Gratuité – transports en commun, ce qu’on ne vous dit pas

Le sujet de la gratuité des transports en commun a fait son entrée dans le débat en amont des élections municipales. William Krantzer demande un débat vrai...

Les transports en commun - oui, bien sûr ! Gratuitement ?... Foto: Echtner / Wikimedia Commons / GNU 1.2

(Par William Krantzer) – Concernant la gratuité des transports en commun en milieu urbain, tout tourne autour de l’éternel débat de la place de la voiture en ville. Dans des cités qui pour la plupart ont été construites avant son apparition, les revendications pour plus de tram, plus de transports en commun, plus de gratuité, prennent de l’ampleur et pointent ces incorrigibles qui voudraient pousser les murs pour «que tout change sans que rien ne change». Au nom, osent-ils dire, de la nécessité à faire disparaître les embouteillages récurrents et tous les stationnements qui empoisonnent la vie en ville. Précisément ce qu’ils contribuent à entretenir en ne se départissant pas d’une vision éculée de la voiture en ville !

Au détour de ces empoignades s’invite désormais la question subsidiaire de la gratuité des transports en commun en milieu urbain. Une question qui demeure pour beaucoup floue, pour ne pas dire hermétique. Et pourtant, chacun le devine, tout dans cette question part du lieu où on vit. Et ce n’est pas soulever un lièvre que de dire que le fait d’habiter en cœur de ville, en banlieue ou en périphérie pèse à chaque fois différemment dans ce que chacun en conclut, selon qu’il utilise ses deux pieds, sa voiture, les transports en commun ou sa bicyclette.

Faut-il ajouter que ces choix au quotidien sont aussi tributaires des moyens dont chacun dispose ? Moyens financiers, handicap ou non, existence ou non de lignes de bus/tramway à proximité, possibilité de travailler en dehors des heures de pointe du trafic, etc, etc. Des préférences qui vont également de pair avec cette conscience plus ou moins présente, plus ou moins partagée des enjeux, vus sous l’angle des réponses à apporter à la crise climatique et aux inégalités croissantes. Des enjeux aux conséquences multiples, pas toujours faciles à décrypter et qui secouent durement  notre libre arbitre, partagés que nous sommes entre nos convictions et nos agissements … qui sont aussi le reflet de nos grandes et petites faiblesses.

Un peu d’histoire – Depuis le 30 décembre 1982, la loi confère aux communes et à leurs groupements le rôle d’autorité organisatrice de transport urbain (AOTU), à charge pour elles de définir la consistance des services et les tarifs applicables, ainsi que de déterminer le mode d’exploitation.

Pour ce qui concerne le financement des transports en milieu urbain, celui ci est assuré par :

* les aides des collectivités aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) ;
* le versement transport (VT) des employeurs publics et privés de plus de 11 salariés ;
* les recettes venant des usagers. Celles-ci financent environ 20% des coûts d’exploitation ( 12% du coût du transport urbain dans les réseaux de province dépourvus de métro ou de tramway, 20% dans ceux équipés de métro ou de tramway et 38% en Ile-de-France).
* la part des employeurs, laquelle a tendance à augmenter avec l’extension de la prime transport (remboursement de 50 % du prix de l’abonnement domicile-travail) et les augmentations du taux du versement transport.

Des financements … qui sont aussi des coûts – Que ceux ci s’adressent aux transports en commun ou à la voiture, il est toujours plus facile de s’épancher sur les seuls coûts directs comme se plaisent à le faire les contempteurs de la gratuité, que de comparer à chaque fois ce qu’il en est des coûts induits dans la réalisation ou l’exploitation d’équipements publics. Partant de là, dans le match opposant gratuité et service payant, on s’aperçoit tous les jours que la réalité est à chercher bien plus dans les non-dits que dans les discours officiels.

