Energie : Beaucoup de fumée… Peu de feu…

L’Allemagne dans la transition énergétique – 2015 : une année décisive ?

Pour que l'Allemagne puisse progresser dans la transition énergétique, il faut qu'elle prévoit de nouveaux tracés pour transporter l'énergie vers le Sud. Foto: Pantona / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0

(Par Alain Howiller) – Il y a un peu plus d’un an, les «chevaliers blancs» de Bavière et du Bade-Wurtemberg s’étaient alliés au nom de la cohérence de la mise en place de la «transition énergétique» : Horst Seehofer et Winfried Kretschmann, rarement proches pourtant (!), dépassant les clivages politiques, réclamaient de Sigmar Gabriel, le Vice-Chancelier et Ministre de l’Economie, en charge de la transition énergétique, une politique définie dans le cadre d’une sorte de conseil «interministériel» réunissant les ministres responsables du «Bund» et des «Länder». Le tout pour élaborer une politique qui fasse consensus national, qui préserve les intérêts des consommateurs, des entreprises et des «länder» eux-mêmes, en maintenant une politique raisonnable de coûts…

Un an plus tard, Sigmar Gabriel annonce que le gros du «plan de transition» (lignes électriques transportant l’énergie, politique vis à vis des différentes normes de centrales produisant du courant) devrait être présenté en Juin, à la veille des vacances, l’année 2015 permettant de finaliser le plan ! Et… toujours un an plus tard, Horst Seehofer et Winfried Kretschmann se déchirent publiquement : le premier essaye, soucieux de développer des centrales locales (bio-gaz -il y en 2.300 en Bavière-, charbon, centrales électriques au gaz) voire de prolonger la vie des centrales nucléaires, de freiner la construction d’éoliennes et surtout de bloquer la construction de lignes électriques qui amèneraient depuis les éoliennes maritimes de la mer bu Nord vers le sud du pays qui en a besoin !

Kretschmann ou le courage en politique ? – Winfried Kretschmann, conscient du fait qu’en 2023 son Land (comme la Bavière) devra «importer» 30% de son électricité et que le Bade Wurtemberg dépend encore à 37,7% (47% en Bavière !) d’une énergie d’origine nucléaire, considère que les positions du Ministre-Président bavarois sont «irresponsables». «Bien sûr, il y a des oppositions à la construction de lignes, mais prendre en compte l’opinion ne doit pas signifier qu’il faut s’incliner devant toutes les oppositions», souligne Kretschmann qui poursuit : «La non-desserte en lignes électriques risque de créer des marchés fractionnés avec des différences de prix, une absence de concurrence qui ne peut pas correspondre aux intérêts de nos régions du Sud !»(1)

Constatant que le ministre-président bavarois avait réussi à décaler, une fois de plus, la décision sur la construction de lignes électriques (qui devrait commencer en… 2016 !), Sigmar Gabriel relève de son côté : «Nous ne pouvons pas attendre pour prendre une décision en la matière, que CDU et CSU règlent leur conflit interne… Ils ne sont pas de bonne foi, ceux qui pensent qu’on peut à la fois avoir des prix bas à la consommation, sortir du nucléaire et renoncer, en même temps, à la construction de lignes transportant le courant…»

Quand les producteurs d’électricité attaquent l’Etat ! – La mise en place de la transition énergétique et notamment la sortie du nucléaire d’ici à 2022 ne vont pas sans difficultés, on le voit : elle explique pour une part, la prudence avec laquelle le… gouvernement français aborde le problème, de ce côté-ci du Rhin. Selon certains calculs, les dépenses à engager seraient de l’ordre de 400 milliards d’Euros, dont -constat de la fin 2013- 70 auraient déjà été dépensés ! Mais comment évaluer le coût réel, alors qu’on n’a pas, le plus souvent, une idée claire sur les décisions qu’on va prendre y compris sur les modes de financement ! Il y a d’abord, pour ce qui est de la sortie du nucléaire, le problème des délais d’arrêt (ou de mise en sommeil) des centrales, du coût des mesures (que fera-t-on du combustible, qui et comment financera-t-on le traitement des déchets) : le producteur-distributeur E.on vient d’engager une procédure judiciaire pour que la juridiction détermine qui prendra en charge le financement (et le surcoût éventuel) du traitement des déchets, lié à la fermeture du site de Gorleben décidée par le Land de Basse-Saxe !

