Vic : énigme épidémiologique ou pas ?
Malgré les mesures prophylactiques déployées, la commune catalane de Vic est particulièrement touchée par une recrudescence de cas de Covid-19.
(Jean-Marc Claus) – Présentée par la presse comme une énigme épidémiologique, la commune de Vic se trouvant à équidistance entre les Pyrénées et la Méditerranée, n’avait jusqu’à présent fait que très peu parler d’elle ; si ce n’est par une certaine propension à l’indépendantisme remontant au 18e siècle et trouvant son accomplissement en 2012 où elle fut la première de la comarque d’Osona à se déclarer territoire catalan libre.
Aujourd’hui, forte d’un peu plus de 46.000 habitants, elle détient la palme de la commune à la plus forte incidence de coronavirus de toute l’Espagne. Fin octobre, avec 1.538 cas pour 100.000 habitants, elle était loin devant Barcelone qui en comptabilisait 588. La courbe des contaminations qui suivait une progression quasi linéaire durant l’été et le début de l’automne, connaît une croissance exponentielle depuis la mi-octobre. Face à cela, des questions se posent et personne n’a jusqu’ici trouvé des réponses totalement satisfaisantes.
Tout d’abord, la ville a très tôt développé des programmes de prévention, le port du masque y est généralisé, les résultats des tests PCR sont disponibles sous 24h, il n’y a pas de grands centres commerciaux, les transports en commun sont peu utilisés depuis le reconfinement et les structures de soins primaires (CAP) n’étaient jusqu’à présent pas débordées. Mais elles se trouvent maintenant sous tension, et tous les lits de soins intensifs (USI) de l’hôpital universitaire sont occupés. Malgré l’augmentation du nombre de lits dédiés aux « patients-covid », l’hôpital n’exclut pas les transferts vers d’autres établissements.
Traversée par la rivière Mèder, la ville présente deux visages différents de part et d’autre de son lit. Au Nord, la carte postale avec la cathédrale, la vieille ville, la culture catalane à tous les étages et les populations à revenus élevés. Au Sud, une architecture moins attrayante, la mixité ethnique et linguistique, les populations à revenus moyens à faibles. Comme on peut s’y attendre, la pandémie se développe plus dans le Sud que dans le Nord de la ville, mais les courbes des deux secteurs connaissent une croissance exponentielle.
Parmi les hypothèses émises pour expliquer un tel emballement des contaminations, il y a le caractère « central » de la ville, les habitants des localités avoisinantes s’y rendant pour le travail, les loisirs et les services, dont les prestations des centres de soins primaires (CAP). Mais Vic est aussi entourée par plusieurs entreprises spécialisées dans la boucherie industrielle. La viande (carne a brasa) figure d’ailleurs en bonne place du traditionnel Marché Médiéval se tenant début décembre, et dont cet année la 25e édition est forcément annulée. Or nous savons, par l’exemple de Tönnies à Gütersloh en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, que dans certaines conditions, l’industrie de la viande peut être à l’origine de foyers infectieux.
Cependant les directions des centres de soins primaires (CAP) de la ville affirment que ces entreprises employant quelques milliers de personnes sont rigoureusement contrôlées. Il est même avancé que, les contagions n’ont pas lieu au travail, pour ceux qui ne peuvent télé-travailler, mais dans le domaine social et familial. A ce propos, début octobre la municipalité de Vic avait formulé des recommandations dont le gouvernement français aurait gagné à s’inspirer lors de l’instauration du couvre-feu trois semaines plus tard.
Comme dans toutes les situations de crise, des coupables sont désignés et en premier lieu les jeunes. Mais plus qu’une tranche d’âge ou un secteur d’activité c’est, selon les experts, une classe sociale qui est particulièrement touchée : les précaires. Or Vic compte dans sa population des immigrés issus du Maghreb et de l’Afrique Subsaharienne, pas toujours en situation régulière, comme certains employés dans les boucheries industrielles. Mais ces dernières, ayant appris de l’exemple allemand, imposent des normes de sécurités drastiques à leurs salariés. On peut alors penser que ce sont bien les conditions de vie indignes de ces précaires qui favorisent la propagation du virus, et il suffit de lire la relation qu’en font les journaux espagnols pour s’en convaincre.
La précarité empêche l’application rigoureuse des règles de prophylaxie, et donc – la précarité tue. Or, elle ne tue pas que les précaires ; ainsi peut-on espérer que les non-précaires le comprenant enfin et qu’ils décident de s’attaquer aux origines de la précarité, plutôt qu’aux précaires eux-mêmes.
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