Vivre sans fin ? Aux Bibliothèques idéales

Begbeider, Etienne Klein et Pascal Picq discutent aux confins du transhumanisme

L'immortalité pour l'homme ? Aux Bibliothèques idéales de Strasbourg avec Frédéric Begbeider, Etienne Klein et Pascal Picq

(MC) – Le célèbre et télévisuel Frédéric Begbeider se met lui-même en scène, dans une certaine mesure, dans son dernier roman, Vivre sans fin, paru chez Grasset. Il ne veut absolument pas mourir. Il est donc allé interroger de très grands spécialistes en leurs domaines, dans les plus prestigieuses universités du monde. Et il est revenu comme cestui là qui conquist la Toison, comme lui plein d’usure et presque de raison.

Vivre sans fin ? Pour en débattre, Begbeider a fait dialoguer deux grands intellectuels : le physicien et épistémologue Etienne Klein, cher aux auditeurs de France Culture – du mois à ceux dont le QI dépasse en proportion les autres mensurations – et le paléo-anthropologue Pascal Picq, célèbre pour avoir réussi à produire une datation au carbone 14 de Line Renaud.

En filigrane apparaissait la question du transhumanisme, si obsessionnellement débattu actuellement. «L’homme est quelque chose qui doit être dépassé », écrivait déjà Nietzsche, grand amateur de chocolat chaud. Mais est-ce bien sûr, et pour quoi faire ? Et la quantité est-elle gage de qualité ?

Quel état du monde allons-nous léguer à Keith Richards ? C’est la grave question que pose Etienne Klein en commençant son intervention. L’immortalité ? On peut espérer en une très importante augmentation de la longévité, mais au-delà ? En tout cas, une personne devenue immortelle mettra un certain temps à se rendre compte qu’elle l’est, fait remarquer le physicien avec pertinence. Et puis, ajoute-t-il : imaginez la peur bleue d’une telle personne à l’idée d’être victime d’un accident ou d’un attentat… Il est effrayant de penser à la perte de sa vie ; mais combien plus encore il l’est de perdre son immortalité ! De quoi mourir de peur.

Les propos de Klein portent beaucoup sur la notion de progrès. Troublant : ce mot disparaît des discours publics entre 2007 et 2012… Il est remplacé par le terme « innovation ». Or, il traduit quelque chose de bien différent. L’innovation sert à maintenir, le progrès, à construire. Francis Bacon, au 17eme siècle, l’écrit déjà ; il est le premier à user de l’expression « innovation technique » – et il est plagié dans un Rapport de la Commission européenne de 2010 . Selon cette conception, le temps corrompt, détruit ; le progrès, lui, construit. Les philosophes des Lumières et Kant le disent bien : le temps est constructeur et sacrificiel ; cela parce qu’il suppose un horizon collectif, qui assure l’individu que son travail, qui est toujours peu ou prou sacrifice, présente une utilité future et collective, voire universelle.

Cela signifie que la disparition du terme « Progrès »  est liée à l’absence d’une philosophie de l’Histoire qui aujourd’hui, nous dirait son sens – sa direction et sa signification.Un futur collectif ? Le sens de 2020, de 2050 ou de 2100 ? Nous ne pouvons plus y croire ; depuis 1918, nous n’avons plus cette naïveté.

Pascal Picq, lui, remarque que le foisonnement incontrôlé des informations, vraies ou erronées, produit une sorte d’archaïsme, de régression : en politique, on en revient à des formes plus anciennes : Poutine au tsar, Erdogan au sultan, notre président à Bonaparte… Cela aussi traduit le défaut d’une vision partagée pour le monde de demain.

Puis Klein propose de confronter la notion de progrès à elle-même, au lieu de la refuser : il faut faire progresser le progrès, par le travail du négatif (cher à Hegel). Une expérience de pensée se montrerait très féconde : ce serait de propulser Diderot, D’Alembert et tous les grands philosophes des Lumières à notre époque. Mais pas trop vite,les pauvres, pour les ménager… Visite en Terminale : éberlués ; quoi, les élèves savent tout cela, à 18 ans ! Au CERN : ah, le bozon, les différences entre matière et masse ! Renversant ! Dans les rues : ah, vous êtes allés sur la Lune, et des gens crèvent de faim dans le 16eme arrondissement, quand ils ne sont pas enfermés par votre police ! Oui, cette expérience de pensée permet de réactiver le progrès et de le réenchanter.

Pour conclure, nos deux compères, s’adressant à Begbeider qui réapparaît lâchement au dernier quart d’heure de la rencontre, estiment que dans cette question du transhumanisme ou du post- humanisme, au-delà du hype contemporain, les techniques nouvelles ne sont pas généralisables à toute l’humanité. Un milliard d’êtres humains n’ont jamais vu de prise électrique… Il se passerait donc que la génétique et les techniques de pointe feraient passer une partie de l’humanité vers une autre espèce. Et pas l’autre.

Imaginons alors le regard que ces êtres porteraient sur l’Homo sapiens : un regard empathique, comme le nôtre sur les animaux ? Ou bien un regard post-nietzschéen qui ne verrait en ce dernier qu’un sombre crétin à écraser à coups de talon ?

Nous en saurons bientôt davantage.

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste