« Pionnières. Artistes dans le Paris des années folles. »

Valérie Zorn a visité pour vous une exposition à Paris qui vaut le détour ! Avis aux voyageurs qui se rendent dans la capitale…

Une très belle exposition au Musée du Luxembourg à Paris. Foto: Guilhem Vellut from Paris, France / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Valérie Zorn) – Toujours en mission pour Eurojournalist(e), j’ai décidé d’aller visiter l’exposition « Pionnières. Artistes dans le Paris des années folles ». Une exposition organisée par la Réunion des Musées Nationaux, qui se tient depuis le 2 mars et jusqu’au 1er juillet au Musée du Luxembourg à Paris.

En traversant le jardin du Luxembourg sous le soleil, je me disais que dans un monde qui aurait tourné rond dès le début, il n’y aurait pas nécessité de parler de « pionnières », puisqu’un système simplement juste et égalitaire, aurait engendré indistinctement des hommes ET des femmes artistes. Mais le monde de l’art n’a pas tourné rond, ou plus exactement, il a tourné en boucle sur du masculin et a, de ce fait, escamoté beaucoup d’artistes féminines.

De manière utile et logique, les premiers moments de l’expo retracent donc la lente évolution des droits des femmes. On comprend que l’impossibilité d’étudier à l’école des Beaux Arts, l’interdiction de suivre un cours d’anatomie, de modèle nu, d’avoir un compte bancaire, ou d’entreprendre, ne rendait pas la tâche facile aux femmes artistes. Les femmes n’avaient accès ni aux galeries, ni aux collectionneurs, ni aux musées. La peinture à l’huile (comprendre donc la grande peinture) étant plutôt réservée aux hommes, les jeunes filles de bonnes familles devant se contenter d’apprendre le dessin dans des cours privés et de pratiquer l’aquarelle. En réalité, la réussite dans le milieu de l’art, leur était de facto impossible.

Cette superbe expo met en lumière les artistes des années 20, les années folles, en nous montrant que ces années ont été une petite lucarne un peu plus égalitaire, en droits, en libertés, une émancipation gagnée suite à l’effort de guerre des femmes. La grande guerre ayant envoyé les hommes au front, elles ont été contraintes d’occuper des emplois pénibles dans l’industrie, les transports, la santé. On peut voir des films d’archives saisissants dans la première salle.

Le musée du Luxembourg a donc eu une très bonne idée d’exposer le travail de femmes qui ont pris le droit de vivre libres, de s’exprimer, de créer et de gagner de l’argent.

Pour se mettre dans le contexte, il faut imaginer un Paris d’après-guerre, prospère, fourmillant et bouillonnant. La guerre et l’épidémie de grippe espagnole étaient finies, les parisiens recommençaient à vivre et donc à créer. Ces années folles voient apparaitre des mœurs plus libres, des garçonnes, des amazones, des fêtes, une exubérance libératrice, une forte dynamique économique, et une très grande créativité.

Concomitamment, grâce à ce terreau propice, Paris attire le monde entier et des artistes arrivent de partout. Des russes, plutôt aristos, qui fuyaient la révolution. Des juifs polonais fraichement libérés du joug russe. Plus tardivement, des américains qui fuyaient la rigidité puritaine de l’époque de la prohibition. Il y avait aussi des danoises, ukrainiennes, roumaines… Ces femmes artistes pionnières étaient avides de liberté, éduquées, cultivées, parfois excentriques et elles avaient envie de réussir.

Il ne fallait pas se réjouir trop vite car on nous explique rapidement que ce miracle égalitaire n’a pas duré. En effet, la crise financière de 1929, la montée du populisme, puis la seconde guerre, ont eu raison de ce miracle qui n’aura finalement duré qu’une dizaine d’années.

La parenthèse se referme donc rapidement et ces artistes, en tout cas la plupart, ont été purement et simplement invisibilisées par l’histoire. Gommées. Elles étaient pourtant reconnues et à juste titre, car les œuvres présentées sont magnifiques et audacieuses.

Pour parler plus concrètement des œuvres, ce qui est très bien mis en valeur dans l’expo, c’est l’immense diversité des créations. La nécessité financière de ces artistes faisant force, elles ont du se débrouiller et faire ce qu’on appellerait aujourd’hui de la « transdisciplinarité ». Elles ont donc développé leur créativité autant dans les beaux-arts, que dans les arts déco.

Ainsi, on peut admirer quelques bijoux, une robe superbe de Coco Chanel, des couvertures du magazine Vogue, des affiches, des tissus, poupées, ou marionnettes de théâtre. C’est absolument fabuleux de voir à quel point leur palette créative était ample et développée. Libre de cloisonnement académique.

J’ai également vu des peintures que je qualifie de chefs-d’œuvre. Beaucoup de courants différents sont représentés, expressionniste, fauve, cubiste, abstrait, ou nouvelle réalité. Sonia Delaunay, ou Tamara de Lempicka pour les plus connues. Une aquarelle de Marie Laurencin représentant Coco Chanel. Beaucoup d’artistes que je ne connaissais pas et de très belles découvertes. Deux portraits stupéfiants de Romaine Brooks, d’une simplicité travaillée qui leur donne une belle force graphique.

J’ai eu un béguin pour les peintures de Méla Muter, nous présentant des femmes allaitantes, parfois fatiguées, amaigries, qui ne sont pas obligatoirement épanouies par la maternité. Parce qu’en effet, ces femmes représentent le corps tel qu’elles l’incarnent et le ressentent elles-mêmes. Un regard non-désirant, non-érotisé à l’inverse des nus peints par des hommes. Ici, la baigneuse peinte par Jeanne Marval n’est pas nue et lascive, mais tonique, en maillot de bain, sportive, musclée, elle prend simplement le soleil. Elles peignent « vrai ».

Tamara De Lempicka, elle, nous montre un regard lesbien plus désirant dans ses peintures. Parce que dans les années 20 à Paris, on a à peu près le droit d’être lesbienne. On peut admirer trois magnifiques Lempicka très bien mis en valeur par l’accrochage. On peut rester admirer très longtemps les couleurs de « La chambre bleue » de Suzanne Valadon, qui représente une superbe odalisque en pantalon de pyjama avec une cigarette en bouche et deux livres posés au bout de son lit. Il faut être conscient de l’audace de Suzanne Valadon et de son geste presque politique lorsqu’elle s’accapare un sujet plutôt masculin et qu’elle le féminise. Contrairement au Titien (ou à Manet), on ne voit plus une Vénus allongée nue avec un chien fidèle, (ou un chat infidèle), qui attend un légitime ou un souteneur. Il n’y a pas de fleurs, pas de servante, pas de savates à pompons ou de pubis faussement pudiquement épilés ou escamotés. Il y a une femme moderne. Une femme qui n’attend pas forcément de visite. Exit le regard masculin, on est dans le vrai bonheur des dames, une clope et deux bons bouquins.

Pour conclure, j’ai vraiment beaucoup aimé ce que j’ai vu. J’avais un peu l’impression de me promener en compagnie de Virginia Woolf et Anaïs Nin, ce qui n’est pas désagréable, parce ce que j’ai vu que le musée du Luxembourg incarne vraiment « Une chambre à soi ».

Mon ultime visite a été pour l’excellente pâtisserie Mademoiselle Angélina située dans le musée. Résister à la beauté du lieu, aux œufs Bénédicte et à leur fameux gâteau Mont Blanc, était au-dessus de mes forces de femme libre. Je recommande donc à la fois l’expo et la pâtisserie.

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