Loving – « Dites au juge que j’aime ma femme. »

Esther Heboyan nous présente le dernier film de Jeff Nichols, « Loving », qui parle d'un amour qui devient de plus en plus difficile dans les Etats-Unis de Donald Trump...

L'amour est souvent compliqué - mais l'amour peut aussi tout vaincre. Tout. Foto: Distribution

(Par Esther Heboyan) – Loving, le film de Jeff Nichols, raconte l’histoire d’amour (vraie) entre une femme noire, Mildred (Ruth Negga qui livre là une interprétation magnifique, tout en nuances), et un homme blanc, Richard Loving (Joel Edgerton dont le jeu est plus en retrait mais juste), dans l’État de Virginie qui avait déclaré illégale l’union entre Noirs et Blancs dès 1691, histoire de flatter l’humeur esclavagiste des colons européens, histoire de ne pas s’encombrer des « enfants bâtards ». Le récit commence en 1958, l’année du mariage du couple contracté dans l’État de Washington D.C. mais jugé inconstitutionnel en Virginie, donc passible de sanctions pénales, et s’achève en 1967, l’année de la légalisation de leur mariage par la Cour Suprême des États-Unis. Entre-temps, le combat a été long, très long, obligeant le couple à déménager loin de leur village natal et laissant Mildred/Brindille au bord de la suffocation. Et ce, malgré l’amour, les enfants et l’entraide familiale et communautaire.

Le film recrée l’atmosphère des années de ségrégation raciale et suit pas à pas les élans et espoirs, les craintes et déceptions d’un couple qui ne demande qu’à s’aimer. S’aimer d’amour – comme le crie haut et fort, en lettres et en couleurs, le titre du film. Outre le patronyme des protagonistes (et ça tombe bien : le nom réel d’un maçon de chantier intense mais taciturne se déploie en conte d’amour dans une Virginie pastorale), le titre désigne le fait et le processus d’aimer sur toute une vie (c’est parfois possible et ça fait du bien, même si cela peut paraître gnan-gnan aux adeptes de Tinder et autres sites de rencontres-plans-cul). Lorsque l’avocat commis par l’ACLU (American Civil Liberties Union) demande à Loving quel message transmettre à la Cour Suprême, celui-ci répond : « Dites au juge que j’aime ma femme. » La vie est, ou devrait être, aussi simple que cela.

S’aimer – Depuis Roméo et Juliette, on le sait, l’amour ne doit pas s’embarrasser des raisons politiques, économiques, idéologiques, religieuses, tribales, communautaristes, ethniques, géographiques, historiques. Oui mais, Roméo meurt et Juliette aussi. Alors, beaucoup de mots pour rien ? L’amour ne doit pas non plus s’arrêter à la couleur de la peau. Ne dit-on pas l’amour est aveugle ? Alors, que vient faire la couleur de la peau dans cette histoire ? Qui voit quoi, qui voit qui ? Mildred et Richard se regardent, se touchent, vivent amoureusement. Ce sont les autres qui les voient en blanc et noir. Le shérif, la police, le juge n’ont pas d’humour, pas de compassion, pas de tolérance. Ils affichent l’austérité et la cruauté des Puritains de Nathaniel Hawthorne. Dans le village, Blancs et Noirs, tous de condition modeste, ont pris l’habitude de se fréquenter, mais des deux côtés certains regards révèlent une hostilité.

Heureusement pour le couple, leur amour s’inscrit dans une période propice aux changements. La marche pacifiste sur Washington organisée par Martin Luther King en 1963 pour l’obtention des droits civiques incite Mildred à écrire une lettre à Robert F. Kennedy, Ministre de la Justice (1961-1964), ce qui va déclencher la bataille juridique entre les Loving et l’État de Virginie jusqu’à l’abolition de la loi raciste. En dépit de la médiatisation de leur cas (dont les photos intimistes prises en 1966 par Grey Villet pour le magazine Life), Brindille et Rich resteront humbles, timides, presque silencieux. Le silence est une composante importante du film qui se laisse feuilleter comme un album de photographies. Si quelquefois la tension monte et l’on s’attend à un éclat de violence, si à certains moments la situation semble sans issue (le couple est tout de même banni de l’État de Virginie pendant 25 ans), Jeff Nichols ne propose ni un mélodrame hollywoodien tel que L’Héritage de la chair (1949) d’Elia Kazan ou L’Esclave libre (1957) de Raoul Walsh, ni un débat intellectuel mené par la bourgeoisie de San Francisco comme l’avait fait Stanley Kramer avec Devine qui vient dîner ? (1967).

Après deux heures de projection, on sort de là avec deux ou trois questions dans la tête : pourquoi tant d’injustices et de souffrances inutiles ? pourquoi fait-on toujours ici et là commerce de la haine raciale ? pourquoi l’union entre des hommes et des femmes appartenant à différentes aires géographiques/histoires culturelles continue d’être un crime ?

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