Rétrospective – Tout commence en 1975 dans la ville de Compiègne, quand elle inaugure la gratuité de ses transports en commun, une gratuité qui (il faut le noter) tient encore de nos jours. En 2009 Aubagne est la première agglomération de plus de 100.000 habitants à appliquer cette gratuité ; elle est suivie par Niort en 2017. En 2018, avec Dunkerque, le phénomène atteint les agglomérations de plus de 200 000 habitants. Avec, pour cette ville, le prologue d’une refonte totale du réseau, rendu plus dense, avec également un meilleur maillage et des bus plus rapides et plus fréquents. Un préalable souvent absent dans la trentaine de villes qui ont tenté l’aventure et qui fausse d’autant les comparaisons.

Les métropoles ou le paradoxe de l’âne de Buridan – On pourrait croire, au vu  du nombre croissant des villes ayant adopté la gratuité, que cette dynamique s’étendrait aux grandes villes, aux grandes métropoles. Dans la réalité, il n’en est rien. Le bilan issu de cette trentaine de villes qui a fait le pari de la gratuité, ne semble à ce jour pas pertinent pour bien des décideurs quand il s’agit de l’appliquer dans leur ville, ne serait ce que pour en expérimenter les effets.

Au vu des constats faits dans les villes qui pratiquent la gratuité, des transports en commun, le report modal (1) des déplacements actifs (marche, vélo) celui des autosolistes vers les bus et tramways apparaît faible. Rapportée à ses coûts directs, la gratuité est pointée comme une incongruité, et pour ainsi dire in-fi-nan-ça-ble. Surtout lorsqu’on cite ces mêmes coûts directs, comme à Strasbourg ou Grenoble où la gratuité coûterait plus de 50 M€ par an, à Lille où elle serait de l’ordre de100 M€ et à Paris pour plus de 3 milliards ! Des chiffres conséquents derrière lesquels nombreux sont ceux qui s’y abritent pour ne rien tenter.

Pourtant – tout change dès lors que le report modal met en valeur les coûts induits de la circulation. Dans les débats qui traversent la société civile, rares sont en effet les discours mettant le doigt sur ce que coûtent réellement les accidents liés à la circulation, les stationnements gênants, les pollutions générées par des millions de moteurs allumés à l’arrêt, le manque à gagner lié au temps perdu dans les embouteillages, etc. Objets de non-dits permanents, ces coûts induits ont toujours été la patate chaude que beaucoup d’élu(e)s  se refilent, sachant pertinemment que l’horizon d’un mandat électoral ne peut en aucun cas résoudre la question, sachant surtout que leur électorat est aussi celui de ces automobilistes nombreux qui ne voient dans la situation actuelle que ce qui les concerne au jour le jour.

Dans l’idéal et au nom de la réalité des coûts, la tarification de chaque mode de transport devrait pouvoir internaliser les externalités qu’il produit (pathologies liées aux pollutions, conséquences de l’artificialisation des sols, entretien du domaine public lié aux déplacements/stationnements, etc). A commencer par la tarification de l’automobile qui est très inférieure à ce qui est recommandé par la théorie économique dominante, mais qui exprimée selon ses véritables coûts (directs et induits), mettrait à mal bien des discours de l’automobile symbole, de l’automobile possession… A commencer par cette doxa officielle quand elle défend des intérêts privés et les bénéfices qui vont avec.

Pendant ce temps, les grandes villes, les métropoles suffoquent, elles dépensent des sommes considérables pour des solutions qui sont autant de non sens. Dans le méli mélo des circulations, les batailles pour plus ou moins de transports en commun, pour leur gratuité d’usage, ne sont que la partie émergée d’un problème de fond qui est celui de la place à donner à l’automobile en ville. A défaut de se prononcer clairement sur le sujet, beaucoup des décideurs restent dans le flou, dans une indécision comparable à celle de « l’âne de Buridan », ce paradoxe aristotélicien où l’on voit un âne mourir de faim, faute de pouvoir décider s’il va boire ou s’il va manger en premier. Une décision d’autant plus coupable que ce sont les villes qui en font les frais, et au-delà, les réponses urgentes à donner aux solidarités nouvelles et à la crise climatique dont plus personne ne doute.

