Zeus, Pandore et Macron !

Alain Howiller sur un capitalisme qui devient de plus en plus fou.

Le capitalisme fonctionne - mais seulement pour une toute petite frange de la population. Foto: Weixi Zeng / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – « Il faut réécrire les règles de l’économie de marché… Le capitalisme sans freins ne fonctionne pas » – le Prix Nobel 2001 d’Economie Joseph Stiglitz ne mâche pas ses mots. « Nous sommes vraisemblablement les témoins de la fin de la mondialisation », souligne depuis Londres Neil Shering, chef économiste de la société de conseil et de recherche économique « Capital Economics ».(1) « Le capitalisme contemporain est dysfonctionnel… Le capitalisme est devenu fou… Il faut un retour à une économie sociale de marché où chacun trouve sa part », au lieu de la « captation des richesses par quelques uns !… » ; avait lancé Emmanuel Macron, à Genève, lors de la commémoration du centième anniversaire de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

Les constats sont nombreux mais les convergences tardent à se manifester chez tous ceux qui, sans précautions, ont ouvert ce qu’on appelle « la boîte de Pandore » de l’économie politique plaquée sur le monde. Les divergences, sans doute, sont inévitables lorsqu’on ouvre la pochette surprise que nous avons hérité de la… mythologie grecque. Bref retour sur le passé !…

Rien n’est jamais perdu ! – Un jour. Il y a si longtemps que la mémoire des hommes en a, d’une certaine façon, effacé jusqu’au souvenir, un jour donc, Zeus, le roi des dieux, le maître de l’univers selon la mythologie grecque, ordonna, pour se venger, qu’on crée avec de l’eau et de l’argile une femme idéalement belle et douée qu’il baptisa « Pandore » ou plutôt « Pandora » qui signifie « douée de tous les dons ». Lorsqu’il la donna en mariage, il lui confia un coffre (une jarre selon certaines versions) avec la recommandation expresse de ne jamais l’ouvrir. Recommandation vaine : la curiosité l’emporta et Pandora ouvrit le coffre ! Zeus y avait enfermé tous les maux et fléaux de la terre, la famine, les guerres, les maladies.

L’humanité toute entière souffrira de la désobéissance de Pandora qui avait eu la très mauvaise idée d’ouvrir le coffre – la boîte dira-t-on plus tard – qui lui avait été confiée. « Cette histoire écoutée aux portes de la légende », pour paraphraser ce propos de Victor Hugo, nous poursuit jusqu’à aujourd’hui et les responsables qui ouvrent la boîte de Pandore sont légion ; ils plongent leurs peuples dans des sidérations qui -heureusement – ne sont pas que porteuses de difficultés. Il est vrai qu’il y avait aussi dans la « boîte », selon la légende, même dans ma version écourtée, un élément positif : l’espoir ! Rien donc n’est… jamais perdu, et c’est le moment de se le rappeler alors que le monde semble vouloir mettre en question le libéralisme et la mondialisation dont il avait essayé de se nourrir depuis la seconde guerre mondiale.

Capitalisme : le retour de Karl Marx ? – Certains font semblant de redécouvrir Karl Marx qu’on croyait mort et enterré depuis la faillite du communisme et plus particulièrement de l’URSS ! Les philosophes vedettes redécouvrent, en France notamment, les « vertus » de l’anarchisme. Michel Onfray tient des propos aimables sur Proudhon dont l’histoire retiendra surtout le fameux : « la propriété, c’est le vol » (en fait, il visait la propriété non liée au travail). L’économiste-star Thomas Piketty, tout en affirmant que « l’histoire ne se répète pas », consacre un ouvrage de 1200 pages à une analyse historique(2) des inégalités pour constater : « L’inégalité n’est pas économique ou technocratique : elle est idéologique et politique… » et proposer en alternative « à l’idéologie propriétariste », la création d’un « socialisme participatif » au cœur d’une Europe fédérale et démocratique. On n’est pas loin du retour au principe des « phalanstères », sorte de regroupement de lieu collectif de vie et de travail imaginé au 19ème siècle par l’utopiste Charles Fourier.

