié au Parti Populaire et à Ciudadanos, Vox a réussi à imposer un droit de veto parental à propos des activités complémentaires programmées sur le temps scolaire, du primaire et du secondaire, mais non dispensées par un enseignant. Entendons par activités complémentaires les sorties scolaires, les ateliers et discussions thématiques animées par des intervenants extérieurs. Cette mesure, qui pourrait laisser croire à une plus grande implication des parents dans les établissements scolaires, est en fait ce que certains observateurs ont appelé une « objection de conscience cachée » car, selon le président du parti, les matières relatives aux questions morales socialement controversées ou à la sexualité doivent être bannies de l’école.
Rien moins que ça, donc exit l’égalité des sexes, les droits des LGBT, l’avortement et forcément la lutte contre les violences faites aux femmes, domaine dans lequel l’Espagne s’est montrée pionnière depuis les années 2000. Ayant réussi à faire appliquer le « veto parental » dans la région de Murcie, Vox ambitionne de la faire passer à Madrid et en Andalousie, où il est aussi associé au Parti Populaire. La levée de boucliers ne s’est pas fait attendre en Murcie et dans le reste du pays. Ainsi « Asfagalem », association de familles gays & lesbiennes associée au collectif « No Te Prives », a à cette heure obtenu plus de 150.000 signatures sur leur pétition en ligne intitulée No al Pin Parental lancée en janvier. Plus d’un millier de personnes sont déjà descendues dans la rue pour manifester devant le Palais San Esteban où siège le Gouvernement de Murcie. Le texte initial de cette mesure discriminatoire est en cours d’amendement, mais pas encore abrogé ; aussi ne concernera-t-il plus les interventions assurées par des fonctionnaires car présumés par la loi « idéologiquement neutres ». Alors va pour la sécurité routière, le harcèlement, la cybercriminalité, la fonction de procréation, mais en revanche, dans tout ce qui est assuré par les ONG engagées dans la défense de l’environnement, la prévention des comportements homophobes ou racistes, le planning familial, le « veto parental » restera possible. Restera possible car, dans cette nouvelle mouture, le concept de « silence positif » signifie que les parents doivent exprimer la décision que leur enfant ne participera pas à ces activités ; et dans le cas d’une non-expression, leur silence silence aura valeur d’acceptation.
Dans ce contexte particulièrement tendu, Diego Reina, professeur d’histoire de l’art dans un lycée public, a décidé de se déclarer « objecteur au veto parental ». Il a invité le 11/02/2020 Pedro Alberto Cruz, le renommé spécialiste de Marcel Duchamp, au lycée Alfonso X de Murcie sans requérir l’accord parental pour faire participer ses élèves à un atelier au cours duquel cet intervenant de premier plan s’est livré à une étude comparative entre le célèbre Urinoir de Marcel Duchamp et l’encore plus célèbre David de Michel-Ange. Diego Reina a sciemment refusé se se soumettre à un éventuel « veto parental » par respect pour ses élèves, âgés de 13 à 17 ans. Élèves à qui il a demandé et desquels il a obtenu leur aval pour la réalisation de cet atelier. Il est à noter que Pedro Alberto Cruz, longtemps lié au Parti Populaire, ministre de la Culture du Gouvernement de Murcie de 2007 à 2014, approuvait totalement la démarche car franchement opposé au « veto parental ». Pour lui, le Parti Populaire de la Communauté Autonome de Murcie a été carrément, selon ses propres termes, kidnappé par Vox et, si ses membres ne réagissent pas, il va se retrouver satellisé par l’extrême-droite. Une analyse qui n’est pas sans rappeler les dernières élections du Land de Thuringe, en Allemagne, où l’AfD a su diaboliquement manœuvrer pour créer le chaos…
Diego Reina voulait montrer, par son action, le mécontentement de la communauté enseignante au sujet de ce « veto parental » et de tout ce qui en découle. Il s’estime doublement visé par cette mesure, car enseignant et homosexuel – une orientation sexuelle connue de ses élèves et n’ayant jamais posé de problèmes. Sa démarche, soutenue par ses collègues, le place dans la ligne de mire de l’extrême-droite, et il s’attend également à être poursuivi par sa hiérarchie pour non-respect de la procédure. Mais il se doute qu’il ne sera pas le seul dans ce cas.
Il faut savoir que les budgets de la Communauté Autonome de Murcie seront votés le 23/03/2020. Or, Vox les soutiendra grâce à un accord ayant pour premier point le « veto parental ». Sans ce soutien, Le Parti Populaire et Ciudadanos n’auront pas la majorité absolue, ce qui met ces nouveaux alliés de l’extrême-droite en position difficile face au PSOE et à Podemos qui, du coup, reprennent du poil de la bête. Mais rien n’est encore joué, même si Isabel Celaá, la Ministre de l’Éducation qui a lancé une consultation citoyenne courant jusqu’au 22/02/2020, portera le « veto parental » devant les tribunaux le 17/02/2020 si la Communauté autonome de Murcie ne le retire pas d’ici là…
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