Allemagne : les leçons de la crise Merkel / Seehofer

Alain Howiller analyse les dégâts causés par le litige qui oppose actuellement le chef de la CSU bavaroise Horst Seehofer et la chancelière Angela Merkel.

L'incompréhension est mutuelle - Horst Seehofer et Angela Merkel. Foto: Harald Bischoff / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Horst Seehofer va-t-il gagner son pari : améliorer la situation de « sa » CSU dans la perspective des élections régionales bavaroises du 14 Octobre ? Ils ne sont plus rares ceux qui le pensent au vu des derniers sondages : en Bavière, la CSU est créditée de 42,5% d’intentions de vote contre 41% précédemment alors que l’AfD a perdu un point ! Seehofer que les sondeurs en popularité ont en plus placé largement devant son successeur à la tête du Land, est sans doute satisfait de ce résultat même si la CSU a encore du chemin à faire pour retrouver la majorité absolue dont elle bénéficie actuellement au Landtag de Munich !

Mais il ne lui a pas échappé, non plus, que l’AfD a, elle, perdu un peu plus d’un point ! Certes, au niveau national, le prix à payer n’a pas été négligeable : 49% des Allemands sont satisfaits de l’action du gouvernement alors qu’ils étaient 64% avant les affrontements Merkel-Seehofer sur la crise migratoire et si 61% étaient satisfaits de l’action de la chancelière, ils étaient 64% avant la crise, ils ne sont que 51% à penser que la Grande Coalition ira jusqu’au bout de son mandat : certains instituts de sondage prévoient, au contraire, à 54% que ce ne sera pas le cas !

Volte-face pour la chancelière ! – La crise, en tous les cas, a illustré combien la situation politique allemande est… fluide, comme diraient des observateurs éclairés : elle est peut-être même imprévisible !

La crise ou plutôt sa solution à deux (CDU/CSU) puis à trois (CDU/CSU/SPD) a d’abord mis en lumière la… « flexibilité » d’une chancelière plus que jamais « réaliste » ! Qui s’en souvient ? Elle avait dit qu’elle ne comprenait pas ceux qui le Dimanche (sous-entendu à l’église) prenaient des résolutions généreuses oubliées en semaine lorsqu’il s’agissait d’accueillir les migrants. Elle avait dit respecter son engagement chrétien : elle ne changerait pas sa politique migratoire, prônant l’ouverture. Elle avait dit qu’elle refuserait de fixer un plafond annuel à l’arrivée des migrants. Elle avait dit qu’elle refuserait toute politique qui ne serait pas définie au niveau européen. Finalement, Angela Merkel a « avalé » son chapeau !

Avec Horst Seehofer, les accords soulignent qu’il y aura, bel et bien, plafonnement annuel du nombre de migrants accueillis. Il y aura des centres d’hébergement pour lesquels on cherche un nom (l’histoire se tient en embuscade !) notamment près de la frontière autrichienne et ce, à la grande surprise de… Vienne ! Les contrôles aux frontières seront renforcés, les expulsions augmentées et accélérées. Des discussions devront avoir lieu avec l’Italie, la Grèce, l’Autriche, les pays d’émigrations pour fixer les migrants, voire les héberger en attendant leur expulsion vers leur pays d’origine.

Hier, c’était… hier ! – Tout en insistant sur sa volonté de respecter les accords européens conclus à Bruxelles (du reste 91% des Allemands estiment que la crise migratoire exige ce type de solution, seuls 7% sont pour des solutions nationales !) elle a annoncé que l’Allemagne négociera avec l’Autriche, l’Espagne, l’Italie, les pays d’où viennent les migrants pour trouver des solutions au regroupement et aux effets des expulsions. Elle mettra néanmoins des moyens supplémentaires pour les « forces européennes »(FRONTEX) qui contrôlent les frontières extérieures de l’Union Européenne. A ceux qui s’étonnent de sa (ses) volte-face(s), la chancelière rappelle que « Hier, c’était hier ! » Est-ce suffisant pour qu’on puisse considérer que le « bilatéral » est en train de s’imposer à Berlin aussi ?

