Les deux Pologne : libéraux contre populistes

Des élections présidentielles où l’idéologie, c’est l’autre

Trois Polonais en bleu : Trzaskowski, Donald Tusk et Grzegorz Schetyna, dirigeant de la Plateforme Civique Foto : EPP/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/2.0Gen

(Marc Chaudeur) – Dimanche le 28 juin aura lieu le premier tour des élections présidentielles. Un scrutin important, puisqu’il permettra au moins de mesurer la pérennité du populisme à la polonaise à travers l’importance du succès de son représentant, en l’occurrence Andrzej Duda – le président sortant. En face, un candidat de qualité, Rafał Trzaskowski. Une campagne très animée, qui fait apparaître de graves questions de société. Et entre les deux, depuis lundi, un livre sur le Chef du PiS, Jarosław Kaczyński, intitulé : Le Président et les Entreprises.L’ Empire de Jarosław Kaczyński.

Cette campagne électorale met admirablement en scène, quoique d’une manière scénarisée et spectacularisée à l’excès, la division profonde entre ce qu’on appelle souvent là-bas les deux Pologne. L’une pro-européenne, relativement progressiste et moralement ouverte, l’autre conservatrice, traditionaliste et anti-élite. La première est représentée par le candidat de la Coalition civique qui n’est autre que le Maire de Varsovie, Rafał Trzaskowsi ; l’autre par le président sortant, Andrzej Duda. Le fossé entre ces « deux Pologne » s’est beaucoup creusé ces cinq dernières années : on s’étonne aujourd’hui de se souvenir que beaucoup sont issus du même parti de centre droit, la Plateforme civique.

La présente campagne est un modèle du genre, parce qu’elle fait ressortir tout ce qui oppose une conception différente de la société et des mœurs. Et Duda s’arrange pour appuyer très pesamment où ça a fait mal : ses innombrables et inlassable sorties sur les LGBT, l’accusation obsessionnelle qu’il profère à l’égard de « ceux qui veulent sexualiser les enfants » (entendons par là : ceux pour qui les enfants ne sont pas des agneaux tout roses et blancs comme ceux qu’on voit sur les images pieuses distribuées à l’entrée des églises), ceux qui sont favorables, entend-on souvent, à l’ « adoption des enfants par les sodomites ».

Par ailleurs, populisme oblige, 40% des électeurs polonais sont convaincus que parmi les forces importantes en présence, seul le PiS, le parti au pouvoir auquel appartient Duda, peut réellement pratiquer une politique sociale en faveur des couches modestes. Pour espérer faire un bon score, le candidat adverse devra absolument s’attacher à persuader les Polonais du contraire, ce qui n‘est pas facile tant la Coalition civique a mené une politique classiquement libérale quand elle occupait le pouvoir.

Le grand mérite de Trzaskowski est sans doute d’exposer, lors de ses meetings, une vision panoramique très claire de tout ce qui ne va pas dans la Pologne gouverné par le PiS : la censure et le détournement des médias au profit du parti, les interventions autoritaires et ultra-moralistes du style Law and Order dans le domaine de la culture, les atteintes graves à l’indépendance de la justice (et par conséquent, à la Constitution), les histoires pas nettes d’usage suspect des fonds publics et européens ; et bien sûr, une gestion peu rigoureuse des effets de la pandémie. Pour ce qui est des propositions positives, Trzaskowski est curieusement discret, comme s’il craignait d’ effaroucher ou de choquer l’opinion publique… Au contraire du président sortant qui, lui, tente visiblement de plaire à la base de ses électeurs : formulations cassantes, ton parfois apocalyptique sur les méchants habitants de Sodome et l éducation publique…

Et surtout, vraie réussite argumentaire de Trzaskowski, l’accusation qu’il porte contre le PiS d’être à l’origine du fossé qui sépare conservateurs/populistes et modernistes europhiles et de la haine qui les oppose, trop souvent. Les Polonais ne veulent plus de cette division et de cet antagonisme, répète souvent le Maire de Varsovie. Cela porte, et les électeurs du PiS eux-mêmes peuvent y être sensibles, dans leur nationalisme foncier.

Pour nourrir le débat de manière intéressante, deux journalistes de la Gazeta Wyborcza, Agata Kondzińska et Iwona Szpala, ont travaillé sur la figure historique de Jaroslaw Kaczyński,fondateur du PiS et vrai maître de la Pologne. Il faut espérer que les citoyens polonais le liront avant de se précipiter vers les urnes pour plébisciter (sans doute à 40%) Kaczyński ; certains changeront très certainement d’avis et iront grossir les quelque 25 à 30% qu’on attribue à Trzaskowski dans les sondages… Le livre, qu’Adam Michnik, directeur quasi légendaire de la Gazeta qualifie de « nettoyage de l’écurie d’Augias polonaise » montre de façon admirable comment le Jarosław national est passé maître dans le double langage : proclamant ceci, faisant le contraire, refusant publiquement des fonds douteux pour les accueillir sous la table, affichant la générosité mais étant apparemment dépourvu complètement d’empathie comme il l’est de tout charisme…

Les deux sont-ils liés ? En tout cas, il faudra se précipiter sur cet ouvrage lorsqu’il sera traduit, le plus vite possible.

Pour ceux qui lisent le polonais : Prezes i spółki. Imperium Jarosława Kaczyńskiego sera disponible ces prochains jours sur Kulturalnysklep.pl, sur Empik.pl et comme e.book sur publio.pl/.

 

 

 

 

 

 

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