Allemagne : femmes en temps de pandémie

Poussez vous d’là ! Angela et Germaine

Une parfaite Hausfrau Foto: Kenneth.Z.Zirkel/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – Demain, c’est la Sainte Walpurgis ; et cette nuit, depuis le 15e siècle, c’est la Nuit des Sorcières, un peu dans toute l’Europe, avec ses farces de voisinage et ses feux de joie – dans lesquels brûler les sorcières ? Les sorcières, on n’en voit plus guère depuis début mars : elles semblent avoir reflué au fond de l’appartement, et avec elles, les femmes en général. Attention à la suite : la crise du COVID-19, une occasion – comme toutes les crises socio-économiques – d’un backlash des droits des femmes ?

En Allemagne, les femmes ont pris le taureau par les… (oups) cornes, et on voit fleurir des interventions remarquables dans les meilleurs médias. L’une d’entre elles, Jana Hensel, dans Die Zeit, raconte qu’au début de la crise, elle a posé la question qui s’imposait, au vu de tant d’experts (médicaux et autres), de virologues, d’économistes, de politiciens : mais où sont passées les femmes ? Zwipp, plus de femmes ! Elle s’est ainsi récoltée ce qu’élégamment céans on appelle shitstorm : un tombereau d’injures. C’est pas le moment, espèce de… de… Pas le moment de nous les casser avec vos inepties !

Mais las, comme on sait, le ciel est devenu plus bleu depuis le confinement, et l’air plus pur : on discerne donc mieux les choses telles qu’elles sont réellement. C’est le cas pour la société, en deçà de tous les effets d’affiche et d’annonce. C’est important, puisque c’est dès aujourd’hui que les carrières se font et se défont, et que chacun se pousse pour occuper le bon starting block et le devant de la scène. A ce jeu, comme on sait, les hommes sont meilleurs (c’est d’ailleurs encore bien davantage le cas en France) : ils ont dans le dos cette petite excroissance cornue si utile au bébé coucou. Hopp, pousse toi, c’est moi que v’là. Des femmes, oui, mais surtout pas devant ; derrière et en-dessous, oui, sous mon panache blanc : aides médicales, assistantes, puéricultrices, mais rarement chefs des instituts médicaux, scientifiques ou virologiques ; ni médecins-chefs des cliniques ou des centres de soins. L’Institut Leopoldine qui fait autorité (une autorité par ailleurs presque aussi contestable que celle du Conseil scientifique français) comporte 24 membres masculins sur 26…

Quant aux télémédias allemands, le virologue Christian Drosten y remporte un franc succès : il représente ce que Jana Hensel, dans une intervention à la Zeit, appelle excellemment Die Vorhut (et non pas Vorhaut, qui signifie prépuce, N.d.Tr) der männlichen Expertendämmerung, l’ ” avant-garde de l’Aube des experts masculins”. Avec une superbe allusion au Crépuscule des Dieux wagnérien.

La société est ainsi faite, donc, et on le voit bien mieux dans cette période où l’air est d’une limpidité cristalline. Voici quelques jours, la Frankfurter Allgemeine Zeitung s’était demandée : si on enlevait le trio médiatique de façade Von der Leyen, Merkel, AKK, qui resterait-il ? Réponse : des hommes. Cela est vrai dans la fonction de représentation en quoi consiste beaucoup l’activité des partis politiques. Mais ailleurs, c’est vrai à plus forte raison.

Les crises amènent ce recentrage, cet appauvrissement sociologique et culturel des activités publiques, et un recul plus ou moins prononcé des droits. Qu’en est-il dans le domaine privé, familial ? Actuellement, ce sont essentiellement les femmes qui s’occupent du télétravail, que les Allemands appellent home office - souvent d’ailleurs bien davantage, pour elles, home qu’ office ; car c’est une forte majorité d’hommes qui occupent le devant de l’écran pour le télétravail durant la journée. L’un des représentants remarquables d’un certain patriarcat à l’image lisse et soft, le dirigeant de la CSU Markus Söder, (droite conservatrice bavaroise) qui a le vent en poupe actuellement parce qu’il gère assez bien la crise et surtout, qu’il rassure dans les chaumières et les chalets, a déclaré tout récemment : « Lors des crises, on demande souvent le Père ». Oui, peut-être, mais comme le rappelle Jana Hensel dans la Zeit, sur les quelque 1 million 6 de parents isolés, 1 million 44 sont des femmes, et de plus, la moitié des hommes/pères ne paient aucun entretien ni aucune pension pour les enfants…

Il faut donc prendre garde : Angela Merkel, Markus Söder, c’est bien gentil, cela rassure comme jadis en France (durant une autre période de crise, après la Guerre) Germaine Coty et sa soupière fumante, mais les risques de régression sociale sont bien réels. Dans le monde du travail certes, mais dans celui des droits de femmes, à l’intersection de plusieurs domaines, encore davantage. Achtung, gefährlich !

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