Brexit : l’enfer, c’est l’Autre

L’écrivaine Esther Heboyan se pose la question quant aux raisons du rejet de l’UE par la Grande Bretagne. Un début de réponse se trouve chez William Shakespeare…

Les extrémistes sont en train de porter un coup grave à l'idée européenne. Foto: Rlevente / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Esther Heboyan) – Apparemment, de l’autre côté de la Manche, les pauvres pensent que l’Autre est venu leur prendre emplois mal payés et logements lugubres. Les Britanniques réduits à se vêtir éternellement dans les friperies d’Oxfam, à se nourrir jour après jour de pain de mie tartiné à la marmite ou aux haricots blancs à la sauce tomate, en ont apparemment assez. Les gouvernements travaillistes ou conservateurs et cette Union Européenne siégeant à des années-lumière de Leeds, Cardiff ou Ramsgate faisant fi de la préférence nationale, les pauvres du royaume craignent de n’avoir jamais droit à rien, ni emplois ni logements. Exit Britain.

Les riches, nouveaux riches ou riches depuis des générations, ayant accès aux privilèges de la vie sur terre, depuis la verdoyante campagne anglaise où ils aiment se promener en toute saison jusqu’à la coupe de champagne et à la coupelle de fraises qu’ils dégustent à Wimbledon l’été, les riches, eux, pensent que l’Autre peut venir les menacer, sous une forme ou une autre, et qu’ils pourraient perdre emplois bien rémunérés, placements boursiers, logements cossus et réseaux d’amis. Les gouvernements britanniques successifs au même titre que l’Union Européenne pourraient causer leur déchéance. Exit Britain.

Vision simpliste ? Pas tant que ça si l’on se réfère à toutes les propagandes attisant la méfiance, la peur et la haine de l’Autre, figure réelle ou fantasmée, prête à assaillir les côtes de cette île mythifiée, à tort ou à raison, par William Shakespeare.

Cet auguste trône de rois, cette île porte sceptre,
Cette terre de Majesté, ce siège de Mars,
Cet autre Éden, ce demi paradis,
Cette forteresse bâtie par la nature pour se défendre
Contre la contagion et le coup de main de la guerre,
Cette heureuse race d’hommes, ce petit univers,
Cette pierre précieuse enchâssée dans une mer d’argent
Qui la défend, comme un rempart,
Ou comme la douve protectrice d’un château,
Contre l’envie des contrées moins heureuses,
Ce lieu béni, cette terre, cet empire, cette Angleterre, […].
(Richard II, Acte 2, Scène 1) (1)

This royal throne of kings, this scept’red isle,
This earth of majesty, this seat of Mars,
This other Eden, demi-paradise,
This fortress built by Nature for herself
Against infection and the hand of war,
This happy breed of men, this little world,
This precious stone set in the silver sea,
Which serves it in the office of a wall
Or as a moat defensive to a house,
Against the envy of less happier lands,
This blessed plot, this earth, this realm, this England, […].
William Shakespeare, Richard II, 2.1, 1595

(1)    Traduction française de François-Victor Hugo, Gallimard, 1959

Ajoutons une dose de patriotisme. Et tous les alchimistes du royaume, à l’image des arnaqueurs-bonimenteurs de Ben Jonson , s’en vont colporter leur potion magique. Rule Britannia !

Mais, ne nous égarons pas. Nous avons les mêmes à la maison. Et c’est sûr, c’est aussi moche, aussi infect que là-bas, dis ! Ici ou là-bas de l’autre côté de la douve, et ailleurs dans chaque État membre de l’UE qui se rêve en État-Nation enclavé derrière des murs, avec missiles et miradors comme points d’accueil.

Apparemment, l’enfer, c’est l’Autre. Encore et toujours. Qui l’eût cru après des décennies de réflexions et de négociations, d’échanges et de transactions, de rencontres au sommet, de débats dans les assemblées et de colloques dans les amphithéâtres ? Les Britanniques (demain, les Autres ?), pauvres et riches, ont rejeté l’UE. Au nom de la liberté. Mais au fait, laquelle ? Souhaitons qu’après leur retrait de l’Union, les pauvres ne seront pas plus pauvres et que les riches ne seront pas plus riches.

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