Cannabis : la France et l’Allemagne pas sur la même ligne

Tandis que l'Allemagne se prépare à une expérimentation de légalisation du cannabis, la France déclare la guerre même aux consommateurs de la drogue. Mais cette guerre est perdue d'avance.

Là où on a légalisé le cannabis, comme ici à Burlington, Ontario, Canada, les résultats sont concluants. Foto: Britcouple007's Cam / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(KL) – La France est choquée par les règlements de comptes à Marseille qui font des victimes de plus en plus jeunes. Les fusillades marseillaises se déroulent sur fond de guerre entre bandes mafieuses qui se disputent le marché de la drogue dans la ville phocéenne. Les réactions du monde politique sont claires – il faut serrer la vis dans les quartiers, augmenter le effectifs policiers et judiciaires et poursuivre même les petits consommateurs. Cette stratégie est diamétralement opposée aux stratégies en place dans d’autres pays européens. Car la politique « zéro tolérance » concernant le cannabis, présente un inconvénient majeur – elle renforce le « modèle d’affaires » des structures criminelles, sans pour autant faire baisser la consommation.

« L’année dernière, nous avons dressé plus de 18.000 PVs de 135 € pour usage de stupéfiants illicites », s’est exclamé, tout fier, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin devant l’Assemblée Nationale. Comme si ces PVs pouvaient changer quelque chose au fait que jusqu’à 5 millions de Français consomment tous les ans du cannabis en France. Par contre, les policiers ayant dressé ces PVs, les administrations qui doivent gérer la paperasse de ces dossiers, et d’autres ressources manquent dans leurs missions de base. Mais ni les dispositifs policiers renforcés, ni les embauches de davantage de magistrats, ni les PVs peuvent embêter un marché qui ne profite qu’aux bandes criminelles.

Ailleurs, là où on a légalisé le cannabis, on obtient des résultats bien différents. D’abord, lorsque l’état gère la culture, le traitement et la distribution du cannabis, les consommateurs ne sont pas exposés au risque de consommer d’autres substances cachées dans le cannabis. Ensuite, la légalisation du cannabis mène intrinsèquement à la séparations des marchés de la drogue dure (héroïne, cocaïne, etc.) du marché du cannabis. Cette séparation permet de mieux cibler les actions contre les bandes qui vendent des drogues dures, tout en évitant de criminaliser des millions des personnes qui consomment occasionnellement un joint. La justice et la police s’en trouvent délestées et peuvent s’occuper de choses bien plus importantes que la verbalisation des consommateurs.

« Le crime existe, parce qu’il y a des consommateurs », disent les défenseurs d’une politique « zéro tolérance », comme le ministre Dupond-Moretti. « Donc, il faut poursuivre les consommateurs, pour qu’il n’y ait plus de dealers ». Là, il s’agit de l’argument utilisé par la Prohibition aux Etats-Unis, lorsque les autorités voulaient bannir l’alcool. Résultat : la consommation d’alcool n’avait, bien entendu, pas baissé, mais la Prohibition avait donné naissance à de nouveaux groupes du crime organisé et ces groupes existent en partie encore aujourd’hui. Car un produit interdit se vend bien plus cher qu’un produit que l’on peut acheter dans un magasin.

Seule une légalisation du cannabis peut stopper le « modèle d’affaires » des dealers dans les quartiers. Si les consommateurs pouvaient acheter du cannabis dans des magasins gérés par l’état, les « points de deal » se déserteraient et l’état aurait ouvert une nouvelle source de revenus, comme dans le Colorado où, pendant la première année de la légalisation du cannabis, l’état avait encaissé 2 milliards de dollars de taxes sur le produit.

L’Allemagne, quant à elle, a annoncé la légalisation du cannabis, objectif politique de la coalition au pouvoir, mais actuellement, le gouvernement se heurte aux textes en vigueur au niveau européen, ce qui oblige le ministre de la santé Karl Lauterbach de lancer cette légalisation d’abord dans quelques Länder, en attendant les jugements définitifs de la Cour Européenne et un premier retour du terrain depuis les Länder qui font partie de cette expérimentation qui commencera prochainement.

Permissivité ou « zéro tolérance » ? Toutes les expériences faites dans les pays ayant légalisé le cannabis, sont plutôt positives. Sauf quelques incidents où des bandes de braqueurs avaient tenté de déposséder des cultivateurs du chanvre dans le Colorado, les expériences sont concluantes et les problèmes rencontrés dans le Colorado, relèvent plutôt de la criminalité « ordinaire ». Par ailleurs, les pays ayant osé le pas vers la légalisation, rapportent des effets positifs. Par contre, les pays qui continuent à poursuivre le marché du cannabis, dépensent des sommes faramineuses et surchargent leurs systèmes judiciaires, sans pour autant atteindre leur but déclaré. Verbaliser 18.000 consommateurs de cannabis, lorsque 4.982.000 consommateurs ne le sont pas, cela ne sert strictement à rien.

Si on veut couper l’herbe sous les pieds des dealers dans les quartiers, il suffit de casser leur « modèle d’affaires ». Renforcer les dispositifs de contrôle et de répression, ne fera que grimper les prix et arrangera donc encore plus les intérêts des bandes criminelles. Ceci dit, force est de constater qu’en Europe, la France est le dernier pays à appliquer une telle politique concernant le cannabis. En vue des fusillades à Marseille, il est difficile de qualifier cette politique de « succès ».

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste