Lino, l’anti-Gégé

Lino Ventura versus Gérard Depardieu - y a pas photo !

Dans « Le roi des truands » (1961), Peppino Navarra est en 1943, le Robin des Bois du quartier napolitain de Poggioreale, soit un rôle sur mesure pour Lino Ventura. Foto: Licio D'aloisio / Reporters Associati & Archivi / Mondadori / Wikimedia_Commons_PD_Italy

(Jean-Marc Claus) – L’appellation « monstre sacré » ne peut décemment plus s’attribuer à Gérard Depardieu, même et à plus forte raison, s’il trouve encore des soutiens, comme Emmanuel Macron dont le premier quinquennat, avait pour grande cause la lutte contre les violences faites aux femmes. Mais le cinéma français ne manque pas de monstres sacrés, dont certains, tels que Lino Ventura, n’ambitionnaient pas ce titre, malgré et surtout à cause de leur immense talent.

Qui se souvient de la passe d’armes de 2012 entre Jean-Marc Ayrault et Gérard Depardieu, le second répondant vertement au premier, ayant qualifié de minable son exil fiscal en Belgique ? Minable était le qualificatif adressé à son optimisation fiscale, adjectif qu’il avait cru attribué à sa personne. Et quelle personne : grand ami du tyran sanguinaire Kadyrov, le préd’acteur obtint l’année suivante par oukase poutinien, la nationalité russe assortie d’une conversion à l’orthodoxie en 2020.

Minable est surtout et avant tout, l’attitude de celui pour qui les femmes sont des objets, dont il se saisit comme il le ferait de sextoys dans un sexshop. Enfin, pas toutes les femmes, car en bon préd’acteur, il en est (bien trop peu) qu’il respecte. A savoir, celles qui dans la pyramide alimentaire de l’échelle sociale, sont à des étages supérieurs, et celles qui dans le monde du spectacle, seraient capables de l’émasculer en un tournemain.

Faible devant les forts et fort contre les faibles, telle est la marque de fabrique de celui dont on ne peut raisonnablement dissocier l’œuvre de l’artiste. Lino Ventura (1919-1987) lui aussi, n’a pas eu une jeunesse dorée : immigration, père évaporé dans la nature, arrêt de l’école à neuf ans pour se mettre au travail, lutteur puis catcheur puis organisateur de combats, il obtint son premier rôle au cinéma à l’âge de trente-quatre ans, pour donner la réplique à Jean Gabin dans « Touchez pas au grisbi », qui sortit en salles en 1954.

Conservant sa nationalité italienne toute sa vie, il n’a copiné avec aucun tyran et ne s’est pas livré à l’optimisation fiscale. Son argent, il l’a mis au service d’une noble cause, le handicap de sa fille Linda (1958-2025) le conduisant à fonder en 1966 l’association Perce-Neige, à l’instar de la chanteuse Alice Dona, qui se mobilisa pour sa sœur Christiane (1955-1999) surnommée Cricri.

Le réalisateur Claude Pinoteau disait qu’il lui fallait, pour accepter un rôle, que celui-ci soit en conformité avec sa philosophie de la vie. D’où une sélection très sévère des scenarii, qui furent à l’écran, le reflet de sa personne, les truands qu’il incarna devant avoir une moralité. Partant de cette même grille d’analyse, endosser le rôle de Cyrano de Bergerac, serait impossible pour Gérard Depardieu, et pourtant il l’a fait car, comme le disait si justement dans « Les tontons flingueurs » (1963), Fernand Naudin alias Lino Ventura : « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. » !

Dans « Boulevard du rhum » (1971), Cornelius van Zeelinga alias Lino Ventura, fidèle à son éthique personnelle, refusa au grand dam du réalisateur et scénariste Robert Enrico, d’embrasser Linda Larue alias Brigitte Bardot. Il refusa aussi, entre autres, le rôle d’Hubert de Marais dans « Apocalypse Now » (1987), parce qu’il ne le sentait pas, et devant se maîtriser pour ne pas le frapper, il blacklista Jack Nicholson suite à « l’offre amicale » que celui-ci lui fit, de sniffer un rail de coke. Propriétaire d’un superbe hôtel particulier à Saint Cloud, appartenant aujourd’hui à Jean Dujardin, il était revenu dans la petite commune angevine de Baracé, où il s’était réfugié en 1942 après avoir déserté l’armée italienne au temps de la dictature mussolinienne.

En 1962, il y racheta l’hôtel-restaurant, où il avait été caché durant la guerre, et il l’occupa comme résidence secondairejusqu’à son décès causé par un infarctus en 1987. A Baracé, fut ouverte en 1994 l’une des maisons de son association Perce-Neige, ses concitoyens le considéraient comme un des leurs, car comme le disait Henri Desmarres qui quitta ce monde en 2024 : « On était obligé d’être à l’aise avec lui, tellement il était à l’aise avec les autres. ». Être à l’aise avec les gens, pour qu’ils se sentent eux aussi à l’aise, soit l’exact opposé du comportement gougnafier d’un certain Gégé, qui n’a vraiment rien de génial.

Il y a fort à parier, que contrairement aux rues Gérard Depardieu, des rues Lino Ventura sont encore à venir. Foto: Chabe01 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

Il y a fort à parier, que contrairement aux rues Gérard Depardieu, des rues Lino Ventura sont encore à venir. Foto: Chabe01 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

 

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