Un peu de douceur dans ce monde de «brutes»

Si le Forum Mondial de la Démocratie à Strasbourg n'aura pas changé le cours du monde, il aura donné lieu à quelques moments très humains.

Le Forum Mondial de la Démocratie avait lieu à Strasbourg - et il était important de le maintenir. Foto: Eurojournalist(e)

(Par Gervaise Thirion) – On a craint un moment que le Forum soit plombé par les «événements» (appellation contrôlée, ça rappelle des souvenirs). Ils étaient de tous les discours officiels et on se demandait si tous les débats allaient en faire leur sujet central.

Oui, il fallait en parler, oui il fallait se recueillir et respecter une minute de silence. Puis les participants, venus non seulement des 47 pays membres du Conseil de l’Europe, mais des autres continents, se sont mis au travail formant ce   formidable creuset d’idées et fécondant le dialogue entre les cultures d’Europe, d’Afrique, d’Asie et des Amériques» selon les termes de Michaëlle Jean, Secrétaire Générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie.

Celle-ci évoqua également l’opposition entre deux jeunesses, le combat entre deux projets de société à l’échelle du monde : l’un fondé sur la destruction, la régression, l’obscurantisme et la haine, l’autre avançant sur la construction, le progrès, l’esprit des lumières, la fraternité, un humanisme intégral.

Quatre histoires de vie différentes, difficiles, émouvantes mais tragiquement fécondes. – Ce sont des jeunes du «parti de la vie» que nous avons rencontrés et qui nous ont fait part de cette force qu’ils ont réussi à tirer de leurs épreuves :

Mourad Benchallali, français, ex-prisonnier de Guantanamo, fils d’un Imam, engagé dans l’humanitaire qui, victime d’un concours de circonstances et d’influences, s’est trouvé embarqué à 19 ans par son grand frère dans une aventure qui l’a mené d’Afghanistan (dans un camp d’entrainement d’Al-Qaida) au Pakistan après le 11 septembre 2001, puis à Guantanamo, où il a passé 4 ans avant de connaître, comme sa famille, les prisons françaises.

Il a subi la torture et cette histoire lui colle à la peau ; il vit toujours avec cette présomption de culpabilité (son interdiction de voyager, de sortir du territoire…) Ses parents ont subi la double peine, renvoyés dans leur pays d’origine l’Algérie, ils paient la faute de l’un des leurs.

Mourad sait qu’il a fait des conneries, des conneries de jeunesse. Il en a fait un livre «Un voyage vers l’enfer» et s’est engagé à témoigner pour tâcher de dissuader les jeunes candidats au jihad.

Thierno Diallo, Guinéen, rescapé des massacres de Conakry en 2009. A 15 ans il va manifester avec sa mère contre le régime militaire en place et se retrouve séparée d’elle, obligé de quitter la Guinée. C’est le parcours d’un migrant, auquel on a vanté une traversée en bateau (un cargo où le passeur se révèle moins amical) vers la Grèce : la survie avec d’autres migrants africains, la prison. Son but est l’Allemagne (la France, pas assez hospitalière) Il échoue à Strasbourg, dans un foyer pour migrants et découvre le mode de vie français, son attraction pour la langue et la culture française, les tracasseries administratives pour obtenir des papiers…

Thierno est encore en souffrance, sa famille lui manque, il n’a aucune nouvelles, cette rupture du lien l’empêche de vivre avec plénitude toutes ses potentialités car il est plein de ressources. C’est l’écriture qui le sauve. Il faut lire «Moi, migrant clandestin de 15 ans» qu’il a rédigé avec beaucoup de sensibilité.

Steven Hartung, allemand, ex-néo-nazi, issu de Thuringe, cette région rurale allemande, étriquée où malgré le faible pourcentage d’immigrés, se développent des groupuscules bornés et brutaux d’individus prêts à en découdre avec tout ce qui ne leur ressemble pas. Quand il n’y a pas assez d’étrangers, on s’en prend aux militants de gauche. Ces gens là vivent dans une bulle où ils croient trouver une sorte de solidarité de «famille» malgré les désapprobations de leur véritable famille qui, elle, a vécu réellement le nazisme.

Quand les interrogations surviennent, on ne quitte pas le milieu si facilement. Steven l’a fait courageusement, il a changé de vie et s’implique désormais dans le mouvement EXIT pour aider d’autres jeunes à s’en sortir.

Eleonora Zbanke, en Russie, cumule les handicaps : femme, métisse, qui se découvre homosexuelle à l’adolescence. Du contrôle, elle peut en parler : celui du mari de sa mère d’abord (ex-KGB) qui lui interdit de parler sa langue maternelle, le roumain et qui la prive de tout espace de liberté. Il la place dans une communauté religieuse.

Ensuite, le contrôle de l’Etat qui promulgue des lois de plus en plus restrictives. Eleonora réussira à faire des études de psychologie et à trouver son salut dans le domaine artistique en tant que réalisatrice de films. Elle est fortement engagée dans la lutte pour les Droits de l’Homme et la protection des personnes LGBT. Elle vit actuellement en France.

Eleonora et Steven sont deux individus qui auraient pu tout avoir pour se haïr et qui se retrouvent lors de cette rencontre à la même table, dans le même but, celui de témoigner, de dénoncer et celui de secourir.

Une certaine jeunesse comme bouffée d’oxygène pour la démocratie. – Quatre parcours douloureux, quatre individualités blessées et encore vulnérables, qui réussissent à s’en sortir, grâce à bonnes rencontres au bon moment et sont capables de rebondir pour se mettre au service des autres.

Et dans ces échanges, des mots ont été prononcés, entendus, des mots qui nous semblent tellement désuets : amour, solidarité, dignité, espoir…. Mais jamais le mot «haine».

Quelle leçon !

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