Petit problème, en réalité, lorsqu’on prend en compte les procédures engagées par les producteurs-distributeurs d’énergie frappés par les décisions d’arrêt des centrales nucléaires ! C’est ainsi que E.on, RWE et EnBW(2) ont engagé devant la justice, des procédures réclamant dans un premier temps 16 milliards de dédommagement pour… «l’intervention abusive (des autorités) dans le droit de propriété des entreprises !» Le groupe d’origine suédoise Vattenfall poursuit l’état allemand devant une juridiction arbitrale à Washington : il réclame 3,5 milliards d’Euros ! Et il n’est pas encore question de dédommagement pour le traitement des déchets suite aux fermetures, ni du paiement des salariés qui devront suivre le démantèlement des centrales, ni de la compensation des pertes d’exploitation.

Le consommateur allemand paye déjà un prix élevé ! – Le débat sur le prix du courant est loin d’être clos alors que le consommateur allemand a déjà du faire face à des augmentations importantes de prix ces derniers mois, alors que les subventions pour les énergies renouvelables se sont tassées. Le prix du courant est le deuxième (derrière le Danemark) le plus élevé des pays de le l’Union Européenne. Les chefs d’entreprise se plaignent des perspectives d’augmentation des prix et de diminution des subventions et de la révision des exonérations de taxes concédées aux gros consommateurs à ceux qui produisent leur propre énergie et se lancent dans les énergies renouvelables.

Cela étant, il est juste de relever que la part des énergies renouvelables a passé de 17% en 2000 à 26% en 2014, elle a même atteint un tiers de la production en Bavière ! Elle devrait même représenter entre 40 et 45% dans l’Allemagne de 2025 ! Cela suppose qu’on règle les problèmes en suspens (prix, construction et tracé des lignes électriques -les fameuses «Mega-Stromstrassen» ou «Stromtrassen», définition d’une politique stable vis à vis du développement des énergies renouvelables). Il y aura encore beaucoup de débats pour encore relativement peu de progrès : beaucoup de fumée et encore peu de feux ! 2015 devrait être déterminant pour l’avenir de la transition énergétique.

Rendez-vous en Juin. – L’année devrait permettre, tout particulièrement, de définir l’avenir des 130 centrales au charbon qui ont dû compenser la baisse de la production d’énergie d’origine nucléaire et au prix d’une augmentation des… émissions de gaz carbonique! La part des centrales au charbon (lignite comprise) représente 45% de la production d’énergie électrique et, alors que les écologistes s’attaquent aux émissions de CO2 dues aux centrales à charbon, Sigmar Gabriel estime que : «l’Allemagne ne peut pas à la fois sortir du nucléaire et sortir du charbon !»

S’il n’est pas question, en l’état, de renoncer à ces centrales (certains songent même à les développer), les propriétaires de ce type d’installations (il y en a 500 dans le pays !) se sont, toutefois, engagés à diminuer de 5 à 8% d’ici à 2020, leurs émissions de CO2 !

Au mois de Juin – si tout va bien : car ce délai avait initialement été fixé à fin 2014 avant d’être repoussé- nous devrions en savoir plus sur l’essentiel des modalités d’une transition énergétique qui tarde, alors que le contrat de coalition SPD-CDU-CSU (la bible du gouvernement) en avait fixé les objectifs. 2015 devrait être l’année décisive… à deux ans des nouvelles élections générales !

(1) – Actuellement on connaît en gros, le tracé de la «SuedLink / Stromstrasse» qui, en 800 kilomètres, relierait le Nord de l’Allemagne à la Bavière, en traversant le Schleswig-Holstein, la Basse Saxe, la Rhénanie du Nord – Westphalie (NRW) et la Hesse. Un deuxième projet relierait en 450 kilomètres la Saxe-Anhalt à la Bavière. Un troisième projet de 500 kilomètres de long pourrait relier NRW, la Rhénanie-Palatinat au Bade-Wurtemberg. Pour des raisons de coûts, il n’est pas envisagé (ce qui lèverait bien des oppositions) d’enterrer ces lignes.

(2) E.on AG : le siège de la société se trouve à Düsseldorf ; RWE (pour «Rheinisch-Westfälisches Elektrizitätswerk») a son siège à Essen ; EnBW (pour «Energie Baden Wurttemberg AG») a son siège à Karlsruhe et Vattenfall (pour «Kungliga Vattenfallstyren») a son siège à Stockholm.

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