Vie ou mort du Conseil de l’Europe : STOP ou ENCORE à Strasbourg ?

Quel sera l’avenir du Conseil de l’Europe ? Alain Howiller nous parle du livre de Klaus Schumann qui s’est posé exactement cette question.

Le Conseil de l'Europe - une institution obsolète ou importante ? Foto: Drounal / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – C’était la première institution européenne de l’après Deuxième Guerre Mondiale, l’ancêtre -en quelque sorte- «l’alma mater», la «mère nourricière» des institutions européennes qui se créèrent par la suite, nées de son impulsion ou, à minima, de celle de ses états-membres ! Ce n’est pourtant pas la plus connue des institutions et encore moins la plus choyée par les médias avides de spectaculaire ! Il y a même eu un chef d’Etat -Charles de Gaulle- qui eut le front de déclarer, le 15 Mai 1962, à propos des institutions européennes, alors en place : «Il y a même un ensemble parlementaire du Conseil de l’Europe» qui, il est vrai, est antérieure à la conception des Six et qui, me dit-on, se meurt au bord où elle fut laissée.»

Belle formule en vérité, une sorte d’alexandrin digne d’une tragédie classique qui provoqua la première crise politique de la Vème République : les propos peu amènes du Général sur l’Europe -et le «Conseil» en particulier- provoquèrent la démission des ministres «Centristes / Démocrates-Chrétiens», conduits par Pierre Pflimlin, le maire de Strasbourg, siège du Conseil de l’Europe, depuis sa création en 1949 ! 53 ans après cet évènement, Klaus Schumann, ancien Directeur Général des Affaires Politiques de l’institution des… bords du Rhin, s‘interroge, dans un livre moitié souvenir, moitié manuel d’histoire des Institutions politiques : «Le Conseil de l’Europe, après 65 ans… retraite méritée ou perspectives d’avenir ?»(1)

Bien avant qu’on ne soit… «Charlie» ! – Poser la question, n’est pas fatalement y répondre, mais constater, par contre, que, lorsque qu’on laboure -même avec soin- le champ médiatique, le «Conseil» n’est guère présent. Qui, en effet, peut croire que le «Conseil» ce ne serait que l’actualité liée à l’éviction de son secrétaire général (suédois) de la présidence du Comité du Prix Nobel, de l’injonction faite à la France de supprimer la… fessée, aux controverses avec le gouvernement britannique à propos du droit de vote refusé par Londres à ses détenus, voire même aux constats de la publication du rapport du letton Nils Muiznek, Commissaire Européen des Droits de l’Homme ? Son rapport est rapidement évacué des médias, même lorsque, avant même «Charlie» – il avait relevé un recul de la tolérance en France !

Combien de médias avaient relevé que la crise ukrainienne n’aurait du ni être traitée par l’Union Européenne, ni par le couple franco-allemand, alors que l’Ukraine comme la Russie sont membres du Conseil de l’Europe ? L’Assemblée Parlementaire du Conseil (au sein de laquelle avait décelé, de longue date, l’irritation croissante de la Russie devant l’adhésion d’anciens «satellites» à l’Union Européenne et, surtout, à l’OTAN) a suspendu la Russie de son droit de vote au sein de l’organisation strasbourgeoise ! Cela a été peu relevé et Klaus Schumann, esquissant un bilan des deux chemins qu’a emprunté la construction européenne (le chemin de «l’intégration» avec l’Union Européenne à 28, celui des activités «inter-étatiques» des 47 du Conseil) de se demander, non sans raison, si «les 65 ans du Conseil de l’Europe ne sont pas l’âge idéal pour gagner un repos bien mérité ?». Bref : le Conseil, c’est stop ou… encore ?

Et au début… il y eut le Conseil !… – Klaus Schumann se force à une sorte de neutralité bienveillante dans la réponse à cette question qui lui permet de rappeler ce qu’on oublie trop souvent : le Conseil de l’Europe, organisation inter-étatique liée à la règle de l’unanimité, dont le secrétaire général (au contraire de celui de l’ONU par exemple) n’est même pas autonome, mais dépend étroitement du comité des ministres, a été, directement indirectement, à l’origine du mouvement de rapprochement européen. Parce que il n’a pas pu concrétiser suffisamment les aspirations de ceux qui lancèrent, au Congrès Européen de La Haye (1948) le mouvement d’intégration européenne, il a suscité, grâce à «Six» de ses membres, la naissance de la «Communauté du Charbon et de l’Acier – CECA» d’où sortiront, peu ou prou, les structures du Marché Commun et de l’Union Européenne.

