Jusqu’au 5 mars 2023 à la Fondation Folon : « Sempé. Infiniment vôtre. »

La Fondation Folon à La Hulpe (Belgique) montre les œuvres du grand dessinateur Jean-Jacques Sempé qui malheureusement, est décédé cette année.

Extrait de l'affiche de l'exposition "Sempé. Infiniment vôtre". Foto: Fondation Folon

(Thérèse Willer, conservatrice en chef honoraire du Musée Tomi Ungerer) – L’exposition que la Fondation Folon (La Hulpe, Belgique) consacre à Jean-Jacques Sempé (1932-2022), a été préparée en collaboration avec la galerie Martine Gossieaux à Paris et montre plus de 120 dessins originaux qui retracent le parcours de ce dessinateur français connu dans le monde entier. Cette première présentation d’envergure en Belgique de son œuvre est un juste retour des choses : en effet, c’est dans un hebdomadaire belge intitulé Moustique que sont parus en 1952, ses premiers dessins d’humour. En janvier 1954, Charles Dupuis, le fondateur de la revue qui allait confier à Sempé soixante couvertures, avait ces propos prémonitoires : « Ce dessinateur est très doué et je suis persuadé qu’il arrivera un jour à la hauteur de Franquin. ». En effet, la carrière du prolifique Sempé allait se révéler exceptionnelle durant sept décennies. L’exposition à la Fondation Folon en présente les points forts, alternant dessins originaux et supports imprimés dans une scénographie qui laisse à l’œuvre toute sa place.

Le Petit Nicolas – C’est dans la revue Moustique qu’ont été publiées en 1954 les premières moutures du Petit Nicolas. Sempé se souvenait : « Je proposais régulièrement des dessins mettant en scène un petit garçon. Le directeur m’a proposé de lui trouver un prénom. Une publicité pour les vins Nicolas m’a donné l’idée. ». Dupuis allait même lui proposer d’en faire une bande dessinée, avec l’aide de René Goscinny. Les deux hommes entamèrent alors une collaboration amicale et fructueuse qui allait aboutir à la publication de récits illustrés dans Sud-Ouest Dimanche, édités plus tard chez Denoël puis dans 45 autres pays, assurant ainsi un succès mondial au petit héros dessiné par Sempé.

Les couvertures du New Yorker – La production de Sempé pour la presse allait être tout aussi marquante et contribuer à le faire connaître du public international. Elle a émergé à la fin des années 1950 avec des collaborations régulières dans des journaux français, Paris-Match (pour lequel il travaillera 66 ans), L’Express, Le Nouvel Observateur, Telerama, et étrangers, Punch au Royaume-Uni et Esquire aux Etats-Unis. Mais elle a surtout été marquée par ses illustrations pour The New Yorker. Il ne fut certes pas le seul dessinateur français à travailler pour l’hebdomadaire new-yorkais, puisqu’André François fut également sollicité à maintes reprises, mais il fut sans doute le plus prolifique avec 112 couvertures réalisées entre 1978 et 2018. Sempé avait été depuis toujours « ébloui par le dessin, l’état d’esprit, l’élégance… » de la revue, et son univers tendre et poétique convenait parfaitement à la ligne directrice du comité de rédaction du New Yorker. « Ma première couv’, c’était un type qui hésitait à s’envoler. », se rappelait-il : pour le numéro du 14 août 1978, il a en effet imaginé un personnage-pigeon perché sur le rebord de la fenêtre d’un gratte-ciel.

L’édition – Pas moins de quarante albums, pour la plupart édités chez Denoël, allaient également ponctuer le parcours de Sempé. Citons entre autres, Rien n’est simple (1962), Tout se complique (1963), Sauve-qui-peut (1964), Saint-Tropez (1968), L’Ascension sociale de Monsieur Lambert, le livre préféré de Sempé (1975), Simple question d’équilibre (1977), Vaguement compétitif (1985), Grands rêves (1997), Multiples intentions (2003), Sentiments distingués (2007), Sincères amitiés (2015), son dernier livre. Si l’édition française a fait la part belle à l’œuvre de Sempé, il ne faut pas négliger le rôle de Daniel Keel, le fondateur du Diogenes Verlag à Zurich, qui très tôt fit connaître le dessinateur français au public germanophone et européen dans « Diogenes Tabu », sa collection dévolue à l’illustration d’humour. L’auteur-illustrateur Sempé savait aussi adapter son trait et son style pour illustrer des textes littéraires comme en témoignent La Maladie du Papier d’Eero Tolvanen (1964), Catherine Certitude de Patrick Modiano (1988) ou encore L’histoire de Monsieur Sommer de Patrick Süskind (1991).

L’univers iconographique de Sempé – Le dessinateur observait son environnement avec humour, mais sans cruauté. Inspiré par les petits riens du quotidien, il a ainsi dressé un portrait tragi-comique de la société de son temps, en égratignant au passage vantards et snobs. Son univers iconographique est vaste, et les dessins sont peuplés de musiciens, danseuses, cyclistes, madame et monsieur tout-le-monde, chats, villes, jardins. L’être humain reste toutefois au centre de ses préoccupations : si Sempé aimait le dessiner perdu dans la solitude, il n’avait pas son pareil pour le représenter dans des foules, à la manière de Dubout. Son style lui était propre, avec des composantes immuables qui le rendaient reconnaissable d’emblée, sans toutefois rester figé au fil des années. Ainsi, au trait fin des premiers dessins a succédé l’aquarelle qui, posée en touches délicates, a modelé les compositions avec subtilité ; le passage progressif à des formats plus grands a permis au dessinateur d’y introduire la perspective. Le style de cet autodidacte s’est aussi imprégné du contexte de l’illustration à son époque. Comme ses aînés Bosc et Chaval, il appréciait tout particulièrement certains cartoonists américains, entre autres James Thurber ou Sam Cobean, mais avant tout, le dessinateur new-yorkais Saul Steinberg. Il allait rester marqué par la ligne pure et précise tracée à la plume et à l’encre, ainsi que la puissance des idées qui caractérisaient l’œuvre graphique de ce dernier. Sempé avait également des affinités artistiques avec Savignac, dont il a même inséré des motifs d’affiches dans l’un de ses dessins, et avec Hergé. Si son œuvre donne à première vue une impression de spontanéité, elle résulte pourtant d’un long labeur : en effet, de son propre aveu, le dessinateur était souvent insatisfait de ses réalisations et ne cessait d’y apporter des améliorations. Le dessin qui clôt le parcours à la Fondation Folon a été sélectionnée de manière fort judicieuse à cet égard car il montre quels sommets de raffinement graphique l’artiste pouvait atteindre. Pour figurer les arbres d’un parc parisien, il a investi une partie de son dessin avec une masse très travaillée, presque compacte, d’encre noire, qui contraste de manière saisissante et comme en négatif avec le tracé subtil des immeubles adjacents.

Sempé – infiniment vôtre
Exposition jusqu’au 5 mars 2023
Fondation Folon
Ferme du Château de La Hulpe
1310 La Hulpe
Tél : +32 (0)2/653 34 56

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