Allemagne – le retour de la RDA et de… l’extrême-droite !

Alain Howiller analyse la situation politique en Allemagne à quelques jours de l'élection européenne.

30 ans après la chute du Mur de Berlin, les différences entre Ouest et Est allemand sont toujours de taille. Foto: Ephraim Moses Lilien (1901) / Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Ce n’est pas le « scoop » du siècle et ce n’est pas non plus une première : réunis en Thuringe avant d’être reçus par Angela Merkel, les ministre-présidents des länder de « l’ex-Allemagne de l’Est » ont plaidé, une fois de plus, presque… 30 ans après la chute du Mur de Berlin, pour la mise en œuvre d’un plan de développement de leurs régions. « Il y a encore des différences entre l’Est et l’Ouest du pays dans les domaines de l’économie et des salaires », a rappelé, à cette occasion, Manuela Schwesig (SPD), ministre-présidente du Land de Mecklenburg-Vorpommern. Bodo Ramelow (Die Linke), ministre-président de Thuringe et le premier à avoir initié une coalition « Linke-SPD-Verts », a renchéri de son côté : « Il y a des différences significatives entre l’Est et l’Ouest », a-t-il déclaré, incriminant les salaires, les retraites, l’absence de sièges d’autorités fédérales, la politique anti-charbon(1), le déficit en infrastructures.

Le SPD n’a pas voulu demeurer en reste et, depuis Erfurt, sa présidente Andrea Nahles (au demeurant ancienne ministre 2013/2017 des affaires sociales) a enfoncé le clou : « Les gens qui travaillent à l’Est gagnent moins, doivent faire davantage d’heures de travail et ont moins de congés… Les retraites sont à ce point faibles qu’il faut avoir recours à des caisses complémentaires. Il n’y a pas assez d’accords de salaires… » Cela sent bon les campagnes électorales et de fait, après les élections municipales et européennes du 26 Mai, trois länder de l’Est (Brandenburg, Sachsen, Thüringen) de l’Est vont vivre le renouvellement de leur parlement régional en Septembre et Octobre !

Sur les traces d’un pays disparu – C’est dire l’importance des enjeux et l’intensité des débats auxquels Die Linke vient d’ajouter un thème : le parti veut qu’une commission d’enquête parlementaire procède à une analyse critique des activités de la « Treuhandanstalt », l’organisme chargé entre 1990 et 1994 d’organiser la privatisation des biens de l’ancienne « République Démocratique Allemande ». Seul le parti d’extrême-droite « AfD » est prêt à soutenir la demande qui n’a pas (pas encore ?) trouvé de majorité pour la mettre en œuvre ! Pourtant en trois décennies, l’Est a connu des progrès spectaculaires tant dans le développement des infrastructures ou de l’urbanisme que dans les secteurs de l’économie. A un taux de chômage de l’ordre de 20% a succédé aujourd’hui, à l’Est, un taux de l’ordre de 6,4% (4,0 à l’Ouest). Qui ne se souvient de la situation des années 90 ? Routes défoncées, bâtiments en ruines, nombre de champs défoncés par les excavatrices des mines de lignite, odeurs oppressantes dues aux systèmes de chauffage, éclairage public rare et lugubre…

Je me souviens de ces quelques jours (sombres dans tous les sens du terme) passés à Potsdam et Berlin, à la veille de Noël 1990 !… Je faisais alors partie du petit groupe de dirigeants de mon journal de l’époque : nous étions venus négocier le rachat du quotidien Märkische Allgemeine de Potsdam dont la rotative remontait… aux années 30 et dont les hangars regorgeaient de papier russe qu’on n’avait pu utiliser faute de qualité suffisante ! Le rachat pourtant prêt à être conclu, ne se fera pas, car le majoritaire de mon journal avait changé assez brutalement au profit de propriétaires davantage ouverts à des diversifications vers le Brésil, l’Espagne ou le Portugal !… Le livre de Nicolas Offenstadt sur « Le pays disparu. Sur les traces de la RDA »(2) retrace assez bien l’atmosphère de ces années là : peut-être le fait-il avec avec parfois (bien qu’il s’en défende) un peu trop d’empathie…

Albert Schweitzer et Napoléon 1er – Lors des premières années de la réunification, je passais souvent quelques jours de reportage à Altenburg (Thuringe), ex capitale de la fabrication de… jeux de cartes, où je logeais dans une ancienne usine de feutres transformée en hôtel moderne d’où je rayonnais vers Dresden, Leipzig, Meissen, Erfurt, Naumburg, Weimar (et son modeste musée Albert Schweitzer !), Iena (et son attachant musée Napoléon !), Plauen, Wismar etc… J’ai vécu les progrès mais aussi l’émergence (ou la persistance ?) d’un sentiment identitaire déjà « ostalgique ». Ce sentiment, né de bien des maladresses des compatriotes venus de l’Ouest, peine à disparaître. Sans doute a-t-il été généré et entretenu, pour reprendre les termes d’un rapport annuel (Juin 2018) faisant le point sur l’état de la réunification, par un différentiel « entre le ressenti et la réalité » !

