Bancs publics à Brighton – paix, amour et anarchie

L’écrivaine Esther Heboyan montre une nouvelle fois qu’elle est une grande observatrice des choses de la vie – qui prennent une signification particulière pour elle.

Les bancs de Brighton vous racontent plein d'histoires. Foto; (c) 2016 Esther Heboyan

(Par Esther Heboyan) – Hove Lawns (Les pelouses de Hove). Après s’être posée sur les marches qui mènent à l’abri banc vide d’humains et de victuailles, la grosse mouette blanche, au bec avide de sensations, ciselle le vent d’un claquement d’ailes. Les mouettes blanches de Brighton, farouches, féroces, franchement pas sortables si l’on se réfère au livre de bonne conduite de Mary Poppins. Mary Poppins, nanny promise à l’ordre et à la bienséance, qui venue l’heure enchanteresse, déroge à toute règle et à toute logique. On l’imagine savourant un scone à la confiture de fraise sur la banquette côté mer de cet abri exquisitement victorien. Un abri banc bâti de bois, de fer et de verre, compartimenté en quatre blocs, offrant respectivement vue sur Kings Road pour les amateurs d’architecture hybride, vue sur Hove à l’ouest, vue sur le Brighton Pier à l’est et enfin vue sur les tonitruantes vagues grises de la Manche.

Sous le soleil de février, malgré le vent glacial, tout est calme et harmonie. L’abri banc du front de mer (seaside ou seafront shelter) se décline en deux couleurs classiquement associées dans l’utopie urbaine : du marron orangé pour les assises et les dossiers, du vert bleuté pour les cloisons et la toiture. Les lames et panneaux se jouent de lignes géométriquement opposées ou symétriques : alternance des verticales, horizontales et diagonales. Cet abri banc aux quatre bancs est un véritable poème. Une invitation à la rêverie. Une ébauche de cottage très british, comme ceux vus à Steyning dans le comté voisin du West Sussex. D’autant plus que l’ensemble est orné de lambrequins en fer ajouré sur le faîtage et le pourtour de l’auvent. Le bandeau de rive décorative projette une ombre soyeuse, sensuelle, changeante. C’est le décor qui a manqué à James Ivory pour The Remains of the Day (Les Vestiges du jour). À l’intention de ceux qui ne supportent ni les adieux ni les séparations, Anthony Hopkins et Emma Thompson rejouent la scène finale et goûtent enfin aux beautés et bienfaits du jour.

D’autres se sont assis là. L’âme rêveuse ou rebelle, ils ont gravé à l’encre noire les trois symboles universels de la paix, de l’amour et de l’anarchie : un emblème anti-nucléaire, un cœur, un A cerclé. Le tetraptyque en verre translucide permet une lecture de gauche à droite et de droite à gauche. Un quatrième signe pourrait y voir le jour. Avis aux passants !

Sur la King’s Esplanade ce jour-là, un autre abri banc hérité du XIXème siècle, indignement attaqué par la rouille, sert de loge et de décor à deux acteurs venus tourner une mini sitcom en trois épisodes, The Rebel, d’après la bande dessinée créée par Andrew Birch pour The Oldie Magazine. Il s’agit d’une émission de la Gold TV Channel que réalise Vadim Jean. Pour jouer Henry Palmer, un retraité résidant à Brighton qui s’indigne et combat le système sur tous les fronts, voici Simon Callow, placide, imperturbable, muni d’un parapluie canne. Son complice Charles est interprété par Bill Patterson qui se soumet à une ultime vérification technique. They’re the big guys,  me dit une actrice de second rôle qui attend patiemment à quelques mètres de là, assise sur un banc entre un jeune acteur qui consulte son téléphone portable et une actrice coiffée d’un bonnet de laine qui adore le soleil hivernal. Ce sont eux les vedettes, indeed. Bill Patterson, l’acteur écossais qui a tant donné au théâtre (à l’affiche de The Low Road), au cinéma (Miss Potter, The Adventures of Baron Munchausen), à la télévision et à la radio. Simon Callow, l’acteur londonien qui a joué Beckett, Dickens ou Shakespeare sur les plus grandes scènes, qui a tenu de nombreux rôles à la télévision et au cinéma (The Phantom of the Opera, Shakespeare in Love), l’auteur à succès qui a écrit sur l’art du théâtre, sur sa propre vie (Love Is Where It Falls) et sur ses idoles (Orson Welles, Hello Americans).

Le mot Action ! une fois lancé, le tournage se déroule sous le signe de l’amour. On remarque le même graffiti primaire que sur l’abri banc de Hove Lawns. Mais le cœur en ses contours noircis est un cri pathétique entre rouille et salissure dans un monde où l’abandon du patrimoine architectural n’a pas encore ému les municipalités conjointes de Hove et de Brighton.  Je me demande si le réalisateur Vadim Jean, que je n’arrive pas à repérer au milieu de l’équipe emmitouflée, enveloppée de parkas, d’écharpes et de bonnets (après tout, c’est février sur les côtes de la Manche), va filmer ce cœur solitaire sur le panneau de verre et s’il va le conserver ou l’éliminer au montage.  Action !  Place à l’anarchie façon Henry Palmer-rebelle-du-troisième-âge !

Toutes les photos (c) 2016 Esther Heboyan

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