Autriche : un président « vert » et une extrême-droite en embuscade !

Est-ce que la dédiabolisation de l'extrême-droite en Autriche est un phénomène qui pourrait se reproduire aussi dans d'autres pays ?

Alexander van der Bellen sera président de l'Autriche dans quelques jours. Avant la prise du pouvoir par l'extrême-droite ? Foto: Ailura / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0AT

(Par Alain Howiller) – L’exemple est plutôt rare et singulier : au premier janvier de cette année, les Autrichiens vivant, en quelque sorte, l’épilogue d’une année électorale riche en rebondissements, ont été… privés de la traditionnelle allocution de leur Président de la République. S’il n’y a pas eu d’allocution présidentielle, c’est tout simplement parce que le pays n’avait pas de… Président ! Nouveau chef de l’Etat élu le 4 Décembre dernier avec 53,8% des voix contre Norbert Hofer, représentant du parti d’extrême droite « FPÖ » (« Freiheitliche Partei Österreich – Parti autrichien de la Liberté »), Alexander van der Belllen, ancien président des « verts autrichiens » avec le soutien desquels il s’était présenté aux élections présidentielles, ne prendra officiellement ses fonctions que le 26 Janvier !

Ceci explique cela ! Et dans un pays où la tradition compte, la singularité de ce début d’année jette, une fois de plus, un coup de projecteur sur un incroyable imbroglio électoral vécu, l’année dernière, par les électeurs de ce qu’on appelle parfois « die Alpine Republik ».

Pas de défaite… une victoire décalée ?… – Avec des rebondissements étonnants, ladite « République Alpine » aura connu, en 2016, des sommets qui interpelleront encore longtemps les politologues du pays ! Ce que les électeurs autrichiens ont vécu à travers leurs élections présidentielles entrera certainement dans les annales de l’histoire européenne où les évènements risquent fort de marquer « ce » tournant qu’attendait l’extrême-droite pour espérer, plus que jamais, son arrivée au pouvoir. Présidente du Front National, Marine Le Pen ne s’y est pas trompée : commentant la défaite électorale de Hofer, elle n’a pas hésité à souligner : « Ce n’est pas une défaite, c’est juste une… victoire décalée ! ».

Une victoire qui a bien failli se concrétiser à l’issue des deux tours (24 avril et 22 Mai) de la « première élection présidentielle 2016 », qui sera invalidée pour vice de forme par le Conseil Constitutionnel. Alexander van der Bellen avait gagné de peu le deuxième tour de l’élection, en l’emportant d’un peu plus de 31.000 voix (50,3% des suffrages !) sur Norbert Hofer.

Ce résultat constituera une double surprise : la première porte sur l’élimination au premier tour des candidats des deux partis -les sociaux-démocrates du SPÖ et les conservateurs du ÖVP- qui se partagent de fait le pouvoir depuis les débuts de la République avec la complicité active des syndicats. La deuxième porte sur la place qu’occupera dans le scrutin, le parti d’extrême-droite FPÖ.

Contre les vieilles recettes et les vieilles coalitions ! – Le premier tour verra donc les candidats des deux partis du pouvoir quitter la compétition électorale : ils auront recueilli, chacun, moins de… 12% des voix ! L’électorat a manifesté sa lassitude devant les « combinaisons » développées par les deux partis pour se partager le pouvoir. Volker Kauder, chef de la fraction CDU/CSU du Bundestag allemand, aura ce commentaire juste (mais peut-être transposable un jour à l’Allemagne !) : « En Autriche, les éternelles mêmes grandes coalitions ont fatigué les citoyens. Nous devons éviter que nous arrivions au même résultat en Allemagne. Après les élections de 2017, nous devrions faire en sorte qu’il n’y ait plus de grande coalition chez nous en Allemagne ! »

Si rien ne nous dit que le porte-parole allemand sera entendu aux élections de Septembre, les électeurs autrichiens ont adressé un avertissement sévère aux forces politiques en envoyant au deuxième tour Norbert Hofer qui recueille 35% des voix et Alexander van der Bellen qui, lui, recueillera 21% des suffrages ! Malgré un certain nombre de handicaps, Van der Bellen (72 ans, sans parti mais avec le soutien des « Verts », qui vient de divorcer pour épouser sa maîtresse) remonte le courant hostile pour l’emporter d’extrême justesse au deuxième tour où l’extrême-droite est battue de justesse : Norbert Hofer, grâce à une campagne tout en nuances au cours de laquelle il gommera les outrances de son parti dont il est, pourtant l’idéologue (voir eurojournalist.eu du 30.11.2016), s’est lancé dans la nouvelle élection qui avait lieu le 4 Décembre après l’invalidation des résultats du 22 Mai, mis en cause pour non-respect de certaines règles dans l’important (16,7% des votes !) contingent des votes par correspondance !

