La «méga-région» de l’est – un laboratoire de la démocratie territoriale ?

Alain Howiller analyse les résultats des élections régionales et regarde vers l’avant – quel chemin empruntera la nouvelle grande région de l’est de la France ?

Philippe Richert, le nouveau président de la grande région de l'est de la France, devra mener une politique plus ouverte qu'avant. Foto: Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Il y a en politique des constats stupéfiants. Ce n’est certes pas original de le dire, mais, au lendemain de ce deuxième tour des élections régionales françaises, c’est sans doute singulier de l’étayer par ces quelques exemples, riches d’enseignement pour l’avenir. Il est tout de même étonnant de constater que c’est au moment où Claude Bartolone, Président de l’Assemblée Nationale, a fait publier le rapport du «Groupe de Travail sur l’Avenir des Institutions» qu’il avait créé pour trouver des pistes de régénération pour notre démocratie, qu’il a été battu dans son rêve de présider la région Ile-de-France dirigée depuis 17 ans par la gauche ! La région a basculé à droite. C’est au moment où, après un dur travail de terrain et l’appui efficace de la gauche, l’ancien ministre Xavier Bertrand a gagné les élections dans le Nord-Pas de Calais-Picardie que tous les observateurs voyaient passer au FN avec Marine Le Pen, a décidé de ne pas se lancer dans la course à l’élection présidentielle de 2017. Il entend se consacrer entièrement, comme sa collègue Valérie Pécresse qui l’a emporté en Ile-de-France, à ses fonctions de président de région, abandonnant même son mandat de député et de maire.

Après les résultats du premier tour qui avaient placé le candidat du FN largement en tête, beaucoup d’observateurs (eurojournalist.eu du 9 Décembre) considéraient que la «grande région de l’Est – Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne» allait passer à l’extrême-droite sous la bannière de Florian Philippot ! C’est finalement Philippe Richert, président sortant de la région Alsace et tête de liste des «Républicains-Centristes» qui l’emportera largement au deuxième tour. Commentant son résultat, il dressera ce constat : «Nous avons trop souvent oublié que nous étions des élus de terrain. Un élu doit aller vers ses concitoyens, doit prendre conscience de leurs très grandes difficultés… Il nous faut faire de la politique différemment, autrement…». Et de lancer la grande idée, qu’un Xavier Bertrand et quelques autres y compris le Premier Ministre Manuel Valls pourraient partager : «Je veux faire de notre région un laboratoire de la démocratie territoriale et faire de la politique autrement».

Oubliée des «grands médias» nationaux ! – Obnubilés par les «grands débats» hérités du passé (confrontations gauche/droite, pronostics sur la future élection présidentielle de… 2017, supputations sur la tactique de François Hollande, avenir de Marine Le Pen et du FN etc…), les médias nationaux n’ont pas pris en compte cette idée de «laboratoire de la démocratie territoriale» qui s’inscrit dans la «tradition rhénane», donc alsacienne, cultivée en Alsace. Cette tradition, que Richert entend étendre au-delà des seuls départements alsaciens, repose sur ce qu’on appelle le «consensus politique» : celui-ci veut que des partis concurrents puissent défendre ensemble certaines idées, certains projets au nom de l’intérêt général. Déjà en 1996, le centriste Adrien Zeller, le prédécesseur de Philippe Richert, avait été élu Président de la Région Alsace avec les voix des élus écologistes : il l’avait emporté contre le candidat gaulliste Hubert Haenel. Adrien Zeller -Philippe Richert l’a rappelé- voulait «faire la politique autrement» !

Tout en se confirmant sur certains grands thèmes (les institutions européennes à Strasbourg, la coopération transfrontalière, l’emploi, le dialogue inter-religieux dans l’esprit -et la lettre- du «concordat»), ce «consensus» s’est un peu effrité au fil des scrutins et des pesanteurs créées par le «bi-partisme» français. Il devait retrouver tout son sens avec la décision, pourtant souvent contestée aussi bien à droite qu’à gauche, de Robert Herrmann, Président PS de l’Eurométropole de Strasbourg, d’ouvrir les instances dirigeantes de l’institution à des élus qui n’appartenaient pas à son camp politique. C’est ainsi qu’à l’Eurométropole, 13 postes de vice-présidents ont bien été réservés à la majorité PS-Ecologistes de Strasbourg, mais 7 postes (dont celui de deuxième vice-président offert à Yves Bur, maire de Lingolsheim, cité de la banlieue de Strasbourg) sont occupés par des élus de droite. Robert Herrmann est également celui qui, à Strasbourg même, a développé les «conseils de quartiers», réunissant des représentants non élus appelés à apporter leur éclairage à la municipalité.

