Détruire des statues ?

Ignorance et angélisme historique

Bordeaux et ses richesses (Robin 1780) : son vin et ses esclaves Foto: Jefunky/Wkimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – Effet de mode médiatique passagère ou bien lame de fond ? Les manifestations qui sont nées de l’assassinat de George Floyd dans une rue de Minneapolis se sont répandus dans de nombreux pays occidentaux, et ont eu pour corollaire la destruction des statues de personnages qui ont joué un rôle important dans la traite des esclaves. Ensuite, les iconoclastes (ou casseurs d’images) s’en sont pris à un nombre croissant de personnages historiques, au point qu’on s’est demandé s’ils allaient remonter jusqu’à Clovis (sale massacreur !) ou Jules César, colonialiste notoire, massacreur lui-même, esclavagiste, etc. Jusqu’où remontera-t-on ? En réalité, les problèmes que cela pose fondamentalement, c’est : l’Occident (une civilisation parmi d’autres) en est-il vraiment arrivé à ce point de décrépitude ? Et puis : qu’est-ce que c’est que cette représentation angéliste de l’Histoire ? Où a-t-on vu que l’Histoire des hommes pouvait se faire sans violence ? Elle le pourra le jour où tous les hommes le décideront en même temps… Y croyez-vous ?

Disons le tout net : nous sommes confrontés à une vague de crétinisme sans guère de précédent, alors qu’à chacun de ces prurit ravageurs, on croit impossible de voir un jour pire. Hier, la BBC a fait état d’appels à détruire les statues de Gandhi… Bientôt l’Abbé Pierre ? Dans la « logique » de cette vague de purin, ce n’est pas exclu : l’abbé Pierre représente, bon sang mais c’est bien sûr, les intérêts capitalistes, l’opium du peuple et le réformisme bêlant tout à la fois. Détruisons donc toutes les représentations publiques de ce prêtre catholique réactionnaire ! Vous voyez, ça colle.

Mais que se passe-t-il ? Et quel rapport avec l’écrasement de la glotte de George Floyd sous la botte d’un policier américain raciste et fasciste (oui) ? On pense spontanément, sous réserve d’analyse, à des hoquets de stupidité destructrice comme les attaques de SA dans les années 1920-30 ou la révolution culturelle maoïste de 1966-1970… D’une protestation (américaine) contre les violences policières, on est passé à des émeutes partout, du genre de celles des années 1970, puis à des déprédations ciblées . Puis à des déprédations de moins en moins ciblées. Jusqu’à des peinturlurages de statues de Charles De Gaulle, libérateur du nazisme et décolonisateur ! Issus des même milieux, on l’aura deviné, que ceux qui appellent à balancer aux ordures les statues du Mahatma.

D’un mouvement de révolte contre des violences qui en effet, soulèvent le cœur et mettent les pieds en marche, on est passé progressivement au gros plouf qui se fait entendre dans ces périodes de l’histoire occidentale où des indignations justifiées rencontrent la caisse de résonance large et molle de la stupidité et de l’ignorance. Et cette caisse de résonance est très très large, en ce début du 21ème siècle ; elle est immense. Elle emprunte la forme ectoplasmique des médias, de l’info et de l’infox globalisés, digitalisés. Et d’universités dont on ne sait plus toujours à quoi elle peuvent bien servir, notamment en France. A nouveau, on est passé dans une bulle de manichéisme (pardon pour Manès, immense Maître spirituel) où y a des gentils et y a des méchants et y faut donc donner une claque aux méchants, comme ça il disparaîtront, na.

Ignorance et angélisme sont les deux mamelles qui nourrissent la destruction. A vrai dire, ce fléau amphimamme (à deux mamelles) était présent quelques jours déjà après les débuts de la protestation : la semaine dernière, nous avons publié un article sur la profanation de la statue de Tadeusz Kosciuszko, l’un des personnages les plus admirables qu’ait connus les Etats-Unis en formation notamment contre la puissance coloniale britannique, affranchisseur d’esclaves – malgré les obstacles hypocrites que son ami Jefferson lui avait opposés. Eh bien, cette profanation n’était pas le fait de protestataires noirs, mais d’une nébuleuse composée de jeunes bourgeois blancs aisés (voir photos dans les médias). Puis ce phénomène n’a fait que s’amplifier.

De plus en plus loin, de plus en plus large : ne nous y trompons pas, c’est bel et bien à une ré-exploration du passé de la civilisation occidentale par des masses qui se sentent frustrées qu’on assiste. Mais pourquoi se sentent-elles frustrées, ces masses ? Chaque civilisation produit ses laissés pour compte, et il faut relire en ce sens l’ouvrage génial de Freud, Das Unbehagen in der Kultur  (Malaise dans la Civilisation), 1929. L’un des meilleurs antidotes contre l’angélisme historique ; mais non contre l’animosité rétroactive de certains groupes sociaux. Pourtant, toutes les civilisations s’édifient sur la violence et fonctionnent par ses moyens. Hélas. L’Histoire humaine, de même que l’histoire naturelle dont elle fait largement partie, est injuste donc inégalitaire, on pourrait dire : par essence. Ce qui est très mal perçu par certains, mais le wishful thinking n’a jamais été un facteur de progrès intellectuel et culturel.

Mais au fond, pourquoi acceptons-nous sans guère de réticences, par exemple, la submersion forcée de la statue d’Edward Colston, à Bristol, et non celle d’autres personnalités au moins aussi problématiques ? Cela est lié au mal spécifique (au péché spécifique?) de notre civilisation occidentale. Qu’a-t-il de particulier à cet égard, l’Occident , qui fasse l’objet d’une telle animosité rétroactive ? La réponse tombe presque sous le sens : cette civilisation a entamé très tôt une globalisation sans précédent de l’économie mondiale, imposant ses critères pseudo-chrétiens, dont l’esclavagisme est la facette la plus répugnante et la plus tragique, dont nous subissons tous les conséquences aujourd’hui et que nous subirons demain. Du côté des Noirs d’Amérique (et souvent d’ailleurs), on a senti le sol se dérober sous ses pieds, et on éprouve une angoisse, une frustration et une aspiration peut-être éternelles. Du côté des Blancs, un fort ressentiment, qui atteint dans doute son degré le plus intense dans les Etats du sud des Etats-Unis où les Blancs, Bible en main, ont sans cesse devant leurs yeux les descendants des victimes de leurs crimes. Pas facile à vivre, hein…

Attaquons nous donc maintenant au problème réel, en commençant par l’identifier sérieusement, en cessant d’amalgamer… tout, par exemple en confondant le problème noir (qui d’ailleurs est le problème des Blancs !) avec ceux d’une famille de criminels digne d’un mauvais sketch des Inconnus, comme le fait une certaine extrême-gauche qui ainsi, se décrédibilise et se ridiculise. Employons nous activement à évacuer le gloubi boulga victimaire et pavlovien de ces derniers jours. On devrait en avoir honte. Fi donc.

 

 

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