Edwy Plenel à la Librairie Kléber, à l’occasion des dix ans de Médiapart.

Dans son dernier livre, La Valeur de l’information (Ed. Don Quichotte), Edwy Plenel raconte la belle aventure de Médiapart.

La liberté de la presse est un acquis qu'il convient de protéger. Foto: Marc Chaudeur / Eurojournalist.eu

(M C) – Don Quichotte ? Pas exactement. Une image qu’Edwy Plenel a proposée est plus appropriée : celle du petit poisson qui se trouve face à un requin gigantesque, dans une mer polluée. Il faut que nous contribuions à dépolluer cette mer …

Un portrait excellent de nos démocraties, en effet, et non pas seulement de Médiapart. Le petit risque à chaque instant d’être dévoré, mais il ne manque pas de moyens pour lutter contre le gros ; c’est affaire de volonté et de persévérance, sans doute.

La démocratie, ce n’est pas seulement le droit de vote et les institutions ; c’est aussi la liberté de l’information. Elle-même appartient à un ensemble de valeurs, à une culture démocratique. C’est là le fondement même de l’action de Mediapart, que Plenel retrace dans son dernier livre. Une belle aventure que celle de cette centaine de personnes qui reconstruisent les puzzles du journalisme d’investigation. Et quel travail ! La récente affaire Sarkozy-Kadhafi : 25 tomes de dossiers ; une soixantaine d’ articles ; les dénégations et les médisances de journalistes en apparence pourtant proches. L’hostilité déclarée de nombre de politiciens en place (Manuel Valls : «  Il faut leur faire rendre gorge ! »). Les interactions critiques incessantes entre collègues journalistes et entre ces derniers et les lecteurs, grâce à la configuration du site en ligne et à une charte de la participation. Edwy Plenel, à ce propos, insiste sur la refondation de la confiance du public – car quelle démocratie que celle où la confiance abdique ? C’est une « démocratie de faible intensité », comme il le dit très pertinemment.

Le nerf de la guerre, c’est l’argent. On touche ici à l’élémentaire et à l’essentiel. Plenel a rappelé l’expression de Pierre Viansson-Ponté, aux belles heures du Monde : la « presse d’industrie », cette presse soutenue à coups de millions afin que personne ne touche aux intérêts de ces messieurs les « patrons », LVMH ou Dassault, de nos jours. Ne pas refuser ces financements, c’est toujours risquer que les informations ne sortent jamais, qu’elles soient tamisées par les chercheurs d’or. C’est tuer la liberté d’information par l’argent.

Jean-Luc Fournier, qui dialoguait avec Plenel, a posé la question attendue sur la récente proposition de loi contre les Fake News. Pour le créateur de Médiapart, ce ne serait là qu’une loi de circonstance, en définitive dictée par l’actualité américaine. En France, il existe une loi, la fameuse loi de 1881 : cette loi constitue le cadre normal pour la liberté de la presse et de l’information. Faudrait-il alors la contourner par une loi spécifique ? Non, bien sûr , car cela reviendrait à autoriser un régime d’exception. Ce serait créer une situation dangereuse, surtout dans un pays comme la France, où le pouvoir exécutif exerce une forte pression sur la justice, puisqu’ il suffirait que telle information déplaisante pour les dirigeants en place soit désignée comme « fake new » pour être vouée à une véritable censure. Cette loi ne s’attaquerait d’ailleurs pas au vrai problème, qui est celui de la marchandisation publicitaire de l’information, par conséquent celui l’estompage du fameux double filet, du wall qui sépare en principe information et publicité, excepté dans certains périodiques spécialisés. Plenel donne l’exemple de certains sites complotistes : comment vivent-ils ? Ils vivent grâce aux services de petites régies publicitaires qui s’entendent à brouiller les repères.

En somme, il existe un combat exaltant à mener pour la véritable démocratie et la liberté concrète de l’information. Edwy Plenel en montre très clairement les pistes et en livre même certaines clés . En un sens plus fondamental, il faudrait aussi qu’ en France, nous fondions et portions plus largement un imaginaire démocratique plus intense et plus large, et que pour ce faire , nous valorisions bien davantage le rôle du journaliste – comme on le fait aux Etats-Unis dans les films et les séries TV. Que nous héroïsions le journaliste. Voilà qui nous plaît.

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