Les nécessités d’un discours vrai – A ce jour, les transports sont responsables dans l’hexagone de 29 % des émissions de gaz à effet de serre ( devant l’agriculture -17 %- et l’industrie manufacturière -11 %- ). Dans ce contexte, les voitures des particuliers (54 %) et les poids lourds (21 %), sont ceux qui émettent la grande majorité du CO2 dans l’atmosphère. Les transports sont aussi responsables de 48 000 décès chaque année dus à la pollution aux particules fines, émises principalement par les moteurs thermiques. Des constats à multiplier à l’envi, et qui mis bout à bout devraient en alerter plus d’un.

Pour agir vite et bien, chaque mode de transport devrait être tarifé de sorte que son coût marginal privé (celui supporté par l’utilisateur d’un moyen de transport)  corresponde à son coût marginal social (celui global supporté par la société). Ce faisant et concrètement, dans l’optique d’une politique solidaire et écologique bien comprise, il s’agit sans tarder de promouvoir les effets externes positifs à travers des subventions et réduire d’autant les effets négatifs par le biais des taxes… En commençant par les utilisations abusives de la voiture.

Aujourd’hui, la tarification de l’automobile est très inférieure à ce qu’elle devrait être. Les coûts globaux qu’elle engendre  dans ses utilisations sont faramineux ; ils sont supportés par l’ensemble des Français, là où ils ne devraient l’être que par les seuls propriétaires de voiture(s) !

Taxer plus lourdement la voiture, privilégier son usage plus que sa possession sont donc des options politiques à mettre à l’œuvre de toute urgence. – Et que l’on nous dise pas que ces options vont à l’encontre des lois des marchés. Dans la trilogie emplois/logements/déplacements, puisque c’est aussi de cela qu’il s’agit, aucune de ces trois entités n’émarge au « laisser faire ». Toutes les trois relèvent d’aides spécifiques dans leur secteur, en totale contradiction avec la doxa officielle quand elle affirme que le marché des transports doit relever d’une « concurrence libre et non faussée ».

Il est vrai que quand la gratuité des transports en commun s’invite comme question de société, c’est un peu comme faire entrer un chien dans un jeu de quilles. Forcément, il y a ceux qui hurlent aux loups, forcément il y a des perdants (qui ne sont pas toujours ceux qui se désignent comme tels ). Mais au regard des inégalités croissantes, des effets du changement climatique, chacun doit pouvoir y gagner, ne serait ce que pour sa contribution, à la survie de l’espèce humaine et pour son apport à une croissance soutenable et durable dans des villes apaisées.

Qu’on se le dise, avec la vaste mise en scène qu’on nous propose sur les transports/déplacements, sur leur gratuité, c’est bien à un  jeu de dupes qu’on nous convie, et cela d’autant plus que l’intrigue se déroule dans un temps d’élections, avec des discours qui pour certains, relèvent de la mauvaise foi  et  pour d’autres, d’une totale méconnaissance du sujet.

1. http://www.greenmodal.eu/fr/content/qu%E2%80%99est-ce-que-le-report-modal

1 Kommentar zu Gratuité – transports en commun, ce qu’on ne vous dit pas

  1. Plutôt d’accord avec votre dernier paragraphe.

    Par ailleurs on constate que pour un report modal l’important est l’offre de transport, son attractivité , son amplitude, sa facilité d’accès et non le prix.

    Ma chère maman a “la chance” de bénéficier de transports gratuits à Weinbourg et à La Petite Pierre où elle réside maintenant.
    Elle ne dépense pas un cent.
    Le transport gratuit a été résolu dans cet espace rural : il y a zéro offre !

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