A voir, encore jusqu’au 24 octobre 2022 !

L'exposition « Tomi Ungerer. Die Freiheit der Ideen » à la Städtische Galerie Offenbourg retrace l’œuvre du grand dessinateur alsacien. Et cette exposition vaut le détour !

L'exposition de l'œuvre de Tomi Ungerer à Offenbourg vaut définitivement le détour ! Foto: Thérèse Willer / CC-BY 2.0

(Thérèse Willer) – Le dessinateur Tomi Ungerer (Strasbourg, 1931 – Cork, 2019) n’a cessé de célébrer la liberté des idées, des pensées et des images, tout au long de son œuvre. C’est aussi le fil conducteur de l’exposition présentée à la Städtische Galerie à Offenbourg, dans l’année des Heimattage, et réalisée en étroite collaboration avec le Musée Tomi Ungerer – Centre international de l’Illustration à Strasbourg. Elle présente plus de 100 œuvres sélectionnées exclusivement dans la collection du musée strasbourgeois, et qui sont caractéristiques de toutes les périodes créatives et de tous les registres graphiques de l’artiste. Humaniste, Européen convaincu, fervent défenseur des relations franco-allemandes, ce strasbourgeois de naissance s’est forgé une notoriété internationale dans l’univers de l’illustration. Plusieurs thématiques de l’œuvre sont à découvrir au fil de l’exposition, toutes sont marquées du sceau de l’humour et de la satire caractéristiques à Tomi Ungerer.

Homme-animal – Tomi Ungerer s’est emparé dans son œuvre d’un thème satirique qui remonte à l’Antiquité égyptienne et qui fut popularisé dans le monde de l’illustration au XIXe siècle, entre autres par J.-J. Grandville : l’imbrication des formes animales et humaines. L’animalisation de l’être humain s’avère un procédé visuel très efficace pour la critique sociale, qu’Ungerer exploite notamment dans une série publiée sous forme d’un portfolio par le sérigraphe Domberger, Von tierischen Menschen und menschlichen Tieren. Dans cette galerie de portraits d’animaux, il met en relief de manière impitoyable les travers et les faiblesses des êtres humains.

Féminin / Masculin – Parmi les nombreux thèmes satiriques de l’œuvre de Tomi Ungerer figure en bonne place celui des relations entre l’homme et de la femme, qui s’inscrit dans une tradition véhiculée depuis le Moyen Age par les caricaturistes. Le dessinateur s‘y est particulièrement intéressé dans les années 1960 et 1970, lors de son séjour new-yorkais. Dans ses cartoons, édités à l’époque en recueils, il n’épargne ni l’homme ni la femme, et les fait s’opposer en une lutte parfois violente. Son style graphique grinçant et puissant, porté par un trait réalisé à la plume et à l’encre de Chine, est inspiré de celui que Tomi Ungerer considérait comme l’un de ses modèles en matière de dessin, l‘Américain Saül Steinberg.

Oh Heimat ! / Visions d’Allemagne – Pour sa maison d’édition suisse Diogenes, Ungerer a créé 56 illustrations pour 204 chansons populaires allemandes. L’artiste a travaillé pendant 7 ans au Grosses Liederbuch (Grand livre des chansons) qui a été publié en 1975. Tomi Ungerer connaissait bien ce patrimoine que les Nazis s’étaient approprié et que les Allemands avaient rejeté après-guerre, pour l’avoir entendu chanter par sa mère alors qu’il était jeune. L’iconographie du livre est inspirée d‘artistes romantiques allemands comme David Caspar Friedrich et français comme Gustave Doré, et dans sa partie satirique, du caricaturiste alsacien Jean-Jacques Waltz alias Hansi. Dans le même style mais dans un esprit très différent, Ungerer a illustré un projet publicitaire pour le guide de voyage Merian, « Reisen in Deutschland » : sur le thème du voyage à pied et en train, avec des dessins hauts en couleurs qui mettent en scène avec humour des éléments architecturaux et des décors naturels typiques de l’Allemagne.

Métamorphoses – Les métamorphoses constituent un thème majeur pour Tomi Ungerer qui a su en exploiter le puissant potentiel créatif dans de nombreux registres graphiques. Le motif lui permet de transgresser les règnes, que ce soit entre l’homme et l’animal ou entre l’homme et l’inanimé. L’un des exemples les plus significatifs en est certainement le motif de la brouette à bras humains qu’il a imaginé pour la campagne publicitaire, très connue en Allemagne dans les années 1980, des conserves Bonduelle. Tomi Ungerer use aussi de la métamorphose dans le registre de l’humour et de la satire comme le montre la série Schnipp Schnapp, parue en 1989, qui revisite le procédé du dessin-collage initié à l’époque par les surréalistes.

