Une France divisée

Mardi 8 juillet, l’Assemblée nationale a voté à une large majorité la loi Duplomb, qui facilite l’utilisation de pesticides.

Des manifestants à Strasbourg contre la loi Duplomb le 29 juin 2025. Foto: ©Félicia D / CC-BY 2.0

(Félicia Dassonville) – C’est un retour qu’on n’attendait pas. Mardi 8 juillet, la loi Duplomb a été largement adoptée à l’Assemblée nationale, après avoir déjà été validée par le Sénat à la suite d’un accord en commission mixte paritaire (CMP). Ce texte, soutenu par le gouvernement et porté par le sénateur Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (Union centriste), vise « à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » en réintroduisant, sous conditions, l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, interdit en 2023 en France, mais autorisé en Europe. Le stockage d’eau sera facilité et les seuils d’autorisation environnementale pour les élevages intensifs seront relevés, permettant aux agriculteurs d’agrandir leur exploitation.

« Un impact ravageur sur l’environnement »« Ce texte, ce n’est pas pour donner plus aux paysans français par rapport aux autres paysans européens, c’est pour leur donner les mêmes chances de réussir. C’est simplement enlever un boulet au pied », explique Laurent Duplomb, sénateur LR et agriculteur. Il ajoute à Ici Saint-Étienne que « la suppression de certaines molécules fait qu’aujourd’hui, on est dans une impasse pour beaucoup de cultures ». Un pari gagnant puisque 319 députés, principalement de droite et d’extrême-droite, ont voté son texte à l’Assemblée nationale. Parmi eux, Fabien Di Fillipino, député de la 4e circonscription de Moselle. « Ce texte est très loin d’être un recul environnemental, bien au contraire. Les filières concernées sont pour la plupart non attractives pour les abeilles. » Selon le député, ils ont inscrit « dans la loi que si usage dérogatoire sur une culture annuelle, il est interdit de planter dans la culture suivante une culture attractive pour les abeilles », a expliqué le député. Une grande majorité de députés du camp présidentiel ont suivi le vote, notamment Gabriel Attal, député de la 10e circonscription des Hauts-de-Seine, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions. L’ancien Premier ministre a tenté de justifier son choix sur son compte Instagram : « Jamais je ne voterai une loi dont je considère qu’elle pourrait être dangereuse pour les Français. La loi votée mardi n’a plus rien à voir avec sa version initiale. […] Cette loi ne généralise pas l’usage de l’acétamipride en France. »

Contactés, les députés du Rassemblement national n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Cependant, le député RN de la 8e circonscription du Bas-Rhin, Théo Bernhardt, a expliqué sur X (anciennement Twitter) son choix de voter pour cette loi : « Nos agriculteurs méritent plus que des promesses, j’ai soutenu cette loi qui va dans le bon sens paysan et de la défense de notre souveraineté alimentaire. » Un avis partagé par Marine Le Pen, députée de la 11e circonscription du Pas-de-Calais : « Les députés RN feront tout pour que la loi Duplomb, facilitant l’activité des agriculteurs, soit adoptée ! Le sabotage législatif mis en œuvre par l’extrême-gauche est une attaque directe à notre souveraineté alimentaire. Plus que jamais aux côtés de nos agriculteurs français », a-t-elle expliqué dans un post Facebook, en tant que cheffe de file du Rassemblement national à l’Assemblée nationale.

Les réactions de l’opposition ne se sont pas fait attendre. Vendredi 11 juillet, l’ensemble des députés de gauche ont saisi le Conseil constitutionnel pour censurer le texte, l’estimant incompatible avec la préservation de l’environnement et de la santé. Pour la France insoumise (LFI), cette loi est « un coup de poignard pour la santé, l’environnement et l’agriculture familiale ». « C’est un recul environnemental immense et aussi pour la santé publique. C’est une loi qui réintroduit des néonicotinoïdes dont on sait qu’ils sont très toxiques et très cancérigènes, et également un impact ravageur sur l’environnement », explique le député LFI de la 2e circonscription du Bas-Rhin, Emmanuel Fernandes. Il ajoute que ces pesticides « s’attaquent et tuent les pollinisateurs, les abeilles notamment ». Pour le député, les néonicotinoïdes sont « clairement reliés à un grand nombre de cas de cancers ».

Même constat pour le parti Europe Écologie Les Verts, qui affirme dans un post Instagram que « les député·es de la macronie jusqu’à l’extrême- droite jouent avec la santé des Français·es et mettent en péril notre souveraineté alimentaire ». « La loi Duplomb, ce sont nos futurs cancers et ceux de nos enfants. C’est extrêmement grave ce qui se passe. On va remettre de l’acétamipride en circulation et on sait que c’est un neurotoxique », a expliqué à LCP Marine Tondelier, secrétaire générale d’EELV.

Cancers, abeilles, etc… - Face à cette loi, de nombreux scientifiques ont tiré la sonnette d’alarme. Fin mai, une lettre ouverte, signée par 1 279 médecins, chercheurs et scientifiques, a été adressée aux ministères de tutelle de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) avec un but précis : interpeller les ministres de la Santé, de l’Agriculture, du Travail et de l’Environnement et dénoncer les risques de la loi Duplomb. Pour Générations Futures, qui alerte sur le risque de ces pesticides pour l’environnement, notamment les abeilles : « On estime que 500 000 hectares pourront être traités par ces néonicotinoïdes. […] C’est impactant pour l’environnement, même si l’acétamipride est considéré comme moins toxique que d’autres néonicotinoïdes, ça reste cependant très toxique », explique François Veillerette, porte-parole de Générations Futures. Selon lui, « les pollinisateurs seront les premiers impactés. Toutes les abeilles sauvages, les bourdons, les petites guêpes, les papillons, les insectes, ça va morfler sérieusement. Et puis, il y a possiblement une pollution de l’eau ».

Un constat partagé par le Dr Meyvaert, médecin généraliste, qui estime que la loi Duplomb est « un grand bond en arrière ». « On expose la population à ce produit. Ce qui me désole, c’est le nombre d’agriculteurs qui sont touchés directement par ce type de pathologie. Ce sont des maladies professionnelles pour eux parce qu’ils manipulent ces produits, ils vont être malades, et même leur entourage, souvent les enfants, qui présentent des malformations », explique le docteur. Il ajoute que les pesticides néonicotinoïdes présentent « des effets sur la santé humaine, et ça agit sur le développement du fœtus, le neurodéveloppement en particulier pour l’enfant. Et ça incrimine dans plusieurs cancers ».

D’après les derniers chiffres du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), les taux de cancers devraient augmenter de 77% d’ici à 2050 dans le monde. Une réalité que beaucoup oublient.

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