Comment dit-on « masque de protection » en alsacien ?
A notre inventivité linguistique !
(Marc Chaudeur) – En alsacien, on a un ou des termes pour désigner le smartphone (hossebiepser, par exemple) ou l’ordinateur. Mais comment dit-on « masque de protection » anti-COVID ? Ou du moins, comment pourrait-on dire ? Cette question est en rapport avec l’inventivité linguistique, celle dont témoigne les langues vivantes. Quand elles sont vraiment vivantes.
Nous avons reçu sur un réseau social un post envoyé par un habitant de Wandlitz, d’origine berlinoise. Il expose, non pas (hélas) un terme berlinois pour désigner le masque de protection anti-pandémie que nous sommes censés porter de nos jours, mais des lexèmes issus de divers dialectes ou parlers régionaux allemands.
Dans cette liste, on trouve 6 termes différents. Pour le nord de l’Allemagne (désignation un peu vague…), on a Snutenpulli. Pour Cologne (en kölsch, selon l’expression consacrée) : l’adorable Schnüssjardinche, notre préféré, qu’on pourrait décomposer en : ridelet de la frimousse). Pour la Hesse, autour de Francfort : Babbellappe (si on veut : chiffon de babil). Pour la Thuringe : Fratzenschlüpper, c’est-à-dire slip de tronche. Pour la Saxe, le doux mot de Guschndeggl (à peu près : couvercle de gueule). Pour la Souabe : Maultäschle (pochette de bouche, allusion à un délicieux plat régional, une sorte de ravioli alémanique.)
Et, bien sûr, nous n’avons pas pu ne pas nous poser la question : et en alsacien ? Car beaucoup d’objets apparus récemment ont reçu des désignations particulières, idiomatiques, dans ces dialectes alsaciens qu’on tend à croire en totale dégringolade pour ce qui est de leur usage, et donc de leur inventivité intrinsèque.Dans des milieux numériquement assez restreints, certes. Et le cloisonnement, pour des raisons politiques, entre les dialectes alsaciens et la langue allemande ont vertigineusement accéléré leur déclin quantitatif… et qualitatif.
Alors, nous avons répondu à cette question, et puis nous avons demandé à des locuteurs alsaciens d’y répondre. Pour notre part, nous appellerions le masque de protection anti COVID : Frätzelvorhàng, ou bien Fràtzevorhängele (en changeant simplement la place du diminutif – le diminutif s’avérant omniprésent dans les langues alémaniques, de l’Alsace au Tyrol, comme on sait.). Autre possibilité par nous dégagée : Mülvorhängele, c’est-à-dire : petit rideau de bouche).
Pour ce qui est des locuteurs interrogés, notre question a reçu peu de réponses. On ne peut s’empêcher de se figurer ce qu’une telle interrogation aurait suscité comme plaisir ludique dans les années 1980, encore… Mais laissons : pour notre part, nous n’inclinons nullement à la nostalgie. Bref, nous avons reçu les propositions suivantes, de la part d’une demi-douzaine de personnes – que nous remercions avec chaleur et amitié.
D’abord, le doux mot de Fratzschlaraff : à peu près : pendeloque de trogne… Charmant. Puis un terme encore plus énergique, et même assez canaille : Goschesàck (sac à gueule, littéralement). D’autres termes beaucoup plus gracieux, et même assez mignonnets : Schnùffeldeckel (couvercle à frimousse) et mon préféré, l’adorable Schnùdderlimpel (ou Schnùdderlümpel), petit chiffon à nez, on aurait presque envie d’écrire : à truffe…
Un lexicologue pourrait avancer que dans la composition de ces lexèmes, la métonymie joue un rôle essentiel, surtout la synecdoque (le fait de prendre la partie pour le tout) : si quelques-uns de ces termes évoquent, sans guère d’amabilité ni de philanthropie, la trogne, voire le museau, la plupart désignent le nez ou la bouche, rarement toute la partie du visage qui est concernée, du menton jusqu’en haut de la cloison nasale… Et puis le nez et la bouche renvoient à des fonctions et à des connotations différentes : le nez à l’odorat, au reniflement, à la curiosité, éventuellement à l’indiscrétion… fureteuse ; la bouche, essentiellement à la parole et surtout, au bavardage. Jamais au fait de manger, bizarrement.
J’oubliais, comme par hasard, un seul terme à connotation sexuelle, d’importation française : Präser (diminutif de Präservativ !). Et aussi : e Kopfstring, un string de tête. Où l’on retrouve l’élégante idée contenue dans le terme thuringien Fratzenschlüpper…
Grands mercis à Bénédicte Keck, Adrien Fernique, Marc Trosino, Nelson Fullheart, Jean-Michel Hitter, Jean-Christophe Meyer, Philippe Spitz.
Vous souhaitez participer a la confection des masques et des sur-blouses ? Vous etes chauffeur-euse de taxi, livreur-euse habilite(e) ? Vous avez du tissu, des elastiques a donner ? Le collectif a besoin de vous !