Angela Merkel avait évoqué cela en soulignant dans une interview de la « Welt » : « Quand tu vois brusquement arriver les jeunes économistes de l’Ouest qui viennent te dire ce que tu ne dois pas faire, cela interpelle forcément les gens. » Et de conclure : « Mais tout cela ne doit pas conduire à la justification de la haine et de la violence ». Car de la haine et de la violence, il y en a eu, il y en a encore, à l’Est et c’est bien l’autre raison qui, en dehors des points relevés plus haut, conduisent à s’intéresser à ce qui se passe dans les Länder de l’Est du pays. Certes, à Duisburg, le défilé du Ier Mai de l’extrême-droite avec des manifestants se réclamant de Hitler, chants et saluts nazis à l’appui,  rappelle que l’Est n’a pas (plus ?) le monopole des démonstrations de force des néonazis. Mais les quelques centaines de manifestants défilant le même jour à Plauen (Saxe) avec (pour un certain nombre) chemises brunes, tambours et drapeaux au vent ont tout particulièrement retenu l’attention, d’autant que c’est dans cette région que sont nés le mouvement « Pegida » ou le parti d’extrême-droite AfD. C’est ici que les sondages relèvent que l’opposition aux immigrés est la plus forte et que les actes de violence sont les plus manifestes : on y compte 5 immigrés agressés quotidiennement !

La disparition des « Ossies » et des « Wessies » ! – Si l’Office Fédéral pour la protection de la Constitution vient d’attirer l’attention sur les dangers croissants que l’extrême-droite fait peser sur l’Allemagne, le Ministre de l’Intérieur a chiffré autour de 20.000 les militants appartenant aux mouvances d’extrême-droite. Les menaces que font peser ces dernières en cette année électorale qui touche particulièrement les trois Länder où on votera à l’automne pour le renouvellement des diètes régionales : les sondages ont montré que l’AfD pourrait (avec ses 20% des intentions de vote) devenir le deuxième parti derrière la CDU ! L’évolution est nourrie par la haine de l’immigré (qui existait déjà sous la RDA contre les 200.000 Coréens et Vietnamiens venus travailler dans le pays). Elle est alimentée aussi par le sentiment identitaire d’avoir perdu « sa patrie » – la RDA -, celui d’être un peu considéré comme des étrangers dans leur propre pays -la RFA-. S’y ajoutent, d’après les travaux d’une chercheuse qui a mené des sondages auprès des intéressés, la difficulté de trouver du travail, le sentiment d’avoir été méprisés. Où on retrouve finalement cette distorsion entre « le ressenti et la réalité ». Sans compter la polémique suivant la rallonge de 60 millions demandée par le Ministère de l’Intérieur et de la Heimat pour financer les manifestations du 30ème anniversaire de la réunification : le Ministère aurait « oublié »(!) de prévoir cette dépense dans son budget annuel ! Sans compter l’effet du débat qui traîne ces derniers mois sur l’avenir du « Soli », l’impôt affecté au développement des Länder de l’Ex-RDA.

Bien que les appellations « Ossies » et « Wessies » pour qualifier les habitants de l’Est et de l’Ouest de l’Allemagne commencent à se faire plus rares, le chemin semble encore long pour arriver à une harmonisation totale entre citoyens de ce qu’on a appelé la République de Berlin, les ambitions pour l’avenir doivent être relancées ; surtout, comme le souhaite Wolfgang Thierse, ancien président du Bundestag venu de l’Est et adversaire acharné de l’extrémisme de droite : « Nous voulons faire de l’Allemagne de l’Est et des pays de l’Est une sorte de laboratoire du futur, un promoteur d’innovation en Allemagne ! » Comme aurait dit un comédien français : « Ce n’est pas gagné ! »

(1) Voir eurojournalist.eu du 18.02.2019.

(2) Nicolas Offenstadt : « Le pays disparu. Sur les traces de la RDA » – Editions « Les essais Stock », 22,50 euros.

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