A force d’interroger l’histoire qui, dit-on, ne repasserait jamais les plats, on va finir par oublier de préparer l ‘avenir. Pourvu qu’on ne finisse pas, pour faire face aux problèmes démographiques de la planète, par ressusciter les thèses du pasteur Malthus qui prônait, notamment, l’abstinence sexuelle pour ceux qui n’auraient pas les moyens de nourrir leur progéniture !

Un ordre qui se dissout dans l’eau ! – L’actualité, pourtant, interpelle l’opinion : de conflits sociaux en guerres commerciales, politique et économie s’entremêlent et la brutale confrontation économique met plus sûrement en cause la domination sur les marchés que ne le fit, jadis, au tournant des XIXème et XXème siècles, la canonnière envoyée sur le Yang Tsé Kiang pour faire plier les hordes sauvages des « boxers » et l’impératrice de Chine ! Dans quelle société, nourrie par quelle idéologie, allons nous entrer faute de voir survivre la société qui essaye de préparer, malgré tout, l’avenir ? « Considérons enfin la façon dont l’économie se mêle à la politique », écrit Kefferpütz, Directeur des Etudes et Stratégies au Ministère de l’économie du Bade-Wurtemberg dans une étude publiée par le think tank néo-libéral Institut Montaigne, « l’esprit et le rêve d’un marché ouvert qui avait si fortement déterminé le tournant des années 2000 est mort aujourd’hui », poursuit le représentant de Stuttgart qui conclut : « L’économie mondiale est entrée dans sa phase géopolitique. Les sphères de la sécurité et de l’économie sont de plus en plus liées… Le monde se divise désormais en blocs économiques rivaux. L’ordre commercial international se dissout progressivement comme du sucre dans l’eau… » Et nos sociétés, que d’aucuns veulent à nouveau enfermer dans des cordons douaniers munis de barbelés, semblent avoir perdu leur boussole !

Nous vivons un moment dangereux. -  « Nous vivons un moment dangereux », clame Piketty ; et Joseph Siglitz ajoute (dans Le Monde du 25 Septembre) : « Nous vivons un moment intéressant : il y a une sorte d’accord sur les maux du capitalisme ! Tel qu’il fonctionne aujourd’hui, il échoue à répartir équitablement les fruits de la croissance, captés par une minorité. De plus, il accélère la destruction de l’environnement et est contesté par une partie croissante de la population, souffrant des inégalités. Mais il est possible d’aller vers « un socialisme progressiste » avec une fiscalité plus juste, des investissements publics renforcés dans l’éducation et les infrastructures…  Les diagnostics ciblent le capitalisme et ses excès, mais les remèdes sont loin de voir converger les solutions : pour les uns, il s’agit de réformer et de corriger, pour les autres, il faut carrément changer de paradigme. »

Pour Emmanuel Macron dont la réputation d’orateur n’est plus à faire : « Quelque chose ne fonctionne plus dans le capitalisme qui profite de plus en plus à quelques uns. Je ne veux plus », a affirmé le Président français devant l’O.I.T., « que nous considérions que le sujet de l’ajustement économique et de la dette prévaut sur les droits sociaux… Quand le peuple ne trouve plus sa part de progrès, il peut être attiré par l’autoritarisme qui dit que la démocratie ne nous protège plus contre les inégalités de ce capitalisme devenu fou. Nous allons faire des murs, des frontières, sortir de ce multiralisme, il est mou. » Il reste à passer aux actes : comme le disait Bruno Le Maire, le Ministre de l’Economie et des Finances venu inaugurer la 87ème Foire Européenne de Strasbourg : « Il est temps de discuter moins et de décider plus ! »

(1) « Capital Economics » est une société internationale de conseil et de recherche en économie, fondée en 1999 à Londres.

(2) « Capital et idéologie » par Thomas Piketty – Editions du Seuil, 1232 pages, 25 euros.

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