Alain Howiller : Il faudra bien s’y faire…

L’Alsace est entrée dans l’aire de la «Méga-Région Grand Est» !

On pourrait éternellement nourrir des regrets. Mais désormais, il convient de travailler pour l'avenir de l'Alsace. Foto: Paralacre / Wikimedia Commons / CC0

(Par Alain Howiller) – Il faudra bien que les Alsaciens s’y fassent : le Conseil Constitutionnel ayant validé les dispositions de la réforme territoriale voulue par le Président de la République et ramenant le nombre des régions de 22 à 13, l’Alsace fera partie, dès le premier janvier 2016, d’une «méga-région du Grand Est» comprenant la Lorraine et la région Champagne-Ardenne. Rien n’y a fait : ni les débats au Parlement où le Sénat avait souhaité que l’Alsace puisse rester dans ses limites actuelles, ni les motions allant dans le même sens adoptées par les collectivités locales, ni surtout les milliers d’Alsaciens descendus dans la rue pour réclamer que leur région ne soit pas intégrée dans cette «méga-région du Grand Est» !

François Hollande, comme son Premier Ministre, qui avaient, l’un comme l’autre, tant de fois reculé devant la pression de la rue, n’ont pas cédé cette fois : non seulement la «Grande Région de l’Est» se fera, mais la réforme territoriale s’appliquera, fusionnant également le Nord-Pas de Calais et la Picardie, le Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénèes (de vives oppositions se sont également manifestées contre ces fusions), l’Auvergne et Rhône-Alpes, Haute et Basse Normandie, Bourgogne et Franche Comté, Aquitaine-Poitou-Charentes et Limousin. Six régions seulement (dont la Corse et la Bretagne, dont les exemples ont souvent été invoqués par les Alsaciens pour justifier leurs réserves) échappent à tout rapprochement et restent dans leurs limites actuelles !

Un avis constitutionnel un peu biaisé ? – Car l’Alsace n’a pas été la seule région à refuser les fusions projetées :144 parlementaires ont signé le recours devant le Conseil Constitutionnel au motif -principal- que la réforme a été décodée sans demander l’avis des populations concernées.(voir eurojournalist.eu du 6 Janvier). Or, la consultation est une pratique courante et normale en Droit Français et, surtout, elle est exigée par la Charte Européenne de l’autonomie locale, adoptée par le Conseil de l’Europe (en 1985) et ratifiée par la France ! Le recours, pensaient ceux qui l’avaient déposé, était juridiquement fondé, même si -en convenaient les plaignants, sans grandes illusions- le risque d’être considéré comme «politiquement inopportun» était réel ! Le Conseil Constitutionnel, qui n’est pas encore une instance judiciaire comme la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, a donc tranché !

Et contrairement aux espoirs de certains, il semble bien qu’aucun recours devant la «Cour Européenne des Droits de l’Homme» à Strasbourg ou devant la «Cour Européenne de Justice» au Luxembourg n’est possible. Reste qu’un certain nombre d’opposants à la fusion «Grand Est» spéculent sur les inévitables délais de mise en place de la réforme et sur la pression que pourraient exercer d’éventuels échecs électoraux pour la majorité actuelle aux élections de Mars (Départementales) ou de Décembre (Régionales). Ils espèrent gagner du temps dans l’espoir de l’arrivée au pouvoir, en 2017, d’un autre Président et d’une autre majorité à l’Assemblée Nationale pour changer la loi portant sur la réforme territoriale. Car les opposants redoutent que la «méga-région» -dont on ne connaît en l ‘état ni les pouvoirs, ni les ressources- ne porte atteinte au droit local alsacien et mosellan, à la pratique du bilinguisme, aux relations transfrontalières, à la mise en oeuvre du plan «Alsace 2030» qui vise au développement de l’économie, de l’image, de l’identité régionales. Ils redoutent aussi les conséquences d’une redistribution des rôles (et des services) sur le territoire de la Grande Région. Ils craignent aussi que, contrairement aux affirmations des élus socialistes strasbourgeois liés par l’inévitable solidarité avec la majorité au pouvoir, qu’il n’y ait aucune garantie quant au rôle de capitale régionale de Strasbourg.

De la «calinographie» pour Strasbourg !… – Certes, dans un accès de calinographie qu’il relancera sans doute lors de sa prochaine visite dans la capitale alsacienne, Manuel Valls a fait inscrire dans la loi que Strasbourg serait le chef-lieu de la grande région : mais, lancent les opposants, «chef-lieu» veut dire siège de la préfecture de région, rien n ‘empêche de désigner une autre capitale régionale, même si la «capitale détrônée» était «capitale européenne» et «Eurométropole», par ailleurs ! Beaux débats en perspective, y compris d’ailleurs sur le nom que portera la «méga-région» ou sur l’identité de son futur président ! Sans compter la structuration des services (avec un inévitable redéploiement du personnel ), y compris les services de l’Etat qui devra bien s’adapter. «Quelle que soit la formule de regroupement régional choisie, la machinerie mettra des années avant de fonctionner normalement. Il ne faudra pas seulement dessiner l’organigramme de la bureaucratie régionale, il faudra surtout faire fonctionner un corps politique sans aucun passé partagé et aux références radicalement différentes. Et, une fois brisées les milles relations qui unissent les villes et les départements à la région, qui expliquent que notre système compliqué ne marche pas si mal, on comptera en décennies le temps nécessaire pour que de nouvelles solidarités se nouent entre des acteurs étrangers les uns aux autres, surtout si une partie des services sera à Nancy et Metz, voire à Châlons-en-Champagne ! Ce ne seront que chamailleries pour la répartition des crédits, l’implantation des équipements, les priorités en politiques économiques ou en développement des territoires. Qui arbitrera entre le Sundgau et le Barrois en Meuse ?», écrit Robert Hertzog, Professeur émérite de l’Université de Strasbourg !

