Élections en République Tchèque

Le Sénat nous reste sur l ‘estomac : supprimons le Sénat !

Le Palais Wallenstein/Valdstejn, où se réunit le Sénat (Prague) Foto: Hynek Moravec / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 3.0Unp

(MC) – Ce mois d’octobre ont eu lieu les élections communales et sénatoriales. Le Premier ministre est déçu : les résultats de son parti, l’ANO, ne sont pas ceux qu’il espérait. Mais puisque le Sénat ne nous agrée pas, supprimons le Sénat !

Le 13 octobre a eu lieu le second tour des élections sénatoriales. Déception pour le parti au pouvoir, l’ANO (« Action des citoyens mécontents »), mené par le PM Andrej Babiš ; un parti qu’on peut situer à droite et qualifier de populiste. En effet, le parti n’a réussi à faire entrer au Sénat, par le goulot du vote démocratique, qu’un seul de ses candidats. Il déteste donc le Sénat. Soyons juste : de précédents occasions ont déjà indisposé le milliardaire politicien contre cette institution visant à équilibrer le pouvoir législatif et à réduire les risques de dépendance vis-à-vis de l’exécutif.
Le système tchèque, en effet, comprend deux chambres : la chambre basse et la chambre haute, dont les 81 parlementaires sont renouvelables pour un tiers tous les 2 ans.

Supprimer le Sénat ? Mais pour cela, il faut une majorité de 60 %, ce qui est très difficile à obtenir. Le Premier ministre s’en prend donc au mode d’élection à deux tours, qui bien évidemment, favorise les coalitions de ces méchants adversaires qui se liguent contre le preux Andrej Babiš.

Il est soutenu en cela par le Président, Miloš Zeman. Hin hin, on va réduire drastiquement le budget du Sénat, propose ce dernier à son gouvernement. Cette décision sera soumise au vote de la Première Chambre. Et voilà ! – Il est vrai qu’ habituellement, les deuxièmes tours des élections sénatoriales ne brillent pas par leur popularité : guère davantage que 20 % de participation, d’habitude… C’est pourquoi Zeman a déclaré à Radio Praha , en bref, que cette institution qui n’a pas la confiance des citoyens, qu’ils méprisent même, méritait d’être supprimée. Une fois de plus, en somme, on essaie de régler le problème par le vide : au lieu d’intéresser les électeurs potentiels en changeant la nature de l’exercice politique, on tente de supprimer le symptôme, de fracasser le thermomètre…

Andrej Babiš, né en 1954, est un produit typique de la privatisation consécutive à la chute du communisme dans les pays d’Europe centrale et orientale. Membre du Parti Communiste de Slovaquie de 1980 à 1989 (il est né à Bratislava, bien que d’origine tchèque), il se charge ensuite de l’approvisionnement de la Tchécoslovaquie, et en profite pour recueillir dans sa besace la compagnie agrochimique PERIMEX, puis d’autres entreprises privatisées pour quelques bouchées de pain . A cette fin, il utilise avec beaucoup de savoir-faire les subventions qui pleuvent alors du ciel étoilé de l’Union Européenne. A partir des années 1990, il dirige l’entreprise AGROFERT, et ramasse un tas d’or de 3,5 milliards de dollars. Ce pactole, il l’investit dans les médias : journaux, station de radio et sites internet.

Et il fonde son parti politique, l’ANO. Ce parti est censé lutter contre l’encroûtement et la corruption de la classe politique. En 2014, grâce à une coalition avec le ČSSD (le parti social-démocrate) et les chrétiens-démocrates, il devient ministre des Finances. Mais voilà, tel est pourri qui croyait prendre. Accusé de malversations, de conflits d’intérêts et de fraude fiscale, on l’éjecte du gouvernement en mai 2017.

Mais coucou, le revoilou : Babiš, chassé par la porte, revient par la fenêtre. En octobre de la même année, son parti remporte les législatives. Après bien des péripéties où Babis-Guignol se fait rosser par les députés-gendarmes, Miloš Zeman, l’ami fidèle, le charge derechef de former un gouvernement. Le 27 juin 2018, l’ex-communiste devenu populiste redevient Premier ministre. Aux dernières nouvelles, il est encore là.

Au fait, où est passée la gauche ? Tout comme dans les pays voisins, elle n’est plus guère visible autrement qu’à l’aide d’un microscope électronique.

Les dernières élections ont vu un succès insolite du Parti des Pirates (17 % à Prague !), en même temps qu’une remontée assez spectaculaire du parti ODS (Parti démocratique civique), qu’on peut qualifier de libéral de droite et que dirige Petr Fiala. Aux sénatoriales de ce mois ci, l’ODS a remporté 9 sièges sur les 27 renouvelables. Fiala se pose ainsi comme un défenseur de la démocratie contre les compères Babiš et Zeman. La démocratie ? Peut-être ; mais quelle démocratie ? Slogan de l’ODS à Prague : « L’Ordre contre l’Anarchie ». Sa campagne : des clips qui visent au balayage des marginaux hors de la capitale. A Brno, l’ODS s’en prend au programme de réinsertion des familles pauvres, en préférant mettre l’accent sur « le mérite ». Le « mérite » selon des critères choisis par l’éventuelle future municipalité, bien sûr. Le Parti des Pirates, par son flou et ses confusion idéologique, n’est pas fait non plus pour rassurer.

En tout cas, la gauche social-démocrate du ČSSD et les communistes ont disparu de la municipalité de Prague. A Brno, ils ont dépassé avec peine les 5 % nécessaires. Il n’y a plus qu’un seul sénateur ČSSD, et plus aucun sénateur communiste…

Pourquoi ? C’est que les électeurs ne voient pas quelle utilité peuvent bien présenter des partis « de gauche » qui s’allient à Andrej Babiš, comme ils l’ont fait en octobre 2013… Ils se reportent donc soit sur l’ANO, soit sur la droite plus libérale de l’ODS. Le tableau ressemble beaucoup, en somme, à la situation qui est celle de la Pologne voisine. Visegrád oblige…

Et ici comme partout ailleurs en Europe, la gauche a perdu sa substance. Une substance faite de défense des droits sociaux, des classes populaires contre le libéralisme cynique (ou non) et contre un populisme particulièrement abrasif et nocif pour le tissu social, la cohésion… et l’équilibre budgétaire, seul à même d’assurer à la population des conditions de vie décentes.

 

 

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