S’est ainsi ouvert le double cheminement, parallèle, de l’unité européenne : le premier, à Strasbourg, creuse sa route avec peu de moyens (0,3% du budget de l’Union Européenne !) mais avec de la conviction, dans la coopération inter-étatique, le second, lui, façonne essentiellement depuis Bruxelles, la voie de l’intégration. On peut se demander (l’auteur le… laisse entendre sans plus !) si contrairement à la théorie qui veut que les parallèles se rejoignent à… l’infini, ces voies parallèles, à force d’élargissement territorial et de nécessité de consensus unanime du côté de l’Union Européenne, ne sont pas en train de se rejoindre !

Le Conseil ouvre la voie pour les Droits de l’Homme. – Faisant trop rarement la «Une» des médias ou alors sur des sujets relevant souvent du «fait divers», le Conseil a labouré le champ de ses possibilités établissant, dans le consensus, des normes juridiques dans les relations entre les «nations», contribuant à définir des cadres institutionnels (y compris par la mise en œuvre d’élections démocratiques) pour les états de l’Ex-Europe de l’Est, mettant ses experts à la disposition d’autres institutions internationales (OCDE voire Union Européenne) pour des actions ponctuelles, gérant des relations parfois difficiles entre états membres, ou en voie de l’être (la Turquie, membre, rappelons-le, depuis les origines et la Grèce, y compris celle des colonels, Chypre, Espagne de Franco, Portugal de la «révolution des œillets», ouverture à l’Est, fin de l’URSS et nombreuses adhésions de ses anciens pays-satellites, etc…).

Sans oublier les interventions à caractère social humanitaire, de santé (exemple : création, en 1964, à Strasbourg, de la «Pharmacopée Européenne») etc… Le chef d’œuvre symbole de l’action étant, peut-être, la création, toujours à Strasbourg, de la «Commission Européenne des Droits de l’Homme» et celle, dans ce sillage, de la «Cour Européenne des Droits de l’Homme». Les «Droits de l’Homme» incarnent, sans doute, l’action la plus «spectaculaire» et la plus originale d’un Conseil de l’Europe qui (comme du reste l’Union Européenne) s’interroge sur son avenir.

«Conseil» ou «Union Européenne», pour les Droits de l’Homme ? – L’avenir suppose peut-être un rapprochement, ou plutôt la définition d’une complémentarité entre le Conseil et l’Union : une approche qui mettrait les deux structures à l’abri de rivalités et de compétions qui s’esquissèrent, dès l’origine, dans la volonté des «Six», pourtant membres du Conseil, de privilégier une installation à Luxembourg et Bruxelles plutôt qu’à… Strasbourg ! Les rivalités entre les deux structures européennes n’ont pas été rares et Klaus Schumann d’évoquer les débats de «Bruxelles» autour d’une adhésion de l’Union au Conseil de l’Europe ou de son adhésion ès qualité à la Convention Européenne des Droits de l’Homme : cette dernière ne s’est pas faite parce que… l’Union a privilégié -on croit rêver- sa propre conception des Droits de l’Homme !

Pourtant, un certain Jean Claude Juncker, qui n’était pas encore président de la «Commission» de Bruxelles, avait rédigé, publié en avril 2006, un rapport sur le thème : «Conseil de l’Europe et Union Européenne : un action commune pour le continent européen (Europarat – Europäische Union: ein gemeinsames Bestreben für den europäischen Kontinent)».

Et Klaus Schumann de citer ce propos de Juncker : «Sur le fond, Conseil et Union ont parfois des rivalités stupides, qui n’ont plus aujourd’hui leur place. Le respect des Droits de l’Homme, les activités culturelles, tout comme le travail dans le domaine des normes, font du Conseil de l’Europe une organisation à laquelle l’Union ne pourra jamais se substituer. Il en ressort que le Conseil et l’Union sont, par définition, complémentaires !»

Un «Juncker» pour l’unité ? – Juncker se souviendra-t-il de son rapport, peut-être déjà oublié dans un tiroir ? Surtout à l’heure où, ne nous le dissimulons pas, l’Union Européenne affronte ses propres difficultés. L’Union ne peut qu’être amenée à s’interroger, elle aussi, sur son avenir : approfondissement ou poursuite de l’extension en quête d’unanimité, retour à la voie de l’intégration, au besoin avec un noyau dur d’états, ou dilution dans l’inter-étatique ?

La confiance retrouvée des citoyens dépend sans doute de la réponse à ces questions. Qui finalement a réellement conscience du fait que Conseil comme Union se trouvent à une croisée de chemins où on découvre un panneau indicateur portant l’inscription : «STOP ou ENCORE ?» Des humoristes -font-ils encore rire ?- ajoutent : «Le panneau est brandi, à bout de bras, par… Vladimir Poutine !»

(1) – „Europarat – 65 Jahre im Dienste des Projektes Europa. – Verdienter Ruhestand oder Zukunftsperspektive?“ par Klaus Schuann – Grin-Verlag Norderstedt. (www.grin.com/de/e-book/288689/europarat-65-jahre)

 

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