Mais la loi étant ce qu’elle est, les acteurs politiques ont décidé d’avancer envers et contre tout ! Les stratégies se mettent en place : il y aura des élections aux mois de Mars et de Décembre. Il faudra désigner des candidats, mettre des listes en ordre, se présenter aux suffrages, gérer les oppositions y compris dans son propre camp ! «Il faut être pragmatique pour la région, maintenant que la loi est adoptée !», a lancé Marcel Czada, le Président du «Conseil Economique, Social et Environemental d’Alsace – CESER» qui réunit les représentants du monde socio-professionnel aux côtés du Conseil Régional.

Soyons pragmatiques et positifs : c’est la loi ! – Il présidait la cérémonie des voeux de Nouvel An avec Philippe Richert, le président du conseil régional. Ce dernier, tout en relevant que la fusion adoptée ne correspondait pas à son choix et qu’elle n’apportait aucun élément de décentralisation qui aurait été concédée par l’Etat au profit des régions nouvelles, note : «L’Alsace n’a pas su saisir sa chance… (note de la rédaction : en ne permettant pas la fusion des collectivités locales en raison de l’échec, le 7 Avril 2013, du referendum sur le Conseil Unique d’Alsace)… Maintenant on diminue la région, pas le mille-feuille contre lequel on voulait prendre des mesures… Mais, l’Alsace joue son avenir en 2015 : dans la nouvelle entité, il y aura une sorte de parlement de 169 élus, mais qui ne disposeront pas des pouvoirs d’un parlement. Il faudra y définir un projet cohérent pour la région, il faudra agir, faire des choix…. L’Alsace aura un rôle à jouer : saura-t-elle être la locomotive : est ce qu’on laissera faire ou est ce qu’on fera ?… Nous n’aurons pas le droit de subir, mais d’agir… Contre un éventuel déclin, il faudra réagir. Tout est à inventer : la gouvernance de la future région, les méthodes de travail, de réflexion, d’intervention !…» Volontariste, à Philippe Richert de citer le philosophe Alain : «Le pessimisme est d’humeur, alors ,que l’optimisme est de volonté !»

Le Président Richert multiplie déjà les contacts avec les responsables de la future grande région : tout porte à croire que la campagne s’engage pour s’ouvrir la voie vers une éventuelle présidence de la future «méga-région» : c’est loin d’être gagné ! Le Président du CESER multiplie, lui aussi, les contacts avec ses homologues de la Grande Région pour essayer de l’enraciner dans le milieux des socio-professionnels, le Maire de Strasbourg souhaite que les maires de la future région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne se rencontrent pour apprendre à se connaître, le député socialiste strasbourgeois relance l’idée d’une fusion entre le Conseil Départemental (ex-Conseil Général ainsi nommé avant le 1er Janvier de cette année) du Haut-Rhin et celui du Bas-Rhin afin de créer, au sein de la «méga-région», un département unique susceptible de mieux défendre le rôle de capitale régionale de Strasbourg. L’action est engagée dès maintenant pour mener les négociations préliminaires d’ici aux élections de Décembre et d’ici à l’échéance du 1er Janvier 2016.

Ne pas oublier les atouts de l’Alsace. – Et l’Alsace d’énumérer quelques uns de ses atouts : son rôle international à travers Strasbourg, sa densité de population (223 habitants au km2 contre 100 habitants en Lorraine et 52 en Champagne-Ardenne), son taux de réussite au baccalauréat, son PIB par habitant (28.849 contre 23.968 et 22.813), son industrie (17,9% des emplois contre 15,6% et 16,4%), ses exportations vers l’UE (21.100 millions d’euros, contre 14.708 et 7.084), son taux de pauvreté (12,2% contre 14,7% et 15,5%) etc…

Strasbourg relève l’avis du «CESER – Alsace» sur la réforme territoriale, est «reconnue et constitue une référence européenne et internationale.» L’avis souligne «qu’un Schéma Régional d’aménagement et de développement durable du territoire… devrait permettre de dépasser les concurrences… mais aussi de réduire les disparités et les inégalités entre territoires…» La réforme, si ses promoteurs réussissent à mobiliser les énergies, peut-être un atout pour demain, dans une méga-région plus vaste que la Belgique, les Pays-Bas voire le Bade-Wurtemberg (dont la population est toutefois presque deux fois plus importante : un peu plus de 5,5 millions d’habitants contre près de 11 millions de l’autre). Mais la réussite suppose aussi que l ‘Etat donne des moyens d’existence supplémentaires à la future région. Car comme le souligne le CESER dans son avis : «Les économies attendues de la réforme en termes de coûts de gestion ne seront visibles qu’à moyen et long terme. A court terme, un surcoût est sans doute à attendre du fait de la mise à niveau nécessaire des modalités de fonctionnement et de gestion entre les collectivités appelées à fusionner !»

1 Kommentar zu Alain Howiller : Il faudra bien s’y faire…

  1. Bonjour,

    Soyons pragamatique, c’est la loi? Si une est mauvaise, faut-il courber l’échine? Une loi qui sape la démocratie locale, faut-il l’accepter? Par exemple dans cette grande région, la population habitant en Alsace est très largement sous-représentée : 1 conseillé alsacien représente 30000 habitants alors que 1 conseillé champenois représente 23000 habitants…pourquoi le poids de la voix d’un citoyen dépend-elle du lieu où il habite??

    Il faut effectivement avancer, mais en aucun abdiquer.

    Cordialement.

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