A ceux, encore, qui s’étonnent, on peut rappeler qu’Angela Merkel -c’est l’une des explications à sa constante survie politique- est une « réaliste » : elle n’hésite pas à changer d’avis redonnant vie, en quelque sorte, à ce propos d’un ancien président du Conseil des Ministres français Edgar Faure soulignant « Quand la girouette bouge, ce n’est pas, en vérité, elle qui change de direction, mais c’est le vent !…. »

Le rappel du nucléaire. – Qui ne se rappelle pas qu’en 2011 la chancelière, après avoir prolongé la vie des centrales nucléaires n’a pas hésité, quelques semaines plus tard, à annoncer la fin du nucléaire en Allemagne ! Il est vrai que c’était au lendemain de l’accident de Fukushima !

Cette fois, « l’accident », c’était la pression exercée par Horst Seehofer, le Ministre de l’Intérieur, qui menaçait de quitter le gouvernement et de mettre, de facto, en cause la participation de la CSU bavaroise au gouvernement de « Grande Coalition-GROKO ». Seehofer a décidé de rester au gouvernement. Pour Thomas Oppermann, Vice-Président SPD du Bundestag : « Seehofer ne restera plus longtemps ministre. S’il l’est encore, il le doit à la faiblesse de Merkel ». Déjà s’esquisse une nouvelle source de conflit : Seehofer ne partage pas la volonté de la chancelière favorable à un « Brexit » dur avec la Grande Bretagne !

Quand le SPD se rallie à la CDU/CSU ! – Le SPD approuvera finalement le plan Seehofer/Merkel, moyennant quelques aménagements (par exemple, les migrants devraient être regroupés dans des installations proches de la frontière et appartenant à la police, au lieu d’être enfermés dans des « centres », leur « détention » ne devrait pas dépasser 48 heures avant leur expulsion. Le SPD a donc souscrit à des mesures qu’il condamnait encore hier : la crainte de nouvelles élections a été la plus forte, car -d’après les sondages- l’AfD, le parti, menaçait de dépasser les sociaux-démocrates en cas de nouvelles élections ! Le SPD a, lui aussi, d’une certaine manière, avalé son chapeau.

Dans le cadre de son… « évolution », la chancelière a même reçue avec un certain éclat, le chef de file des anti-immigrés européens : Viktor Orban, le Premier Ministre hongrois, avec lequel elle avait jusqu’ici des divergences sur l’immigration!…

La politique migratoire va être l’un des grands débats des élections européennes de l’an prochain : Merkel, qui par ailleurs s’est à nouveau déclarée prête à négocier en « bilatéral » (!) avec Trump sur un aménagement des tarifs douaniers, poussée par ses concurrents d’extrême-droite (voire de droite) risque d’être plus « nationale » et moins « européenne » – qu’en pensera Emmanuel Macron ?

L’Europe dans le collimateur ? – Un signe de ces temps où l’immigration constitue un thème sensible, Thilo Sarrasin vient de porter plainte devant les tribunaux contre son éditeur qui refuse de publier le manuscrit de son nouveau livre polémique sur l’Islam. En 2010, Sarrasin, ancien membre du SPD et ancien banquier, avait publié un brulot anti-immigrés qui se vendra à plus de 1,5 million d’exemplaires et qui fera de l’auteur un… millionnaire !

Les sondages avaient établi alors que 20% des électeurs de la CDU comme du SPD voteraient pour un parti partageant les thèses défendues par Sarrasin. Personne n’avait pris au sérieux ces sondages. 8 ans après, les « politiques » allemands payent au prix fort leur aveuglement ! Un prix dont l’Europe risque fort de devoir partager le poids !

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste