Evviva MUSICA !

En faim de musique

Andrea Vecchiato interprète une pièce d'Angus LEE, Lapsus memoriae Foto: Rédaction

(MC) – Musica s’est achevé, pour nous, sur les jeunes compositeurs et le concert du Philharmonique de Strasbourg qui interprétait Stravinski, Ligeti et un jeune compositeur tchèque, Adámek. Le Sacre du Printemps et son argument russophile, on connaît, et on en a savouré l’énergie panthéiste. La San Francisco Symphony de Ligeti, elle, nous a surpris par son atmosphère assez légère et son contenu musical presque descriptif. Mais surtout, la pièce d’Ondřej Adámek nous a captivés.

Ensuite, cependant, nous avons parcouru le programme ; le motif de Follow me nous a déçu : alors même que la musique a levé tout un monde en nous, comme une vaste végétation d’algues jaune doré dans laquelle rôdent des silures glanes, cette histoire de Guide de moins en moins suivi par son peuple, puis persécuté par ce peuple, nous a laissé perplexe. D’autant plus que nous avons lu les explications du compositeur en allemand, et qu’en allemand, le Guide se dit… Devinez un peu comment ? Der Führer, eh oui.

Samedi matin, revoilà les jeunes compositeurs de l’Académie de composition que dirigeaient Philippe Manoury, Luca Francesconi et Tom Mays. Des compositeurs dont l’âge varie entre 24 et 30 ans, tous d’une maîtrise déjà extraordinaire, servis par de jeunes virtuoses eux mêmes impressionnants. Est-ce parce que Angus LEE (Lapsus  memoriae opus 33a pour flûte) s’appuyait sur un substrat politique très précis, celui de sa ville de Hong Kong menacée par le régime de la Chine continentale, qui se prétend encore « communiste » ? Cette pièce surtout nous a retenus.

Et le spectacle de ces jeunes femmes et jeunes gens qui composent et qui interprètent sans concessions ces musiques sans facilité est réellement exaltant. – N’est-ce pas, Ma’âme Michu, ceux là au moins ne faucheront pas nos sacs à mains dans les trams et le métro !

Pour ce qui est des impressions générales que laisse cette édition 2018 de MUSICA, on est frappé par le recul proportionnel des musiques « nouvelles » : Debussy, Zappa, Marquis de Sade, les Beatles, Cosmos 69 de Thierry Balasse (avec ses interprétations live de Pink Floyd, David Bowie, King Crimson), et dans une grande mesure, Stockhausen, on ne peut vraiment les qualifier de nouveaux… Mais nous admettons bien volontiers qu’il faut quelques slot machines pour tirer et pousser financièrement le reste, à savoir des productions d’une qualité et d’un niveau tout à fait exceptionnels… et nouveaux ! Et puis, on commémorait le cinquantenaire de Mai 68 avec des thématiques circulaires autour de cet événement ambivalent.

A l’autre extrémité du balancier, de belles surprises pour des auditeurs candides comme nous le sommes : l’Ensemble TALEA et son interprétation de Sideshow, de TAKASUGI, cette histoire expressionniste de freaks et d’éléphant électrocuté par dessus la causticité de Karl Kraus. Et Alexander SCHUBERT aussi pour la radicalité de son propos et surtout, de sa composition ; il renouvelle la musique nouvelle, ce qui est la moindre des choses… Et tant de beaux cadeaux comme ce film sur SCELSI, les explications de FRANCESCONI lors d’une rencontre à la BNU, la prestation densissime de David JISSE au Palais Universitaire, le puissant Homo Instrumentalis et sa chorégraphie, et tant et tant !

Au bout de deux semaines, et comme les années précédentes, au terme de ce parcours qu’est MUSICA, on a vraiment l’impression d’être allé plus loin, d’arriver quelque part assez loin sur un chemin qui reste ouvert sur ce qu’il reste du Globe à explorer, malgré sa finitude.

Cela concerne l’intérêt général qu’il y a à écouter ces musiques et à s’y concentrer. En déambulant à Strasbourg, notre capitale européenne à la Hänsel und Gretel, sur la Klewerplàtz et autour de la Knowligàss, on entend encore souvent dire : oueuh, une musique d’intellos, des crissements crispants et des sons rase-cortex à longueur de semaine ! Not for me. Eh bien, c’est faux, Ma’âme Streckdenfinger !

En réalité, on entend chaque jour, par exemple, du rock, des musiques diverses mais en général bien acceptées dans notre vie quotidienne. Ces musiques obéissent sans cesse aux même codes, peu ou prou. Elles nous insèrent dans des codes précis, nous confortent ainsi comme on entre dans un wagon capitonné, pour avancer vers une destination intentionnelle et connue. On est ainsi contenu comme dans une boîte de conserves à pattes.

Eh bien : la musique « contemporaine » (qui parfois, est contemporaine depuis bien longtemps) ouvre tout cela. Dans le meilleur des cas, chaque composition est un monde en soi, un monde nouveau, inédit et souvent inattendu. Souvent immense aussi, chez les meilleurs compositeurs. Cette musique est donc réellement une production de la liberté, puisqu’elle fait éclore des structures que personne ne connaissait auparavant : des mondes s’y construisent et se mettent à exister, et nous pouvons nous y introduire sans savoir ce qui nous y attend. Quelle chance nous avons !

La 36e édition de MUSICA a fort bien rempli cette fonction qui est la sienne : nous faire don des manifestations de l’imagination formelle et de la liberté, contre les schémas préétablis qui, notamment, commencent à rendre l’Europe irrespirable . Horreur absolue de l’amnésie, miasmes des préjugés, illibéralisme, particularisme intolérant…

On parie que Viktor Orbán n’aimerait pas Alexander Schubert, et que Matteo Salvini n’aimerait point la musique de Francesconi ?

 

 

 

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