Il fut un étudiant étranger
« L'Amérique, l'Amérique, je veux l'avoir et je l'aurai... », chantait Joe Dassin en 1970, alors que Philippe Labro y avait vécu et étudié deux années universitaires bien plutôt.
Et puis il y avait la voix, la voix de Philippe Labro que grâce aux archives audiovisuelles accessibles via le web en quelques clics, nous ne perdrons pas. Foto: ManoSolo13241324 / WikimediaCommons / CC0 1.0
(Jean-Marc Claus) – Alors qu’il avait déjà publié cinq romans dont un sous pseudonyme, j’ai découvert l’écrivain lors de la parution de « L’étudiant étranger ». Celui que j’écoutais sur RTL et voyais sur les plateaux de TF1 ainsi que sur Antenne 2, que je savais journaliste et tenais déjà pour grand, m’apparut terriblement humain à la lecture de cette séquence autobiographique, relatant son année d’étude à la Washington and Lee University en Virginie.
En 1954, âgé d’à peine 18 ans, quand la majorité était encore à 21, fort d’une bourse de voyage Zellidja, il est monté à bord du Queen Mary pour débarquer aux States et suivre une formation universitaire, au cours de laquelle il apprit notamment le journalisme. Une expérience qui devait se conclure par un retour en France, mais celui-ci fut décalé d’une année, suite à une rencontre étonnante, qui donna lieu à un financement auquel il apporta sa part en bûcheronnant dans les forêts du Colorado.
Ce qu’il relata dans « Un été dans l’Ouest » publié deux ans après « L’étudiant étranger », et que je lus avec autant de plaisir et d’avidité, mais bien plus tard. Philippe Labro était devenu mon journaliste de droite préféré, à mille lieues de Philippe Tesson, que j’ai trouvé jusqu’à son dernier jour, agaçant, hautain et sentencieux. Paix à son âme à lui aussi, mais tout de même, lors de la pesée du cœur, la déesse Maât a dû trouver celui de Labro plus léger que celui de Tesson.
Il ne s’agit pas non plus d’en faire un saint homme, pourtant contrairement à d’autres journalistes véritables symptômes de leur époque, il avait conservé non seulement une liberté de ton et une autonomie de pensée, mais entretenait aussi ce qui, selon le classement de Gilbert Cesbron, lui permettait de figurer parmi les grands. C’est-à-dire ceux capables d’intéresser le public à ce qui les intéresse, contrairement à ceux qui s’intéressent à ce qui intéresse le public. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’était pas un suiveur, et les deux récits autobiographiques de son séjour étasunien, en témoignent éloquemment.
Et puis il y avait la voix, la voix de Philippe Labro que grâce aux archives audiovisuelles accessibles via le web en quelques clics, nous ne perdrons pas. Cette voix qui en 2024, disait lors d’une interview sur KTO : « Vous n’êtes pas seul dans la vie. Il y a l’autre. ». Cette attention portée à l’autre, découlant très probablement de son parcours, dont il relatait certaines souffrances psychiques et sa résilience dans « Tomber sept fois, se relever huit » publié en 2003. Un témoignage qui ne fit pas le tintamarre de celui de Nicolas Demorand, révélant sa bipolarité en mars dernier.
A propos de « Ma mère, cette inconnue » publié en 2017, il avait dit lors d’un entretien avec Jean-Louis Fournier : « […] dans toute vie, il y a une question, il y a une interrogation et donc il y a une recherche […] » . Une question, une interrogation, une recherche, il s’agissait en l’occurrence des liens interpersonnels et des histoires familiales dans lesquels ou en marge desquels, chacun doit trouver ou faire sa place. Mais cela renvoie aussi à la démarche journalistique : (se) questionner, (s’)interroger, rechercher. Un processus pouvant parfois-même, coûter la vie à celles et ceux qui s’y engagent.
Or, sans aller jusque là, ne perdons pas de vue qu’au classement de la liberté de la presse fait par Reporters Sans Frontières, cette année, la France est 25ème sur 180, reculant de 4 degrés par rapport à 2024. Tous les journalistes n’ont pas la chance de travailler en Norvège, number one depuis 2017, et les pressions, tentatives de pressions et manœuvres d’influence exercées de toutes parts, sont bien réelles. Si pour Philippe Labro le journaliste était « la réception et la diffusion de l’air du temps », il n’en demeure pas moins vrai que l’ensemble de son œuvre littéraire survivra au temps, et beaucoup gagneront à (re)lire celui qui fut un étudiant étranger.
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