Une extrême droite « dédiabolisée »… – On connaît la suite immédiate : Alexander van der Bellen, bénéficiant d’un sursaut venu essentiellement des jeunes et des abstentionnistes (il y avait une participation de 74,2% aux élections du 4 Décembre) l’emportera finalement. En attendant le résultat d’élections générales prévues l’année prochaine. La plupart des observateurs s’attendent à des élections anticipées que Norbert Hofer, fort des résultats des présidentielles et espérant des retombées de sa campagne de 2016, entend remporter : l’extrême-droite parviendra-t-elle, comme en 2000, à partager le pouvoir grâce à une alliance avec l’un des deux partis qui avaient l’habitude jusqu’ici de diriger le pays ?

L’arrivée à la présidence de la République d’Alexander van der Bellen risque-t-elle de changer cette perspective alors que le nouvel élu (qui a des pouvoirs réels dans ses fonctions) s’est promis de tout faire pour éviter d’autres succès pour le FPÖ ? Le système électoral autrichien, fondé sur la proportionnelle intégrale, pousse aux alliances et les résultats du Parti de la Liberté, sorti de sa diabolisation (!), peuvent en faire un partenaire d’autant plus recherché que la traditionnelle coalition ÖVP/SPÖ n’est pas certaine de pouvoir se reconduire faute d’avoir la majorité nécessaire pour gouverner !

Pour expliquer la dédiabolisation, il y a certes le précédent de 2000 où le Parti de la Liberté avait fait partie d’une coalition montée par le parti conservateur ÖVP : en guise de protestation contre cette alliance, les 14 partenaires (de l’époque) de l’Autriche dans l’Union Européenne avaient boycotté le gouvernement droite/extrême-droite pendant 7 mois. Depuis, le « Parti de la Liberté » participe au gouvernement du Burgenland avec le parti social-démocrate SPÖ et il participe à la gestion de la région de Haute-Autriche avec le… parti conservateur ÖVP !

Une incroyable « troïka » pour gérer la présidence !… – Bien plus pendant la période où, entre le mois de Mai et jusqu’à la prise de fonction d’Alexander van der Bellen, l’Autriche n’avait plus de Président de la République, une troïka avait été mise en place pour assurer une sorte d’intérim de la présidence de la République : la troïka était composée de la présidente (SPÖ) du Parlement, assistée de ses deux vice-présidents du parlement : le représentant du ÖVP et… Norbert Hofer (candidat à la présidence et de ce fait juge et partie !) au titre du FPÖ ! Ce dernier, en alors en pleine campagne électorale présidentielle (!) avait été amené du fait de sa participation à l’intérim à assumer des missions de représentation officielle ! La situation politique autrichienne atteint, on le voit, des sommets étonnants que la République Alpine assume !

La victoire d’Alexander van der Bellen risque fort de devenir une « victoire à la Pyrrhus » où le FPÖ a, en fait, reculé pour mieux sauter : il reste un peu de temps pour que les forces politiques autrichiennes procèdent à une sévère introspection pour jeter les bases d’un avenir repensé. La forte participation -notamment des jeunes -aux élections présidentielles, la mobilisation de la société civile en faveur du candidat « vert » devraient être un signe.

C’est dans ce contexte particulier qu’on apprenait que contrairement à une première décision gouvernementale (voir eurojournalist.eu du 21.10.2016) la maison natale de Hitler à Braunau am Inn, dont la démolition avait été approuvée même par Norbert Hofer, pourrait bien ne plus être démolie, mais pourrait être entièrement transformée pour ne plus être « identifiable » ! Il est vrai que les « anciens de Stalingrad » ont une plaque-souvenir -fleurie régulièrement- dans la crypte d’une église de Braunau !… Nouvelles et anciennes ambiguïtés autrichiennes ?

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