Confessions d’un mangeur d’esclaves

Bande de tartuffes ! Même Haendel...

Haendel : célébrateur du Messie et mangeur d'esclaves. Piscine de Roubaix Foto: Chabe01/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – On reparle beaucoup de racisme depuis la mort de George Floyd à Minneapolis, voici quelques jours. « Vieille histoire, mais elle reste toujours neuve », comme l’écrit Goethe à propos de tout autre chose. L’indignation antiraciste a gagné la France par médias interposés, et on s’y indigne pour des personnalités peu recommandables ; mais ce feu de paille, malgré les traditionnelles réactions grotesques, outrancières et irréfléchies,  joue le rôle sans doute positif de fusible. Aux Etats-Unis comme en Europe, en tout cas, les ressorts du racisme anti-Noirs ont bien entendu à voir avec le ressentiment dû à l’esclavagisme, pratiqué pendant plusieurs siècles. La prospérité des économies occidentales repose très largement sur les profits effectués grâce à la main d’œuvre massive et gratuite (des millions de personnes durant plusieurs siècles) que la traite servile a permis. On ne veut souvent pas voir et se rendre compte à quel point.

A quel point la prospérité occidentale repose sur les travail des Africains déportés et traités très chrétiennement comme des bêtes de somme, on ne s’en aperçoit généralement que très partiellement. Et on n’aime pas s’en souvenir : c’est là l’ un des ressorts essentiels du racisme anti-Noirs aux Etats-Unis. Les Blancs, surtout dans les Etats qui ont pratiqué l’esclavagisme le plus longtemps (les ex-Etats confédérés du Sud) ont sans cesse sous les yeux le signe très concret de leur gigantesque et monstrueux brigandage. De leur… péché. Car ces Blancs là sont ceux des Américains blancs qui sont les plus enfoncés dans leur pratique religieuse, dans la « langue de Canaan », dans leurs ressorts biblo-pavloviens. Les pauvres… Nous devrions les plaindre, les KKK et compagnie : sans cesse, sous leurs yeux, les descendants des esclaves qu’ils ont déportés, massacrés par le travail, les maladies et le tabassages réglementés ! Violés, aussi : ces «  Noirs » (souvent métis) sont aussi, parfois, leurs arrière ou arrière-arrière petits-enfants…

Ils ne se sentent pas très bien en présence de « Noirs », et on les comprend. Mais on ne compatira pas. Mais qu’en est-il en Europe ?N’oublions surtout pas non plus ce que la prospérité et la richesse européennes doivent aux Africains.

Examinons un peu les exemples d’Edward Colson et… de Georg Friedrich Haendel. Dimanche dernier, dans la bonne ville de Bristol (au sud-est du Royaume-Uni), des manifestants ont noyé la statue d’Edward Colson. Un personnage qui illustre parfaitement ce qui précède. Edward Colson, homme d’affaires anglais, rejoint la Royal African Company (fondée au 17ème siècle par le roi Jacques 1er lui-même!) en 1672 : une entreprise notoirement et explicitement esclavagiste, qui réalise d’immenses bénéfices. Bénéfices qui font beaucoup de petits, comme on peut bien s’en douter quand on a affaire à des individus aussi furieusement versés dans les activités boursières et bancaires : Colson lui-même fonde notamment un organisme de prêts à partir de sa fortune de mangeur d’esclaves. Il fleurit très vite et engendre tout un parterre de fleurs du mal. Et voilà : Colson, au début du 18ème siècle, confère à la ville de Bristol sa prospérité. Et il accomplit ensuite ses « bonnes œuvres » : il donne beaucoup d’argent, asperge Bristol à droite et à gauche, surtout pour des associations caritatives, généralement à condition que leur conduite corresponde exactement aux habitus de l’Eglise anglicane ; et l’esclavagiste rétribue d’ailleurs certains pasteurs et prêcheurs afin qu’ils maintiennent par des sermons enflammés (et vengeurs) les ouailles de Bristol dans le droit chemin anglican.

Autre exemple tout proche, hélas ! Celui de l’un des plus grands compositeurs européens, d’une densité, d’une profondeur et d’une fécondité rarement égalées… Georg Friedrich Haendel, on le sait, a vécu longtemps à Londres, où il dirigeait la Royal Academy of Music. Dans les années 1710 à 1720 – Haendel est arrivé à Londres en 1712, il avait alors 27 ans – la firme d’Edward Colson, la Royal African Company, est le principal coupable de l’asservissement de centaines de milliers d’Africains. Eh bien, Haendel, celui qui chante si merveilleusement les bienfaits du Messie, auteur de si nombreuses cantates lénifiantes, est investisseur et actionnaire de cette société. Il y réalise des bénéfices substantiels.

Le tiers des abonnés de la Royal Academy of Music de Londres, que Haendel dirige, est d’ailleurs actionnaire et investisseur de cette maudite Company dans le commerce des esclaves africains. Un nombre non négligeable de ces individus possède des propriétés dans les colonies ; il s’agit le plus souvent de plantations. Cultivées au fouet, au sang et à la sueur de tous ces êtres humains réduits à l’état de bêtes de somme. Qu’importe : l’essentiel, c’est de prier et d’aller à l’église le dimanche pour ne pas rater l’office, sous peine de gossips socialement ravageurs… Comment dit-on tartuffe en anglais ?

Mais ces criminels internationaux sont-ils informés sur les conditions précises dans lesquelles les esclaves survivent ? Mal, sans doute. Et les modestes mouvements abolitionnistes naissent tout juste à cette période. Mais cela rappelle un autre débat. Quand après 1945, on demandait aux Allemands s’ils n’étaient pas un peu au courant de la Shoah, ils répondaient souvent : na ja, on savait que les nazis ne voulaient pas de bien aux juifs, mais on ne pensait tout de même pas que, etc. Argument peu convaincant.

Pourquoi le racisme anti-Noir, à Minneapolis, à Washington, à Bristol, à Londres, à Bordeaux, à Strasbourg, en Europe et aux Etats-Unis ? En grande partie parce que nous devons notre prospérité et notre confort aux Africains, et que ça fait mal au narcissisme occidentalo - « chrétien » de beaucoup, beaucoup, de nos concitoyens. Ressentiment historique et social qui pourrit notre civilisation.

A lire sur la plage de Waikiki : David Hunter, The Lives of G.-F. Handel, Boydelle Press, 2015, Txs USA.

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