Allemagne. Les changements… c’est maintenant ?

Tout le monde parle des difficultés politiques en France. Alain Howiller, lui, tourne le regard vers l'Allemagne où les choses sont plus calmes. Mais pas forcément meilleures...

Est-ce que la nouvelle présidente de la CDU AKK représente le renouveau ou la continuité ? Foto: Sandro Halank / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – C’est un débat qui n’a rien de neuf et qui pourtant, risque de rebondir alors qu’il avait déjà failli compromettre, sous la pression du SPD, la signature du pacte de coalition fondant la Grande Coalition (GroKo) : l’Allemagne peut-elle vendre des armes au monde entier alors que, si le livre blanc de la défense avait souligné que « l’Allemagne devait assumer plus de responsabilités dans le domaine de la paix et de la sécurité internationales », les statistiques indiquent que, pour la troisième année consécutive, les ventes d’armes ont diminué (-22,7%) ? Les chiffres sont liés à l’attitude du gouvernement qui suspend ou supprime les ventes vers des « pays à risques » (sont concernées notamment la Turquie, l’Arabie Saoudite). Du coup la « Fédération de l’industrie allemande produisant pour la sécurité et la défense » (« Bundesverband der Deutschen Sicherheits- und Verteidigungs-Industrie – BDSU ») a demandé au gouvernement de ne pas pénaliser les commandes déjà conclues, tandis que le groupe d’armement « Rheinmetall » de Düsseldorf menace le Ministère de l’Economie d’une demande de dédommagement après la décision de suspendre les livraisons à l’Arabie Saoudite. La controverse prend tout son sens au moment où la République Fédérale vient d’être désignée pour siéger au Conseil de Sécurité de l’ONU pour deux ans.

Elle prend tout son sens aussi avec le message de Nouvel An soulignant que l’Allemagne augmentera ses dépenses humanitaires et son aide au développement tout en préservant ses dépenses militaires ! Au Conseil de Sécurité, elle entend apporter sa contribution à la résolution des problèmes globaux en sachant que la meilleure façon eu de préserver les intérêts allemands est d’intégrer les intérêts des autres.

Au-delà de la « culpabilité historique ». – Les propos très « merkéliens » qui consistent à dire sans dire tout en disant, s’inscrivent dans le désir allemand de participer (si possible avec un risque minimum) aux affaires du monde. D’une certaine façon, Joachim Gauck, l’ancien président de la République, mettait déjà le doigt sur cette « particularité » allemande en déclarant : « Je suis bien obligé de constater qu’il y a dans notre pays, à côté de pacifistes sincères, ceux qui se servent de la culpabilité historique de l’Allemagne pour cacher leur éloignement des réalités du monde ou par commodité » (ouverture de la Conférence de Munich sur la Sécurité le 31.01.2014).

Mais comme le disait la Chancelière « la Démocratie se nourrit du changement ! ». Propos que Horst Seehofer a repris à sa façon en quittant, après un peu plus de dix ans, la présidence de la CSU : « Le changement fait partie de la vie ; pour moi aussi ! » Le changement est devenu un thème récurrent sur les bords de la Spree : « Les années grasses sont désormais derrière nous », vient de déclarer Olaf Scholz, Vice-Chancelier et Ministre des Finances relayant lui-même en quelque sorte la déclaration de Dieter Kempf, président de la « Fédération allemande de l’industrie (BDI) » : « Die Gute Jahren sind vorbei – Les bonnes années appartiennent au passé ». 2019 serait donc d’une certaine façon et sans trop le montrer une année de fracture, voire de rupture.

Bien sûr, le champ politique nous donne une première surface à labourer dans cette approche.Le remplacement à la tête de la CDU d’Angela Merkel, qui a quitté ses fonctions présidentielles après 18 ans de présidence, le remplacement à la tête de la CSU bavaroise de Horst Seehofer après un peu plus de dix ans de présidence, marquent sans doute plus qu’un changement de génération. D’autant que, battu par Annette Kramp-Karrenbauer, nouvelle présidente de la CDU, le challenger (et vieux routier de la politique) Friedrich Merz a décidé de retrouver ses postes lucratifs dans le privé et que l’arrivée à la tête de la CSU de Marcus Söder s’est faite malgré les efforts de son prédécesseur pour… l’empêcher de briguer sa succession.

