Allemagne : vous avez dit «collectivisation»?

Un Kéké profère la pire des insultes

Kevin KÜHNERT, dirigeant des Jeunesses socialistes, en pleine réflexion Foto: Michael Lucan /Wikimédia Commons/ CC-BY-SA 3.0Germany

(Marc Chaudeur) – Un tout jeune homme avec une drôle de houppe sur la tête (quand le vent souffle de la gauche) remue les cercles politiques allemands depuis le 2 mai dernier, depuis sa dernière interview à Die Zeit. Surprenant, ce débat, puisqu’il porte sur la collectivisation des grandes entreprises, un point étonnamment désuet, et démodé – et peut-être totalement dépassé dans la réalité objective. Mais est-ce bien sûr ? Nullement.

Ce jeune homme, Kevin Kühnert, 29 ans, dirigeant des Jeunesses socialistes (Jusos), l’association de scoutisme de la SPD, a déclaré notamment (et surtout) dans l’interview à Die Zeit : «  Il y a ceux qui possèdent le capital, et ceux qui le travaillent ». Euh… Rien de neuf sous le soleil, dira-t-on. Rien de nouveau non plus dans la proposition, au moins la suggestion, d’une collectivisation des grandes entreprises. Mais le discours de Kühnert met en relief deux faits particulièrement intéressants : le déni par les partis politiques (tous, sauf Die Linke) d’une réalité pourtant bien évidente, et que traduisent de très nombreux graphiques et études lisibles par tous.

Troublant : si la collectivisation d’entreprises comme BMW ne risque nullement de se faire dans les prochains jours, le débat public au contraire s’en ressaisit maintenant… Le débat public, d’ailleurs, en ce moment, heurte de l’arrière-train le socle le plus rudimentaire de son contenu, en France comme en Allemagne et dans toute l’Europe. A droite, on assiste à un retour des représentations les plus ringardes et les plus dangereuses (racisme, antisémitisme, appels divers à la violence pour des causes diverses…). A gauche, on a affaire à un retour des propositions les plus élémentaires et les plus éculées. Est-ce parce qu’on racle le fond ? Ou bien parce qu’ on retourne à ce qui est vraiment essentiel ?

Collectiviser les grandes entreprises, notamment BMW, le constructeur auto préféré des dealers dans les cités françaises ? Quelle étrange idée ! Quelle idée délirante, et rétro-vintage ! Et, non moins ahurissante : l’obligation qu’éprouvent presque tous les dealers, euh, les leaders, politiques, à intervenir et à pondre leur déclaration ! Il y a quelque chose là-dedans. Quelque chose : nécessité médiatique de ne pas être invisible et absent ? Ou bien intuition, chez les politiciens, qu’il y a là quelque chose qui pointe, qui s‘annonce ?

En définitive, les politiciens se prononcent bien davantage en fonction de la position qu’ils défendent qu’en fonction de la réalité objective des inégalités et par conséquent, de l’injustice qui règne en Allemagne – et plus largement, en Europe.

Qu’on en juge un peu. Annegret Kramp-Karrenbauer :«Je n’aurais jamais cru que notre vieux slogan : « La liberté ou le socialisme » pourrait redevenir aussi actuel lors d’une élection !»(samedi à Halle). Le libéralisme ou la dictature, en somme ; la CDU fidèle à elle-même. Olaf Scholz, ministre SPD des Finances : «Kühnert a 30 ans … Je pourrais lui montrer toute une liste, publiée depuis 30 ans, de propositions qui se sont avérées irréalisables !» Andrea Nahles, présidente de la SPD, laconique : « Les assertions de Kühnert sont fausses ! » Ah ? Et certain député socialiste a demandé à son collègue Kevin s’il avait fumé de la moquette made in RDA.

Et pourtant… Pour ce qui est de la distinction qu’opère Kühnert, dans cette interview, entre ceux qui possèdent le capital et ceux qui le travaillent, Kühnert est plutôt… mesuré ! Parfaitement. Il y a 2 ou 3 faits à rappeler, que l’on trouve très facilement dans n’importe quelle analyse sérieuse et précise.

Les analyses en effet mettent en évidence la profondeur abyssale des inégalités – nettement plus marquées d’ailleurs en Allemagne qu’en France. Sommairement, les 45 foyers les plus riches possèdent à peu près autant que les quelques 20 millions de foyers qui composent la partie la plus démunie de la population allemande. Impressionnant, non ? (Chiffres de la Banque Centrale Européenne).

Ensuite, ceux qui ont beaucoup d’argent détiennent beaucoup de pouvoir : comment prétendre le contraire ? Les revenus des grands dirigeants d’entreprises atterrissent dans leurs poches – et dans celles des tout juste un peu moins privilégiés. Et ils disposent d’une influence considérable, sur les entreprises et sur les partis politiques, par les moyens qu’on connaît. C’est bien le cas de BMW, à l’évidence !

Et Kühnert a parfaitement raison d’évoquer cette entreprise précise. Les dirigeants de BMW, les frère et sœur Stefan Quandt et Susanne Klatten, se classent parmi les Allemands les plus riches. Ils disposent de 47% des actions du constructeur auto. En 2018, 1,1 milliard d’euros de dividendes ont déferlé dans leurs poches. Leur fortune à eux deux est estimée à 34 milliards d’euros. Comme les dirigeants de BMW, ceux d’Aldi, de Lidl, de Porsche, et quelques autres ont les capitaux, que d’autres travaillent. Kühnert a raison, à sa manière élémentaire.

Pour ce qui est de la «collectivisation», elle n’est en principe pas impossible ; mais il faudrait pour cela qu’au moins une proportion importante de la population possède des actions dans cette entreprise (BMW). Ce qui, en revanche, est empiriquement impossible : le nombre de ceux qui ont un pouvoir de décision s’élève à 4,5 millions de personnes au maximum…

Et enfin, reste à définir de quel «collectif» il s’agit : un groupe restreint d’actionnaires ou de participants, l’Etat tout entier, etc ?

Quoi qu’il en soit, le jeune Tintin Kühnert a donné un gracieux coup de pied dans la fourmilière politicarde. Chacun s’y sent obligé de donner son grain de sel, d’ailleurs très éventé et très fade. Le débat en sera-t-il réellement renouvelé ? En tout cas, grands mercis, cher Kéké !

 

 

 

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