František Zvardon est de retour !

Après trois mois de confinement sur l'île de la Guadeloupe, l'artiste-photographe František Zvardon a retrouvé son Alsace aimée. Et il nous livre le récit d'un confinement pas comme les autres.

Trois mois de confinement à l'autre bout du monde - les réflexions de František Zvardon. Foto: (c) František Zvardon 2020

(FZ/KL/MC) – Les Alsaciennes et Alsaciens s’en souviennent : pendant le confinement, František Zvardon avait adressé à plusieurs reprises des messages de solidarité et d’encouragement depuis la Guadeloupe. Pourtant, son confinement n’était pas du tout évident, à l’autre bout du monde. Nous étions presque quotidiennement en contact, surpris que les moyens de communication modernes fonctionnent également dans la jungle au pied de La Soufrière… František Zvardon a connu, comme nous tous, des hauts et des bas pendant ce confinement, et nous ne le remercierons jamais assez de partager avec nous et nos lecteurs et lectrices ses réflexions, impressions, pensées de ces trois mois, confiné au paradis.

(c) František Zvardon 2020

(c) František Zvardon 2020

En avril, une mission photographique m’a conduit dans les Petites Antilles (Guadeloupe, Les Saintes, Marie-Galante, La Désirade). Je devais rester sur place huit semaines. C’était sans compter sur la pandémie et le grand chambardement qui l’accompagnait. Je me suis retrouvé confiné sous les tropiques pendant presque trois mois à plus de 7000 km de mon port d’attache.

Et même si cette destination figure en tête dans les agences de voyages comme un lieu de rêve proche du paradis terrestre, le temps m’a parfois paru long.

Pourtant, avec le recul et d’un point de vue professionnel, je ne regrette pas cette période de ma vie. J’ai la chance de pouvoir vivre de la photographie ; mais pour cela, je dois répondre aux demandes de mes commanditaires. Dans une société où « le temps, c’est de l’argent », et le milieu de l’édition ne fait pas exception à la règle, il faut tenir les délais. Ceci implique un stress permanent, un travail toujours dans la précipitation et parfois une certaine frustration lorsqu’il m’aurait fallu peut-être quelques jours supplémentaires pour mener mieux un reportage photographique. Perfectionnisme ? Sans doute.

Confiné dans les Caraïbes, ce temps distendu m’a permis de revenir sur les mêmes lieux, jusqu’à trouver l’endroit précis où la combinaison de l’angle parfait et de la lumière idéale répondait à mes espérances de réussir un cliché intéressant. Pour rendre l’atmosphère d’un paysage, il faut prendre son temps, vivre au rythme de la nature et se laisser imprégner par ce qui nous entoure. Alors seulement le photographe peut espérer restituer un peu de l’esprit du lieu. La puissance de la photographie est d’associer l’âme de l’endroit à l’instant présent : sur l’image, le temps est à jamais suspendu, principe d’une photo réussie.

(c) František Zvardon 2020

(c) František Zvardon 2020

Immergé dans la jungle tropicale, je suis resté frappé d’étonnement et d’admiration devant cette végétation luxuriante riche en formes, en couleurs, en parfums. Aux premiers regards, tout n’est que folie dans cette organisation anarchique, enchevêtrement de troncs, de lianes, de racines, de feuilles. Pourtant, un regard acéré décéléra une organisation minutieuse. Chaque individu s’adapte, joue un rôle spécifique et occupe une place particulière : les fougères au sol sur leur tapis de feuilles mortes, les mousses sur les troncs, les épiphytes suspendus aux branches, les jeunes arbres qui forment le sous-bois et jusqu’à la canopée où la cime des géants étale ses feuilles au soleil.

Un sentiment de puissance se dégage de cette forêt. D’éternité également au regard de l’espérance de vie d’un humain.

Et l’Homme qui marche dans ce labyrinthe de verdure ne peut que faire preuve d’humilité devant la pauvreté et les limites de son imagination en comparaison du spectacle extravagant offert par ce monde végétal foisonnant.

(c) František Zvardon 2020

(c) František Zvardon 2020

Le temps semble s’écouler encore plus rapidement sous ces latitudes que chez nous en Europe.

L’esclavage et son cortège d’abominations a laissé de nombreuses traces dans l’archipel antillais, aussi bien dans la tête et le cœur de ses habitants que dans les nombreux vestiges croisés au cours de mes pérégrinations. Des milliers de femmes et d’hommes arrachés à leur terre d’origine, puis transportés dans les cales suffocantes des bateaux ont été sacrifiés sur l’autel du colonialisme. La sucrière sur la Route des esclaves témoigne de cette époque révolue. L’édifice disparaît sous la puissance du végétal qui l’engloutit progressivement. Les racines des arbres géants décèlent inexorablement les pierres et les lianes envahissent le moindre espace de cette architecture.

Ironie du sort, édifiée par des prisonniers, la sucrière se retrouve prisonnière de la forêt tropicale qui, année après année, fait disparaître cette bâtisse au mépris de la vanité des hommes.

Si ces colons avaient pu prévoir que quelques siècles plus tard, ce complexe sombrerait dans l’oubli, se seraient-ils lancés dans cette aventure qui, certes les a enrichis, mais au dépens de ces milliers de vies exploitées ?

(c) František Zvardon 2020

(c) František Zvardon 2020

Nombre de mes amis et connaissances ont envié mon lieu de confinement. Depuis la France métropolitaine, les Caraïbes font rêver : plages de sable, palmiers … Un vrai décor de carte postale. J’ai aimé ces paysages si différents de ceux qui m’entourent habituellement, et me suis régalé à découvrir ces îles et le côté insolite de chacune.

Mais, solitaire dans ce paradis terrestre et le temps s’éternisant, il me manquait l’essentiel : le plaisir du partage et de l’échange avec l’autre. Pourvoir dire « Regarde …, écoute …, sens … » et éprouver les mêmes sentiments et sensations ensemble.

Le Bonheur n’existe pas, mais la vie peut nous combler de petits bonheurs qui ne dépendent pas de là où l’on se trouve, mais de la façon dont nous regardons autour de nous. Je m’efforce chaque jour de m’en souvenir pour continuer à m’émerveiller de la richesse et de la complexité de la nature qui m’entoure.

Mais quel que soit l’ailleurs où je me trouve, même s’il est paradisiaque, il est un moment où je ressens l’envie et le besoin de rentrer chez moi, là où se trouvent mes amis, là où j’ai construit ma vie.

Notre passage sur Terre se limite à une poignée de secondes à l’échelle du temps : sachons profiter de ce qu’elle nous offre, il suffit d’ouvrir les yeux …

Je souhaite ardemment que les générations à venir puissent encore s’émouvoir des beautés qui s’offrent à nous.

Alors, devant l’urgence écologique, c’est à chacun de faire preuve de responsabilités dans son quotidien, de s’opposer à la frénésie matérialiste et de bien choisir nos gouvernants. Les responsables politiques d’aujourd’hui doivent être capables de se projeter dans le futur et de prévoir les conséquences de leurs actes, de résister à l’appât du gain et d’avoir des ambitions plus réfléchies pour la sauvegarde de la planète Terre et la survie de l’humanité…  dans le monde de demain.

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