Des technologies au service du climat

Depuis 100 ans, le monde dispose de technologies qui peuvent réduire la consommation de fuel dans le trafic maritime. Etonnant qu'on ne les utilise pas davantage.

Le "E-Ship 1", un bateau Flettner. Foto: Alan Jamieson from Aberdeen, Scotland / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(KL) – Vous connaissez les bateaux Flettner ? Ces bateaux sont dotés de rotors entraînant des turbines qui permettent d’économiser de grandes quantités de fuel lors de traversées d’océans. Une solution pour le climat ? Le bateau « E Ship 1 » de l’armateur allemand Enercon transporte déjà des éléments d’éoliennes vers les parcs offshore et ce bateau fonctionne aussi avec ces rotors. Nous avons interrogé notre confrère José-Manuel Lamarque, grand expert des questions maritimes sur FranceInfo et France Inter.

José-Manuel Lamarque, est-ce que les bateaux Flettner constituent l’une des solutions pour rendre les océans plus propres ?

José-Manuel Lamarque : Ces bateaux sont une option pour l’avenir. Depuis 10 ans, la question est discutée. Alors, bien sûr, on est dans le rotor, c’est-à-dire l’éolienne, donc la propulsion vélique à propulsion du vent. Ça, c’est une des solutions. Dans ce domaine, nous avons fait des progrès rapides. Cela fait penser au catamaran français qui a été un vrai laboratoire et qui continue à être un laboratoire d’énergie sur ce catamaran. Bien sûr, il y avait des ailes, mais il y a toujours aussi des éoliennes. Toutefois, on a fini par les retirer. On a testé l’hydrogène, parce que l’hydrogène, on y va. On a testé l’énergie solaire sur et sous le catamaran, puisque le reflet de l’eau peut aussi alimenter les panneaux solaires.

Votre navire allemand, c’était le grand début. Maintenant, l’énergie vélique et la propulsion vélique sont en train de se développer avec des sociétés comme Zéphyr et Borée, Teo, WT, Grain de sel, néo line par exemple. On est en train justement, avec cette propulsion vélique, de développer « Canopée ». Canopée sera bientôt prêt. Qu’est ce que c’est Canopée ? Ça sera un bateau cargo qui va transporter les pièces d’Ariane du continent européen vers la Guyane. On est partis sur la propulsion vélique, alors beaucoup n’y croyaient pas. Maintenant, c’est devenu une réalité. Il y a même une association qui fédère tous les constructeurs et les utilisateurs de la propulsion vélique qui s’appelle « Wine Ship ». C’est Lise de Trémont qui en est la secrétaire générale et qui fédère toutes ces actions.

Donc, on en est où, avec votre navire allemand ? Il a ses quatre grandes tours, que l’on peut appeler éoliennes, bien sûr, puisqu’elles sont entraînées par le vent, mais qui pourraient aussi être propulsées par le gaz, parce que c’est un bateau qui fonctionne aussi au diesel lourd. Alors, de plus en plus, on est en train de nous séparer du diesel lourd. En attendant l’hydrogène, qui n’est pas encore tout à fait au point. En ce moment, nous sommes sur la création de carburants de synthèse et en dehors de ces carburants de synthèse, il y a aussi le gaz. Donc, vous voyez, c’est tout un monde qui est en train de se développer. La seule question qui se pose, c’est si technologiquement, on y arrive. Au niveau maritime, on y arrive. Technologiquement, bien sûr, on construit des voiles dans des matériaux nouveaux, on construit des mâts, des mâts rétractables et électroniques. Sauf qu’aujourd’hui, il va falloir réapprendre à tous les marins professionnels et à tous les officiers de marine marchande à naviguer avec la voile.

Pourtant, ces rotors ont été inventés dans les années 20 du siècle dernier par l’ingénieur allemand Anton Flettner. Pourquoi est-ce que l’on ne souvient seulement aujourd’hui de cette technologie ?

