A Prague : « Démission » !

L’épée d’ Edvard Beneš

Prague : le Président Milos Zeman soutient et escamote le Premier ministre Andrej Babis Foto: Godot13/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – Plusieurs centaines de milliers de Tchèques ont manifesté dimanche à Prague. La manif la plus importante depuis la Révolution de Velours, il y a exactement 30 ans. Ils réclament le départ d’Andrej Babiš. Point culminant d’une revendication exprimée depuis bien longtemps maintenant… En 1989, on réclamait la fin du communisme stalinien. Aujourd’hui, c‘est la fin du libéralisme débridé et… autoritaire qui est revendiquée.

Comment en est-on arrivé là ?

A partir de 2010 environ, la construction démocratique post-communiste s’est écroulée comme un château de cartes. C’est en réalité le produit d’une évolution par laquelle le commencement de construction de la démocratie tchèque a évolué vers une autocratie oligarchique. Un régime qui donne et veut donner les apparences d’une démocratie occidentale moderne, mais n’en a précisément plus que les apparences. Les échafaudages d’une démocratie nouvelle une fois abattus, le noyau dur de l’économie post-communiste affleure : AndrejBabiš est très représentatif de ces personnages qui, venant de l’intérieur et du haut des anciens partis « communistes », ont commencé par racheter à prix bradés les anciennes entreprises étatisées pour en faire des machines à profit, parfois gigantesques.

A partir du démantèlement de l’ex-Tchécoslovaquie, Babiš s’est approprié ainsi l’entreprise d’agrochimie nationalisée Petrimex et en a fait le noyau de son vaste groupe, AGROFER. Il s’est ainsi construit une fortune colossale – et une influence non moins immense en état au fond l’un des fers de lance d’une agriculture intensive tributaire de produits chimiques, et donc, d’Agrofer… On oublie trop souvent de remarquer combien un personnage comme Babiš peut être nuisible pour la santé et l’environnement de son pays, et à quel point productivisme libéral et écologie sont contradictoires : la République tchèque de Babiš en est un excellent exemple.

Après 2008, la crise et les problème économiques s’intensifiant ont rendu plus apparente la corruption, et donc aussi les relations particulières entre la classe politique et l’oligarchie. Au premier rang de cette dernière… Andrej Babiš. Craignant pour la perpétuation de son influence, il fonde son parti politique, l’ANO (Action des citoyens insatisfaits). Une plaisanterie double, et quelque peu obscène comme l’est le populisme : en 2010, l’un des principaux acteurs de l’oligarchie devient protestataire, et s’affiche comme la seule alternative réellement possible ! Une stratégie très adroite et efficace. Efficace pour sa prise de pouvoir – et son enrichissement personnel.

Andrej Babiš et son parti (ce possessif est particulièrement bien venu) continuent donc jusqu’ à très récemment, jusqu’à certaines actions intentées en justice, à capter comme un aimant les subventions de l’Union Européenne : en haut lieu, on parle d’au moins 10 millions d’euros détournés. L’ANO est très opportuniste : il prend des mesures démagogiques pour plaire au peuple, et il utilise conjointement sa presse et ses médias pour en escamoter d’ autres, favorables à ses intérêts financiers et politiques…

Cependant, l’économie de la République tchèque est en crise, et les citoyens tchèques en ont assez de subir ce mélange d’ autoritarisme et de libéralisme économique sans bornes. Reste à trouver une alternative réelle : on aura bien de la peine… Et il est très significatif de constater qu’en face du libéral de droite Babiš, il n’y a guère que le Président Zeman, issu d’un parti social-démocrate, le SPO (Parti des Droits civiques) – et il s’entendent au fond comme larrons en foire : Hardy Zeman a remis plusieurs fois en selle Laurel Babiš. Un jeu grimaçant, pervers et très éclairant sur la déliquescence de la politique. Là-bas comme à l’Ouest de l’Europe…

En tout cas, il est urgent maintenant de trouver une solution. A moins qu’on tienne à ce que les pays d’Europe centrale se tournent définitivement vers la Russie ou la Chine, et se contentent en même temps d’être gouvernés par des oligarchies (plus ou moins) nationales. Le processus est d’ailleurs très avancé déjà…

La solution passe à l’évidence par une redistribution pertinente des subventions allouées par l’Union Européenne. Courage et discernement : l’argent doit aller à la société civile en général. Aux associations citoyennes qui reconstruisent le politique et défendent le droit ; aux médias indépendants également, condition nécessaire des changements souhaités et préconisés.

Voilà pourquoi cette manif a eu lieu, dimanche, sur la plaine de Letná, au-dessus de la Vltava. Un lieu chargé de sens, puisque c’est sur cette Letenská pláň, tout près du Parc de Letná, qu’ont eu lieu les manifestations les plus gigantesques de la Révolution de Velours, en 1989. La vue sur la Vieille Ville est superbe. Cette vision surplombante réveille spontanément l’espoir pour les Tchèques de pouvoir enfin maîtriser leur avenir, trente ans après la domination soviétique.

« Nous sommes là ! », crie le peuple tchèque. La manifestation était organisée par l’association et site internet ” Un million de moments pour la Démocratie “. Les manifestants demandaient la démission immédiate du premier Ministre. Leur motivation principale, c’était l’accusation (fortement étayée par les médias encore indépendants) d’avoir détourné des millions d’euros de subventions européennes.

Un procès est suspendu au-dessus de la tête de Babiš depuis plus d’un an. L’épée finira bien par tomber sur le milliardaire corrupteur et corrompu.

 

 

 

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