De « Rule Britannia » au « Brexit » – une Grande Bretagne « qui se perd » ?

Alain Howiller sur le « Brexit », qui constitue probablement la plus mauvaise idée britannique depuis des siècles…

Heureusement que Donald Trump et son pote Boris Johnson ne soient pas seuls à décider du "Brexit"... Foto: Matt Brown from London, GB / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Par Alain Howiller) – Helmut Kohl a mis des années pour avouer qu’il avait été trop optimiste en annonçant que, sous la pression des enjeux de la réunification et pour soutenir sa politique, il avait annoncé, dès le Ier juillet 1990,que « bientôt » les 5 nouveaux Bundesländer de l’Est se transformeront « en paysages fleuris » (« blühende Landschaften »). Il n’avait, en fait, pas beaucoup d’illusions quant à la concrétisation de l’image utilisée!… Il y a fort à parier que Theresa May, chef du gouvernement britannique, mettra nettement moins de temps à reconnaître qu’elle avait été, elle aussi, bien optimiste lorsqu’elle avait soutenu qu’elle voulait « donner un rôle audacieux au Royaume Uni après son retrait de l’Union  Européenne ». Elle avait complété son propos en lançant : « Le Brexit signifie le Brexit, et nous en ferons un succès ! ».  Rien apparemment n’est moins sûr, et après des mois d’attente, Theresa May a enfin présenté son « Livre blanc » : un document de 24 pages mettant en relief la manière dont elle voit la sortie de la Grande Bretagne de l’Union Européenne (UE) et les rapports qu’elle souhaiterait entretenir par la suite avec cette dernière.

La Grande Bretagne, une colonie ? – Le fait qu’ils n’aient pas marqué d’opposition à ce plan lorsque la « première ministre » l’a présenté au gouvernement, n’a pas empêché David Davis, secrétaire d’Etat chargé du Brexit, et Boris Johnson, le flamboyant et imprévisible Ministre des Affaires Etrangères, de quitter le gouvernement pour protester contre l’approche défendue par Theresa May. Partisan d’un « Brexit dur », Boris Johnson accuse Theresa May de capituler devant l’Union Européenne dont elle « deviendra une colonie ». Les deux ministres incarnaient l’espoir d’une « Angleterre Mondiale », libérée de tous ses liens avec un continent concurrent pour ne pas dire… « ennemi » !

« Tu règneras sur les mers, le peuple à jamais ignorera les fers, tu inspireras au monde la crainte, l’envie, le regret » : ce n’est pas du Johnson (encore que cela pourrait en être !), mais l’extrait d’un poème devenu chanson d’un poète écossais écrit en… 1740, intitulé « Rule Britannia ». Une autre version de ce texte, aujourd’hui encore entonné dans les pubs lors de victoires en rugby, relève : « Tu t’épanouiras grande et libre dans la crainte et le désir de tous… Les Bretons jamais, jamais ne doivent être esclaves ! ». Les partisans d’un « Brexit » dur peuvent-ils réellement encore croire à ce type d’incantation qui déjà, faisait florès dans les années soixante lorsqu’à l’instigation de la Grande Bretagne naquit une zone de libre échange (l’Association Européenne de Libre Echange-AELE) en réponse au Marché Commun ! Du reste, comme la plupart de ses partenaires de l’AELE, l’Angleterre, réalisme oblige, adhérera à l’Union Européenne le 1er janvier 1973, après avoir obtenu quelques aménagements de statut !

Le beurre et l’argent du beurre. – Comme son Livre Blanc le suggère, Theresa May aimerait bien bénéficier de la procédure qui permit à Edward Heath, son lointain prédécesseur, de conclure avec le Marché Commun. Elle aimerait bien, en gros, pouvoir conclure une zone de libre échange pour les produits et préserver une forme d’union douanière (qui permettrait d’éviter une nouvelle division de l’Irlande) tout en préservant son indépendance pour les services, sa diplomatie, sa politique sociale, sa justice, la circulation des personnes… Pour certains, la Grande Bretagne aimerait quitter l’Union Européenne tout en conservant certains avantages : elle voudrait, en quelque sorte, dans le cadre d’un « Brexit doux », le « beurre, l’argent du beurre et encore, à la fin du fin, la… crémière ! ». Pour essayer de mettre des atouts dans son jeu, Theresa May reprend le contrôle des négociations avec Bruxelles : le successeur de David Davis, Dominic Raab, l’assistera face à Michel Barnier négociateur en chef désigné par l’UE.

Que donneront ces négociations, qui devraient aboutir d’ici au 18 Octobre avec une mise en place pour le 30 Mars 2019 ? A un certain optimisme de départ sont en train de succéder des doutes d’autant plus sérieux que les électeurs britanniques, qui avaient à 51,9% décidé lors du referendum du 23 Juin 2016 de quitter l’UE, bien qu’évoluant, ne semblent pas (encore ?) vouloir se déjuger ! Le scénario d’un échec des négociations préludant à un divorce entre la Grande Bretagne et le continent est désormais sur la table des négociateurs. La rupture, le « no deal » conserve ses partisans : l’un des plus virulents étant… Donald Trump dont, une fois de plus, on ne comprend pas l’approche.

Trump nouveau Captain America ? – Partisan brutal d’une sortie de la Grande Bretagne, Trump a agoni d’injures la première ministre, lui reprochant de trahir le vote des Britanniques en faveur du Brexit : il est allé jusqu’à souhaiter que « son ami Boris Johnson remplace Theresa May ! ». Champion du bilatéralisme, le Président US, nouveau « Captain America », a toujours tiré à boulets rouges sur l’UE traitée parfois de « première ennemi des Etats Unis devant la Chine et la Russie! ». Dans son esprit, une Grande Bretagne libérée de ses liens avec l’UE, championne du multi-libéralisme, pourrait être utilisée comme une sorte de… porte-avions d’où il pourrait tirer plus facilement sur une icône continentale qu’il rêve de neutraliser. Le maintien de liens multilatéraux, ne serait-ce qu’à travers un Brexit doux, n’est guère compatible avec cette vision des choses qui tend, de plus, à attirer les membres d’une Union qu’on veut démembrer.

La question qui se pose est évidemment, même à ceux qui ont l’habitude des changements contradictoires cultivés par Trump, quelle a été la teneur des entretiens entre la première ministre et le président qui s’est brusquement transformé en laudateur de son interlocutrice après avoir échangé avec elle ? Comment expliquer ce revirement ? Après avoir écouté Theresa May, se serait-il persuadé que le divorce entre la Grande  Bretagne et l’UE est inévitable compte tenu des positions en présence ? Alors : Trump Cagliostro prédisant l’avenir, ou bien Machiavel tireur de cartes ? La (presque) proche sortie de l’été nous fixera. Dans l’espoir que l’Union Européenne triomphera des doutes qui l’assaillent trop souvent aujourd’hui et reprendra le chemin qu’elle n’aurait jamais dû quitter : celui d’un avenir éclairé par cette « annexe du Traité de Lisbonne » qui fait référence aux valeurs à défendre !

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