« Vouloir fermement, c’est pouvoir ! » (Victor Hugo)

L'utilité de l'Union européenne dans la lutte contre l'évasion fiscale

Les Frères Rapetou (The Beagle Brothers) Foto: BRAT'IA GAVS / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – Sans doute le Parlement européen pourrait-il devenir un excellent instrument dans la lutte contre l’évasion fiscale, à l’opposé de la représentation populaire trop courante des institutions européennes. Il pourrait l’être. A cela, 2 conditions essentielles : croire que la politique, au meilleur sens du mot, a un rôle à jouer dans son activité, avec et envers les supposés « impératifs économiques de la mondialisation » ; et puis, conférer au Parlement un rôle plus important face à la Commission. De manière générale, le caractère démocratique des institutions européennes aurait de toute manière beaucoup à y gagner.

Tout le monde sait que la lutte contre l’évasion fiscale, théoriquement, est un impératif tout à fait prioritaire : chaque année, 850 milliards d’euros disparaissent des caisses européennes. Un banditisme d’un type particulier, qui perd son caractère éventuellement abstrait dès qu’on se figure ce que cette somme peut représenter comme prestations sociales ou comme moyens pour favoriser le passage aux nouvelles technologies et à une transition vraiment durable !

Premier impératif pour que l’Europe puisse réellement briser cette règle d’airain du laxisme fiscal : supprimer la règle de l’unanimité. Cela est possible si on essaie ce qu’on appelle la « coopération renforcée » : à savoir la décision et la mise en pratique par un minimum de 9 Etats. Cette procédure, au moins, permet d’agir et d’avancer, malgré son ambivalence (elle est susceptible de devenir l’instrument d’une « Europe à plusieurs vitesses », par le biais de la constitution de groupes restreints – ces « groupes pionniers » que préconisait Jacques Chirac lors d’une visite au Parlement européen de Strasbourg…). C’est donc, dans une certaine mesure, un compromis entre cette fichue unanimité si facile à briser à des fins mauvaises et l’émiettement de la volonté européenne.

Mais quand il s’est agi de dresser une liste noire des Etats champions de l’évasion fiscale, comme par enchantement, aucun Etat européen n’y figurait… Etrange, non ? Pourtant, étaient très précisément concernés : Malte, Chypre, les Pays-Bas (où déferle chaque année la somme gigantesque de 4500 milliards de dollars, provenant des grandes multinationales, mais où le PIB est d’environ 850 milliards de dollars « seulement »…), et le Luxembourg. Le Luxembourg de Jean-Claude Juncker, oui oui, et c’est là que le bât blesse d’abord… Le dévoilement des LuxLeaks, en novembre 2014, a montré avec une sorte d’indécence quels grandioses cadeaux le cheminement tortueux des arrangements fiscaux et la collusion avec les lobbies financiers ont permis aux grandes, aux très grandes entreprises : Amazon, Apple, la Deutsche Bank, Heinz, Ikea, Pepsi. Pourtant, Juncker a introduit la pratique (au moins théorique…) des tax rulings, ou rescrits fiscaux, qui permettent une intervention extérieure contre l’évitement fiscal.

La fiscalité européenne manque gravement de transparence et de cohésion ; au niveau européen, on joue sur l’ambigüité de cette expression de « concurrence libre et non faussée » qu’on peut lire sur les traités européens. Le Parlement européen doit essayer d’imposer la transparence aux grandes entreprises, et cela, non pas seulement pour la globalité de leurs activités, mais au sein de chacun des Etats où se partage leur activité. A cet égard, il est indispensable de protéger les whistleblowers (lanceurs d’alerte) et de circonscrire clairement leur activité. Des progrès substantiels ont été réalisés l’an dernier, grâce surtout à l’activité inlassable et admirable de députés comme Virginie Rozière, appartenant au Groupe Socialistes et Démocrates.

Autre évidence à rappeler, et sur laquelle il faudra se donner les moyens d’agir efficacement : l’importance démesurée du lobby financier à Bruxelles. Pour résoudre la crise de 2008, on y a fait appel, non à des acteurs du terrain économique, mais pour 55 % à des organisations émanant de l’industrie financière ! Le lobby financier de Bruxelles, ce sont environ 1700 lobbyistes, et de 120 à 150 millions d’euros de dépense chaque année…

Il faudrait trouver les moyens d’action qui permettraient de demander, in concreto, à la Banque centrale européenne de contrôler réellement les flux financiers, c’est-à-dire de bloquer ceux qui se proposent de galoper sur leurs petites pattes vers les paradis fiscaux.

Dans une certaine mesure, l’Europe sommeille, l’Europe doit être réveillée. Significative aussi de cela, la taxation des GAFA (Google-Amazon-Facebook-Apple) : pour quand ? Une mesure aussi éminemment populaire est difficile, très difficile à mettre en œuvre, semble-t-il… Il en est question depuis quelques années ; mais la Commission européenne est divisée et empêchée notamment par l’opposition de l’Irlande, de la Suède, de la Finlande et du Danemark. La décision de s’y attaquer au niveau national français, prise par Bruno Le Maire, s’est visiblement un peu ensablée…

Des résultats qui paraissent modérément exaltants, pour l’instant… Mais la politique a son rôle à jouer. Les institutions européennes, ce ne sont pas seulement des organismes qui flottent pesamment dans le ciel plombé d’un affairisme indécrottable. C’est la possibilité réelle pour les citoyens d’agir dans notre sous-continent européen. Mais que peut le Parlement au juste ?

Le Parlement ne peut pas assez, mais il peut. Le traité de Lisbonne, signé en 2007, en a élargi les prérogatives ; il a déçu, parce que beaucoup s’attendaient à davantage. Précisément, il faut que les citoyens s’y intéressent vraiment, s’en emparent (mais pas avec des méthodes de gilets jaunes!) et fassent progresser sa teneur exécutive.

Pour ce qui concerne ce point, le Parlement européen (dont les députés, rappelons le à toutes fins utiles, sont élus au suffrage universel !) disposent de compétences de contrôle de l’exécutif, et de compétences dans le domaine législatif – certes trop limitées… Le Parlement élit le président de la Commission, et le choix des membres de la Commission est soumis à son approbation. Il peut questionner le Conseil et la Commission, recevoir des pétitions provenant des citoyens comme vous et moi, surtout comme vous, et constituer des commissions d’enquête. Pas mal, tout de même, non ?

On n’y pense pas assez : le Parlement comprend des armes intéressantes pour les citoyens européens. Encore faut-il qu’elle s’en empare et les utilise…

 

 

 

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