L’enfant dans la société – Tomi Ungerer s’est fait connaître dans le monde entier pour ses livres d’enfants, dont certains sont devenus des classiques. Les héros qu’il imagine sont en général rebelles à l’ordre social établi, d’après l’exemple de Max et Moritz (1865) de Wilhelm Busch, dont l’artiste lisait l‘impertinente histoire dans sa jeunesse. Le livre That pest Jonathan, publié en 1970, raconte ainsi l’histoire d‘un petit garçon très mal élevé, qui rend la vie à ses proches insupportable. Ungerer, cependant, prend le contrepied d’une attitude moraliste en fustigeant l’éducation et la famille, dans un contexte de contre-culture aux Etats-Unis. Egalement conçue à New York et prévue pour une revue, l’histoire d’Elveda se base sur La petite fille aux allumettes de Hans Christian Andersen. Cette première version d’Allumette parue en 1974, qui est proche de celle de l’écrivain Ambroce Bierce par son côté acerbe, critique avec cynisme la société de consommation.

Œuvres politiques – Thème majeur de son œuvre, la critique politique de Tomi Ungerer est présente dès sa période new-yorkaise. C’est sans doute dans ses posters of protest des années 1960 qu’il s’est montré le plus percutant. L’affiche « Black Power/White Power », sur le thème de la ségrégation raciale, était initialement destinée à la couverture du magazine underground new-yorkais Monocle avant de devenir l’une des images iconiques sur le sujet. La campagne d’affiches contre la guerre du Viet-nâm, initialement refusée par son commanditaire, l’Université de Columbia, fut finalement éditée à compte d’auteur. Ungerer use dans les œuvres de ce type d’un style très efficace, proche de celui de la propagande, pour exprimer ses idées et provoquer un choc visuel. Sa critique de la politique allemande n’est pas en reste, dont la campagne pour le SPD dans années 1970, puis l’affiche contre l’émergence du néo-nazisme dans les années 1990, sont des témoins, parmi les plus significatifs.

La vie moderne – Dès les années 1980, Tomi Ungerer a donné du monde d’aujourd‘hui une vision prémonitoire. Dans le livre Symptomatics, il dresse impitoyablement le bilan des symptômes d’une société malade de sa modernité. Ses illustrations, inspirées d‘une campagne publicitaire qu’il avait dessinée dans les années 1960 pour un anti-dépresseur, expriment en de terrifiantes métaphores visuelles ce que l’être humain subit en raison de son environnement : entre autres l’angoisse, la sensation d’emprisonnement, les hallucinations et les cauchemars. Dans un environnement mécanisé et industrialisé qui lui est devenu hostile, il ne reste finalement à l’être humain qu‘une seule échappatoire, celle d’une monstrueuse hybridation, dont Ungerer nous livre une vision terrifiante.

Futur – Dans l’œuvre de Tomi Ungerer, le futur s’annonce très sombre pour les générations à venir. L’énergie nucléaire, la pollution, la dégradation de l’environnement, figurent parmi ses sujets récurrents dès les années 1960. Pour les illustrer, il ne s’est pas cantonné au registre du dessin satirique, mais s‘est également servi de supports inattendus, utilisés parfois même à « contre-courant », comme celui d‘une campagne publicitaire pour une compagnie industrielle nord-américaine. Il tient l’être humain comme seul et unique responsable d‘une catastrophe annoncée, et ne prévoit aucun avenir à ses descendants, ni sur terre, ni dans l’espace. Le pessimisme inné de Tomi Ungerer, qu’il a largement exorcisé grâce à son œuvre satirique, s’est sans doute largement « nourri » du contexte du monde contemporain…

Le lien avec Offenburg : la commande d’un calendrier – A la demande de l’Université populaire d’Offenbourg, Tomi Ungerer a dessiné en 2002, pour le 100e anniversaire de l’institution, 13 pages d’un calendrier dont les originaux ont été précieusement conservés par la ville et sont montrés pour la première fois dans l’exposition. Illustrant des sujets sur l’histoire d’Offenbourg pendant un siècle, ils témoignent non seulement du talent de Tomi Ungerer dans ce domaine, mais également de la curiosité dont il savait faire preuve pour un sujet de commande. Le sujet l’a d’autant plus intéressé que celui-ci s’inscrivait dans le cadre des relations franco-allemandes, un thème cher au cœur de l’artiste.

Tomi Ungerer est né à Strasbourg en 1931 et a passé son enfance et sa jeunesse entre Strasbourg et Colmar. En 1953, il s’inscrit à l’École Municipale des Arts Décoratifs de Strasbourg. À partir de 1957, il s’installe à New York, un séjour qui marque l’ascension fulgurante de sa carrière dans les arts graphiques. Au début des années 1970, il s’installe en Nouvelle-Écosse, au Canada. En 1975, Ungerer fait don d’une partie de son œuvre à la Ville de Strasbourg qui ouvre un musée éponyme, également consacré à l’art de l’illustration, en 2007. Tomi Ungerer est décédé le 9 février 2019 en Irlande, qui était devenu son pays d’adoption en 1976.

Finissage de l’exposition en présence des deux commissaires, Patricia Potrykus et Thérèse Willer, le 23 octobre à 11h. Entrée libre.

Réservation conseillée au 00 49 781 82 20 ou par e-mail à galerie@offenburg.de

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