C’est l’histoire d’un livre…

Pierre-Yves Le Borgn', ancien député des Français à l'Etranger, nous livre aujourd'hui un texte inhabituel et non-politique – son coup de cœur pour un roman policier.

Pierre-Yves Le Borgn' avec "Morte Fontaine", un roman policier autant breton qu'alsacien... Foto: privée

(Par Pierre-Yves Le Borgn’) – J’ai depuis toujours le goût des romans policiers. J’aime me laisser gagner par un livre et une intrigue. Ou par des personnages. Je n’avale pas ces romans. Au contraire, je les lis peu à peu, comme on dégusterait lentement quelque chose de trop bon. Et il m’arrive, après avoir tourné la dernière page d’un livre, de ne pas souhaiter immédiatement en ouvrir un autre, pour vivre quelques jours de plus avec l’histoire à peine achevée, comme porté par le dénouement, imaginant parfois aussi ce que ce dénouement aurait pu être si l’auteur avait fait à un moment ou un autre de son récit un choix différent. J’ai toujours eu ainsi au fond de mon sac ou de ma valise un petit livre de poche, précieux compagnon de tant de nuits solitaires passées dans des hôtels sans âme et de trajets interminables en avion ou en train.

Il y a deux ans, candidat de la France au mandat de Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, j’ai posé ma valise à Strasbourg. J’adore Strasbourg et l’Alsace. L’idée d’y vivre avec ma famille, au-delà de ce magnifique mandat que je voulais gagner, me tentait beaucoup. En attendant, c’est à l’hôtel que j’habitais, à deux pas du Parc de l’Orangerie. Je menais campagne tambour battant le jour, accumulant les kilomètres à pied d’une Ambassade à l’autre, avant de trouver le repos le soir venu dans l’intimité de ma chambre. Au moment de partir pour Strasbourg, j’avais glissé dans ma valise un livre acheté chez moi à Quimper quelque temps plus tôt : « Morte fontaine », de Jean-François Coatmeur. Ce livre a accompagné toute ma campagne. Je n’imaginais pas combien il me toucherait.

Coatmeur, je connaissais. C’est l’un des maîtres de la littérature policière française de la fin du XXème siècle : des romans noirs, puissants, volontiers psychologiques, peuplés de personnages intrigants et mâtinés – chose plutôt surprenante dans le monde du polar – d’une profonde humanité. J’aimais aussi Coatmeur car le décor de ses livres était la Bretagne et plus encore ce Finistère d’où je viens et dont il était également originaire. Le lisant, j’avais l’impression d’être quelque part dans le décor, voire même de reconnaître, si ce n’est certains de ses personnages, tout du moins une part de leurs caractères. A l’automne 2017, je pensais avoir tout lu de Jean-François Coatmeur lorsque je vis « Morte fontaine » au hasard d’un rayon de ma librairie quimpéroise. Chic, un nouveau roman, me dis-je sans même retourner le livre. Je l’achetais sans plus de curiosité, assuré d’aimer.

Ce n’est qu’arrivé à Strasbourg que je réalisais que ce livre était une réédition. Il datait de 1982. Et son récit n’était pas breton, mais bel et bien alsacien ! Il y avait au fond quelque chose d’ironique à être venu lire sans le savoir sous les toits d’un hôtel de Strasbourg un roman renvoyant … au Strasbourg d’il y a 40 ans. Mes jours d’automne en campagne étaient humides et sombres. La saison voulait cela. Le décor du Strasbourg de Coatmeur était tout aussi sombre et humide. Vite, j’ai été happé par le récit. Un client qui claque net dans les bras de Rolande, une call-girl de la ville. Rolande qui fuit l’organisation qui l’a mise sur le trottoir, abandonnant, désespérée, sa petite fille de 6 ans, Sylvie, seule avec son petit chien Tarzan. Sylvie qui cherche sa maman. La maman, fugitive, avec les tueurs de l’organisation à ses trousses.

L’histoire m’a touché. La maman et la petite se retrouveraient-elles ? J’ai aimé tout autant l’humanité des personnages et notamment des policiers. Ce roman a une âme. Passage du Rhin, pays de Bade, villages alsaciens, forêts alsaciennes. J’étais captivé, ralentissant peu à peu la lecture pour l’économiser, sentant que j’avais dans les mains une histoire exceptionnelle. Je découvrais un Coatmeur que je ne connaissais pas, parsemant son récit de phrases en alsacien, livrant une formidable étude de mœurs et surtout une connaissance phénoménale de la société alsacienne. Comment était-ce possible ? Je connaissais le Coatmeur breton et bretonnant, né à Douarnenez, professeur de lettres à Brest, pas le Coatmeur alsacien. Au récit captivant se rajoutait cette interrogation à laquelle je n’avais pas réponse.

Tous les soirs dans mon hôtel strasbourgeois, je lisais avec bonheur ma dizaine de pages. Et je me réjouissais en fin de journée de ce moment à venir. Je souhaitais que Rolande et Sylvie se retrouvent. Et je me promettais, la campagne achevée (victorieusement, l’espérais-je alors), de percer le mystère du lien alsacien de Jean-François Coatmeur. Comment ? En lui écrivant, en allant même peut-être le voir. Le 25 janvier 2018, j’échouais pour 4 petites voix à me faire élire Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. De retour à la maison, dans les jours vides de l’après-défaite, j’entrepris, plein d’espoir, d’entrer en contact avec Jean-François Coatmeur. Pour découvrir tristement qu’il était décédé quelques semaines auparavant et que, tout à ma campagne, je n’en avais rien su.

Ainsi va la vie. Il me reste une histoire : non l’anecdote que je raconte ici, mais bien celle de Rolande, de Sylvie, de tous ces personnages forts et attachants du Strasbourg des années 1980. Ce Strasbourg qui n’est plus, mais que j’aurais sûrement tenté de découvrir par les livres, les arts et les témoignages si j’avais eu la chance de pouvoir y vivre. Dommage. Il aura fallu un romancier breton pour me faire plus encore aimer l’Alsace. Merci à Jean-François Coatmeur. On entend souvent qu’un livre est d’abord une émotion. C’est vrai. « Morte fontaine » me l’a rappelé avec force. Mais je n’en dis pas plus. Lisez « Morte fontaine », pour le récit et pour l’intrigue, pour Strasbourg et pour l’Alsace, pour une époque que chacun, je crois, aura bonheur à retrouver. Et pour le talent d’un très grand romancier.

Pierre-Yves Le Borgn’ est ancien député des Français à l’Etranger et contributeur régulier sur Eurojournalist(e).

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