JML : Je pense qu’à un moment, il y a eu la grande victoire des carburants à base de pétrole et on avait complètement délaissé la propulsion vélique, la propulsion du vent, puisqu’on disposait de beaucoup de pétrole qui ne coûtait pas cher et donc, on pouvait construire autant de moteurs diesel qu’on voulait et cela ne posait pas de problème. Maintenant, avec l’empreinte carbone, la question se pose, bien sûr. Depuis dix ans, on y réfléchit sérieusement.

Le transport maritime représente plus de 90% du transport mondial. Ne faudrait-il pas imposer, par voie légale, ce genre de propulsion ?

JML : Par voie légale, ce serait possible. Mais il faudra mettre d’accord les nombreuses organisations maritimes internationales. Mais quand je vois que l’on traîne depuis des années aux Nations Unies pour avoir un accord sur la haute mer et sur les grands fonds marins, j’ai des doutes. Je pense que ça va être surtout un accord et non pas une loi. Autant les fabricants, les constructeurs de bateaux, les constructeurs de moteurs, les armateurs et les chargeurs, ceux qui ont besoin qu’on leur transporte leurs marchandises, doivent se mettre d’accord.

Pourtant, nous disposons aujourd’hui des premiers rapports sur les économies que l’on peut réaliser grâce à ces rotors. Sur les grands trajets, donc les traversées d’océans, on peut économiser entre 6 et 8% du fuel. Quand on considère la totalité des flottes marchandes sur les océans, cela représente quand même une économie extraordinaire…

JML : En effet, cela représente une économie extraordinaire. Toutefois, la meilleure économie, ce sera bien sûr la propulsion vélique, puisque l’on utilisera moins de carburants fossiles. Mais entre les deux, il y a une autre possibilité, à savoir le gaz et le gaz liquéfié. Ça, c’est une vraie économie, car en même temps, on réduit le salissement des moteurs diesel. Après, il y a d’autres niveaux pour réduire la consommation de fuel, comme les coques. Sur les coques, se collent des coquillages, comme par exemple les copépodes. Et quand ce sont des millions de coquillages qui se collent sur les coques, les bateaux sont ralentis. Ça paraît bête, mais c’est comme ça. Et aujourd’hui, il y a des revêtements qui sont faits à base de biomimétisme. Donc, on s’est inspiré de la nature pour empêcher ces coquillages de se coller sur la coque sans les tuer et cela aussi contribue à la réduction de la consommation de fuel.

Parlant de pollution – l’un des plus grands pollueurs des océans, ce sont les bateaux de croisière. Pourquoi est- ce qu’on n’oblige pas ces bateaux de croisière à utiliser des dispositifs comme ces rotors ? Vu la pollution qu’ils génèrent, une telle obligation semble faire du sens…

JML : On oblige aujourd’hui les bateaux de croisière à utiliser de plus en plus de filtres pour les échappements. Il y a aussi de nouvelles obligations de ne plus utiliser les moteurs quand ils sont à quai. La solution, je le répète, ce serait le gaz, le GPL. Il faut souligner que certains sont déjà au GPL. CMA, CGM, le grand constructeur français, y travaille déjà. Après, c’est la question du coût pour l’armateur ? Veut-t-il le payer ?

On a parlé pollution. Dernière question, José-Manuel Lamarque : Est-ce que les océans peuvent encore être sauvés ?

JML : Moi, je dis oui. L’océan capte un très fort pourcentage de CO2, plus que l’Amazonie, il ne faut pas l’oublier. Les océans peuvent être sauvés à une condition, bien sûr, qui est le respect de l’environnement et le respect de l’océan. Il ne faut jamais oublier que l’océan se régénère lui même. Je pense que les océans peuvent être sauvés à une condition, c’est qu’on ne fasse pas de prospection dans les grands fonds, et bien évidemment, que l’on trouve une solution sérieuse à la pollution plastique. Mais je pense aussi que l’océan risque de se sauver lui même par la fonte des glaces et par la submersion et l’érosion. A un moment, les océans, les mers vont monter de un, deux ou trois mètres. Les océans vont se sauver eux-mêmes, tandis que l’homme n’a pas encore compris que lui, ne dispose pas de cette capacité…

José-Manuel Lamarque, merci beaucoup pour cet entretien !

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