Réfugiés : chez Angela Merkel, le réalisme l’emporte toujours !

En Allemagne, on lui reproche son «zig-zag» dans la question des réfugiés, mais la chancelière, avec son instinct politique unique, poursuit son chemin personnel...

Un geste aussi froidement calculé que la politique de la chancelière allemande ? Foto: W like Wiki / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0

(Par Alain Howiller) – En 2009, Barack Obama a sans doute obtenu un Prix Nobel de la Paix qu’il ne méritait pas (encore ?). Un prix qui fera une victime collatérale : Thorbjorn Jagland, le secrétaire général du Conseil de l’Europe devra quitter la présidence du Comité Nobel norvégien ! En 2015, Angela Merkel, désignée depuis des années par le magazine américain «Forbes» comme la femme la plus puissante du monde, aurait sans doute mérité de recevoir un Prix Nobel de la paix qu’elle n’obtiendra pas. Fidèle à son tempérament velléitaire, et à des retournements devenus classiques, après s’être montrée généreuse en accueillant des dizaines de milliers de réfugiés en Allemagne, elle leur a, finalement, claqué la porte au nez, une dizaine de jours après son élan compassionnel. Exit donc le «Prix Nobel» !

Hier, haïe par les Grecs qui lui reprochaient son intransigeance, la voilà déjà vilipendée par les réfugiés qui l’avaient adulé précédemment !

Comparée par certains, à Athènes, à Hitler et par d’autres, à Paris, à Bismarck, Angela Merkel, en ouvrant les frontières du pays, était devenue une sorte «d’icône» pour les réfugiés. En quelques heures, elle était devenue pour eux la «Mutti» célébrée outre-Rhin et l’Allemagne était devenue, au cœur de l’Union Européenne, ce pays de cocagne dont ils rêvaient tous. Une transformation d’autant plus étonnante qu’en Juillet, interpellée à Rostock par une jeune palestinienne dont la demande d’asile n’avait pas été acceptée et qui, dans un allemand sans faute, lui demandait de rester en Allemagne pour pouvoir poursuivre sa scolarité, la chancelière était restée ferme… malgré la présence des caméras : «Nous avons des lois qu’il faut respecter», dit-elle à la jeune Reem, poursuivant : «Nous ne pouvons pas faire d’exceptions, car ceux qui sont dans les camps de réfugiés, en Palestine ou au Liban, voudront tous venir. Si nous leur disons venez, nous ne pourrons pas y arriver… La politique est parfois dure, mais il faut respecter les règles !», conclut-elle en essayant de consoler la jeune adolescente qui ne pouvait retenir ses larmes.

Das schaffen wir schon !… – Deux mois -à peine- plus tard : changement de pied et… de discours ! La chancelière y voit un moyen de corriger la détestable image que son attitude vis à vis de la Grèce et les manifestations anti-immigrés organisés par l’extrême-droite allemande ont collé à son pays : elle décide d’ouvrir toutes grandes les portes de l’Allemagne et d’accueillir les milliers de réfugiés. Elle se fait fort de les recevoir : «Das schaffen wir schon !…. ous y arriverons !», lance-t-elle, comme un défi que, au fond d’elle même, elle rapproche du pari (plus ou moins réussi) qu’a constitué… la réunification !

Un défi dont le coût a été sous-estimé : le gouvernement, auquel Wolfgang Schäuble vient d’annoncer un excédent budgétaire de… 6 milliards d’Euros, se dit décidé à consacrer 3 milliards à l’accueil des réfugiés. Avant de porter à 6 milliards une aide destinée essentiellement aux «länder» et aux villes dont les représentants réclament en fait 10 milliards ! Sans soute y a-t-il là de quoi réfléchir ! Cet argument (même si, depuis, Schäuble a confirmé que l’accueil des réfugiés ne ne serait pas une charge insupportable) a-t-il été décisif dans le retournement d’Angela Merkel ? Après s’être déclarée prête à accueillir les réfugiés sans conditions, elle a changé d’avis avant de rétablir les contrôles aux frontières ! Sa volte-face est sans doute liée pour une part à cet aspect des choses : n’a-t-elle pas avoué : «Nous devons maintenant nous saisir du problème et écarter tous les obstacles qui encombrent le chemin de l’aide à ceux qui viennent chez nous !»

Entre critiques et approbations ! – A t-elle cédé aux critiques qui se sont élevées contre sa décision ? Même si 66% des Allemands se sont déclarés favorables à l’ouverture des frontières, ils ne sont pas rares -et notamment les membres de la puissante CSU bavaroise- ceux qui étaient hostile à la décision que la chancelière avait prise dans la nuit du 4 au 5 Septembre. A ceux qui se sont élevés contre l’ouverture aux réfugiés, la chancelière, qui ne regrette rien, lance : «Si maintenant je devais m’excuser pour l’image positive que nous avons montrée en étant disposés à accueillir les réfugiés, je considérerais que nous sommes arrivés à un point où je ne pourrais que dire que l’Allemagne n’est plus mon pays !» Il lui aurait d’ailleurs été difficile d’essayer de se soustraire aux conséquences de son appel aux réfugiés : son Ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière n’a -t-il pas souligné (élégant, non ?!) qu’il n’était pour rien dans la gestion de la crise gérée par la seule chancelière !