Au-delà de la mobilisation et du sursaut ! – Arrivés troisièmes au premier tour des élections régionales, largement distancés avec un peu plus de 16% des voix par le FN arrivé en tête avec un peu plus de 35% des voix devant la liste Richert (un peu plus de 25% des voix), les candidats de la liste de gauche conduite par l’ancien Président de la région lorraine, l’ancien Ministre Jean-Pierre Masseret, auraient du se retirer pour éviter que le FN ne puisse prendre la région. Au contraire de ce qui s’est passé en région Nord-Pas-de-Calais-Picardie ou en région PACA où les listes PS se sont retirées à la demande du siège parisien du parti, la liste Masseret a refusé de se soumettre à la demande du PS et a résisté à toutes les pressions exercées sur elle ! Devant l’intransigeance de l’ancien ministre, de nombreux élus de gauche (dont les maires de Strasbourg et de Metz) ont appelé à voter en faveur de la liste de Philippe Richert incarnant désormais, face au FN, ce qu’on appelle «l’arc républicain».

Cette mobilisation, ce sursaut qui a augmenté de 412.000 le nombre d’électeurs qui se sont déplacés en plus au deuxième tour (taux de participation record de 59,02 dans l’ensemble de la région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne et de 60,42% dans la seule Alsace) a permis donc à la liste Richert de l’emporter  avec 48,50% des voix devant Florian Philippot (FN, 36,08%) et la liste Jean-Pierre Masseret (15,51% des voix). «Je sais que cela n’a pas été  facile pour les électeurs de gauche et les écologistes (…de voter pour moi)», a commenté Philippe Richert avant d’ajouter : «Cela nous engage et nous oblige. Nous serons à la hauteur de nos responsabilités !» Propos tenus, à peu de choses près, par Xavier Bertrand.

Transcender les clivages politiques, s’ouvrir aux minorités ! – Certes, Philippe Richert n’a pas tout à fait pu faire abstraction du fait que Masseret a maintenu sa liste envers et contre tout, au risque de faire élire Florian Philippot, mais il considère que, maintenant, c’est au PS de régler cette affaire qui implique, en Alsace tout au moins, deux responsables : le haut-rhinois Antoine Homé, conseiller régional sortant, déjà virulent opposant à la fusion des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin soumise à referendum par Philippe Richert, et Anne-Pernelle  Richardot. Le premier avait soutenu le maintien de la liste Masseret, la seconde avait demandé son retrait : ils vont se retrouver tous les deux au nombre des quatre élus socialistes alsaciens, le futur conseil régional comprenant 19 candidats de la liste Masseret, 104 sièges pour la liste Richert et 46 sièges pour la liste FN.

Richert qui, compte tenu de sa majorité, sera logiquement élu, comme premier président de la nouvelle région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, aura à concrétiser son engagement à faire de la politique autrement, en mettant notamment en place une structure qui associera aux choix régionaux ceux qui l’ont soutenu (écologistes) ou non (régionalistes) et qui représentent des minorités non élues, car «Il faut transcender les clivages politiques et se laisser guider par l’intérêt général» (interview aux DNA). La tâche ne sera pas mince, mais elle constituera un élément-clé de la volonté de tirer les leçons de la montée du FN et du manque d’intérêt des citoyens qui a été à l’origine du résultat calamiteux du premier tour des élections régionales. L’effort alsacien sera suivi avec soin au niveau national : la «méga-région» du grand-est sera-t-elle exemplaire à cet égard ?

Panser des plaies, ouvertes… – Mais il s’agira aussi de structurer une région de près de 5,6 millions d’habitants répartis sur 57.400 km2 et 10 départements (dont deux ont donné une majorité au FN : la Meuse et la Haute Marne). Il faudra y soigner des plaies : celles qui se sont ouvertes notamment du fait de l’incompréhension témoignée à l’égard des Alsaciens qui «voulaient rester entre eux par mépris des autres !». Il faudra s’unir pour élire le président, mais aussi pour donner un nom à la nouvelle région et désigner une capitale. Strasbourg, capitale européenne, pourra-t-elle être à la fois Préfecture de région et capitale régionale ? La région a six mois pour trancher. Comment se constituera l’exécutif de la région, qui sera au bureau, quels seront les vice-présidents, qui fera partie de la commission plénière, des différentes commissions, où siègera le CESER, comment répartir les 7.400 agents des anciennes régions, sans léser et sans surcoûts ? Quels seront les futures lieux de réunion ? Quel budget adopter, selon quels critères et quelles orientations : le tout d’ici au 31 Mai, date-butoir fixée par la loi ? Comment établira-t-on le «schéma régional de développement économique» exigé par la loi et qu’y fera-t-on figurer ?

Autant  de questions ouvertes après ce premier mouvement collectif porté par les citoyens de la grande région à laquelle certains espèrent encore trouver un autre destin, pourtant bien improbable : la désunion ! En attendant, suivons ici, dans cette nouvelle région, les progrès espérés du changement dans la politique : espérons qu’au niveau national, aussi, la leçon tirée -dit on- du premier tour aura un suivie, avant qu’il ne soit trop tard… avant 2017, prochaine grande échéance électorale !

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