Euphorie chez les « Verts » au désespoir du SPD ! – Les relèves au parti conservateur coïncident avec la première crise sérieuse affectant, à droite, le parti extrême AfD (légère baisse dans les sondages sur les intentions de vote) qui voit se créer une nouvelle variante concurrente dirigée par un ancien responsable du parti en Saxe-Anhalt. A l’extrême-gauche, Die Linke risque de souffrir de la création du mouvement « Debout » (« Aufstehen ») créé par une ancienne du parti avec l’ambition de fédérer la gauche allemande qui voit se détacher le parti des « Verts » qui progresse aussi bien dans les élections régionales (Bavière et Hesse) que dans les sondages sur les intentions de vote (entre 18 et 20%), au grand désespoir du SPD (entre 14 et 15% !).

Au moment où l’Allemagne, la justice, la police et surtout l’Office Fédéral pour la protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz) semblent enfin être sortis de leur relative négligence vis-à-vis de l’extrême-droite et le néonazisme (négligence nourrie par le constat que « après ce qui s’est passé avec Hitler il n’y a plus de risques de ce côté-là »), les évolutions (eurojournalist.eu du 2.12.2018) enregistrées sur le plan politique ne font pas oublier celles qui affectent le monde économique. L’évolution relevée par l’industrie de l’armement est symbolique à cet égard : l’Allemagne exporte moins et si, en 2018, elle est passée de justesse à côté de la récession, c’est parce que la consommation intérieure, malgré une épargne élevée nourrie par les augmentations substantielles de revenus (salaires + 6%  en moyenne), a pris le relais de la croissance. Pourtant, cette dernière, après deux années à plus de 2%, a du être revue à la baisse. Lors du Forum Economique de Davos, Christine Lagarde, directrice du Fonds Monétaire International (FMI), est allée jusqu’à prédire, pour cette année, un taux de croissance de +1,3% (contre 1,5% en France !) alors que certains instituts spécialisés dans les prévisions de conjoncture (exemple : IFO de Munich) se risquent à prévoir un taux de + 1,1% du PIB tandis que la « Buba » (Bundesbank) évoque + 1,6% (+1,9% en 2018).

Croissance en berne, mais emplois maintenus. – Malgré ces perspectives assombries (rappelons nous cependant que « le pire n’est jamais certain ! »), le marché de l’emploi tient et le taux de chômage reste à niveau : 4,9% prévus pour cette année et 4,6% pour 2020 (contre 5,2% en 2018). Il n’empêche que l’évolution économique attendue marque, elle aussi, un risque de fracture au moment où l’opinion se montre préoccupée par la situation socialo-politique. 50% des Allemands ne trouvent-ils pas, comme du reste Angela Merkel évoquant les campagnes électorales, que l’expression de la violence et de la haine a augmenté l’année dernière ?

Un constat que les observateurs peuvent également relever dans les échanges internationaux. L’évolution des rapports avec les Etats-Unis de Donald Trump est significative. Malgré les efforts d’Angela Merkel pour poursuivre les relations cordiales avec les USA. L’Allemagne, depuis la création de la République Fédérale, a toujours considéré ces derniers comme son allié et protecteur numéro un. Qui ne se souvient pas, même au lendemain de la signature à Aix-La-Chapelle (où est enterré… Charlemagne !) du nouveau Traité d’Amitié Franco-Allemand, que le Parlement allemand, redoutant que les références à une politique rapprochée de défense n’effarouche Outre-Atlantique, avait fait insérer dans le traité de l’Elysée une référence explicite à l’OTAN et à l’alliance du monde occidental. Cette fois, le paragraphe sur la politique en matière de défense voire d’armée commune n’a -jusqu’ici du moins- suscité d’opposition frontale hors les traditionnels milieux pacifistes !

Quand Trump menace ! – Est- ce un signe des temps et la marque d’une autre forme de fracture au moment où Donald Trump ne cesse de harceler le manque d’engagement militaire de l’Allemagne au profit des intérêts américains dans l’OTAN ? Considérant que c’est un projet favorable à la Russie lésant les intérêts américains, Trump est même allé jusqu’à menacer de sanctions les entreprises allemandes qui participeraient à la réalisation du gazoduc North Stream 2 (Russie-Allemagne sous la Baltique).

L’année 2019 qui, en son début (eurojournalist.eu du 02.01.19) paraissait encore bien lisse et sans histoire, dégage déjà des pistes d’évolution où les fractures avec hier sans doute riches en changements voire en « fractures de fatigue » comme diraient les sportifs). Mais, comme le soulignait Angela Merkel, la « démocratie se nourrit du changement ». Et comme le disait Annette Kramp-Karrenbauer dans une interview parue dans « Le Monde » (20/21 Janvier) : « L’important n’est pas de ressasser le passé, mais de se demander ce qu’il faut faire concrètement aujourd’hui et demain. » Qui a dit : ” le changement c’est maintenant ” ?

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