Celle-ci, du reste, n’en est pas à devoir s’excuser pour son premier appel : il n’est qu’à voir l’élan de générosité qui a traversé l’Allemagne face aux réfugiés. On peut même penser qu’elle est loin d’avoir à assumer une approche «pénitentielle» ! Même si le Président de la République, Joachim Gauck, autre représentant de l’ex-Allemagne de l’Est à être arrivé aux sommet du pouvoir, a mis en garde ses compatriotes contre un optimisme qui, si la fièvre actuelle devait retomber, ne pourrait que générer des déceptions.

Le poids de la photo du petit Aylan ! – Mais si ni le coût, ni certaines réactions à son approche généreuse n’ont été à l’origine de son revirement, que s’est -il passé ? Comment la chancelière généralement si prudente, réputée utiliser longuement le temps de la réflexion, a-t-elle été amenée à faire une déclaration qu’elle reniera une dizaine jours après l’avoir faite ? «Il y a des situations, où on n’a pas douze heures pour prendre une décision», avance-t-elle. Certes ! Mais il a eu toute cette mobilisation de l’opinion en faveur des réfugiés. II y a la campagne lancée en leur faveur (thème : «Wir helfen», nous aidons) par le quotidien à scandales «Bild» (plus de 2millions d’exemplaires) qui après avoir tiré contre les «migrants» a brusquement retourné sa veste au profit des réfugiés.

Il y a eu cette découverte que si tous les «réfugiés» (chassés par les guerres) sont des «migrants», tous les «migrants» ne sont pas des «réfugiés» : la situation de ces derniers est différente de celle des «migrants en général». Ces derniers viennent -souvent illégalement- chercher du travail. Il y a eu, bien sûr, la photo du petit syrien Aylan retrouvé noyé sur une plage turque. Il y a eu tous ces éléments qui ont créé une ambiance et puis il y a cette capacité de Merkel a saisir les ambiances et à saisir très rapidement l’évolution de l’opinion telle qu’elle apparaît à travers les sondages.

Trois difficultés et des élections ! – Car Angela Merkel, qu’on décrit facilement comme une dirigeante autocrate, isolée, prenant seule ses décisions, n’ayant que deux «confidentes» (dont son ancienne Ministre Fédérale de l’Education -Annette Schavan, nommée ambassadrice au Vatican à la suite d’un mini-scandale- sait admirablement utiliser les réseaux sociaux pour interpeller ses concitoyens et recueillir leurs avis. Elle sait aussi utiliser les sondages au point qu’on la soupçonne de «diriger» en fonction des indications qu’ils apportent. On se souvient de la rapidité avec laquelle, après avoir décidé de prolonger la vie ces centrales nucléaires, elle a décidé la fermeture de centrales et une sortie du nucléaire d’ici à 2025. Il est vrai que là aussi, on a fait les calculs après la décision de la facture de la «sortie» et de la reconversion vers d’autres sources d’énergie, coûtera plus que les 30 milliards prévus au départ : ne parle-t-on pas de 80 à 100 milliards aujourd’hui ! On se souvient aussi comment Merkel a mené une bataille sans merci contre la dette grecque avant de s’engager devant le Bundestag -même contre des membres de son propre parti- en faveur d’une solution.

Trois difficultés semblent avoir été déterminantes dans le changement de cap de la chancelière. D’abord, la difficulté de distinguer les «migrants» des «réfugiés» qui peuvent demander l’asile politique. D’après certains calculs, 15% au moins des «arrivants» qui se déclarent «syriens» pour bénéficier du droit d’asile, ont, en fait, d’autres nationalités (30% d’entre eux viendraient des Balkans !). Deuxième difficulté : celle d’enregistrer tous ces arrivants, dont la masse, attirée par l’appel de la chancelière, a littéralement dépassé les possibilités des services concernés. Enfin, la division des européens, l’attitude en particulier des pays d’un nouveau «bloc de l’Est européen» hostile aux réfugiés, a joué de manière décisive. Ces approches techniques pourront-elles être résolues rapidement ? Angela Merkel y regardera désormais à trois fois avant de relancer l’Allemagne en «pôle position» dans la «course aux réfugiés».

L’échec devra être… digéré : pour une fois qu’elle avait «fendu l’armure» pour montrer que, elle aussi, pouvait avoir du cœur alors que, jusque là, l’emportait sa réputation (justifiée par ailleurs !) de calculatrice froide, sans pitié lorsqu’il s’agit de prendre des décisions politiques !

Le 7 Octobre à Strasbourg ! – La page est-elle tournée ? La crise «Volkswagen» a déjà gagné l’avant scène de l’actualité et pour les réfugiés, des solutions sont en cours de définition et d’application. Bientôt pèseront à nouveau l’équilibre à préserver au sein de la coalition au pouvoir, la nécessité de ne pas trop contrarier le «baron Seehofer» et sa puissante CSU (qui paradoxalement reproche souvent à Merkel d’oublier dans ses décisions le «C» de «christlich – chrétien» qui figure aussi bien dans «CDU» que dans «CSU»).

Et la perspective de solliciter un nouveau mandat de chancelière après les élections de 2017 incitera Angela Merkel à avoir une nouvelle approche du problème des «migrants» et des «réfugiés» ! Chez elle, le réalisme l’emportera, alors, une fois de plus ! Dans un récent sondage 84% des Allemands considéraient que l’Allemagne «était la nation dominante aux niveaux politique et économique en Europe». Réaliste, même si difficile parfois (souvent ?) à avaler : d’autant que le sondage souligne aussi que ce constat n’entraînait pas chez les sondés l’impression qu’il imposerait des responsabilités particulières ! Peut-être en saura-t-on davantage lorsque la chancelière, François Hollande à ses côtés, interviendra devant le Parlement Européen. Ce sera le 7 Octobre, à Strasbourg.

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