Hongrie : Les Archives Georg Lukacs plus que menacées

L’avènement du révisionnisme historique populiste à Budapest ?

Georg LUKACS dans ses dernières années Foto: Fortepan / Kadas Tibor / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 3.0int

(MC) – Un communiqué de la Fondation des Archives Georg Lukács, signé par sa présidente Agnes Erdelyi le 18 juin, nous apprend que ce qui menaçait d’arriver depuis au moins un an est en train de se passer. Les Archives Lukács sont fermées de fait. La Bibliothèque de l’Académie des Sciences hongroises, responsable de ces Archives, a fermé le bâtiment le 24 mai dernier pour une durée indéterminée : l’explication officielle en est la prévision de travaux de rénovation, durant toute la durée de ces travaux.

Quelle durée ? Personne ne le sait ni ne le dit. La dernière employée des Archives a été licenciée sans préavis, après avoir déménagé les pièces manuscrites du grand philosophe et théoricien littéraire. La bibliothèque de l’Académie n’a donné aucune information claire sur la date de la réouverture, ni même sur celle des débuts présumés des travaux de rénovation. Y aura-t-il seulement rénovation ? C’est moins que probable ; la Fondation soupçonne fort que le gouvernement de Viktor Orban veut la supprimer.

Cependant, les Archives GL existent encore juridiquement. Durant les tractations qui ont eu lieu au début de ce mois de juin, le président de l’Académie hongroise a démenti avec force avoir l’intention de saborder la Fondation. L’ILAS espère donc que l’ Académie est consciente des dommages causés à la science et à sa propre réputation si elle n’éclaircit pas la situation.

Et voici qu’il y a quelques jours, une proposition de loi qui menace l’indépendance des bases institutionnelles de l’Académie a été rendue publique : le gouvernement veut étatiser les organismes de recherche, relativement autonomes jusqu’à présent. La Fondation Lukács estime donc que, de même que le présidium de l’Académie hongroise des Sciences doit s’engager pour défendre la liberté de la recherche, l’ILAS doit, elle, défendre l’existence des Archives en tant qu’ organisme de recherche, irremplaçable, et dont la valeur est reconnue dans toute l’Europe.

Pour cela, les Archives ont besoin du soutien des scientifiques hongrois et extérieurs. Une pétition circule sur internet.

Certes, la relation des Hongrois avec la figure de Lukács n’est pas simple. Georg Lukács, communiste, intellectuel et juif, se situe au carrefour principal des ressentiments, des nostalgies et des haines les plus tenaces qui travaillent en profondeur et en surface la Hongrie d’aujourd’hui. Lukács, né en 1885, est l’un des plus grands intellectuels ayant existé dans le pays ; un auteur prolifique et fécond, un grand philosophe au moins dans les premiers temps de sa carrière, quand il essayait de fusionner l’idéalisme allemand et le marxisme – les années suivantes étant très, trop, marquées par un communisme qui figeait la Hongrie sous la banquise stalinienne. Ce qui ne l’a pas tout à fait empêché de publier de nombreux textes marquants de critique et d’histoire littéraires. Il est l’un des piliers du marxisme intellectuel, un grand introducteur de la sociologie en littérature, mais aussi un homme à l’existence contrastée et pour le moins agitée jusqu’aux années 1930.

Pour comprendre ce qu’a représenté Lukács encore tout récemment en Hongrie, rappelons qu’il a été un dirigeant important de la République des conseils de Béla Kun, en 1919. Il y exerçait le rôle de «Commissaire à l’Instruction». A ce titre, il a été l’un des artisans principaux, sur le plan idéologique et militaire/policier, de ce qu’on a appelé la Terreur rouge : en 1919, durant 133 jours exactement, dans cette République inspirée des Soviets russes, ont été exécutés quelques centaines de personnes (500 peut-être) ; bourgeois aisés des villes, paysans opposés à la collectivisation des terres, « contre-révolutionnaires » divers et… juifs, très nombreux à périr dans les derniers jours des conseils – de même que dans les années suivantes, lors de la réaction “blanche” ! Tibor Szamuely, de très sinistre réputation, et ceux qu’on appelait les Compagnons (ou les « Gars ») de Lénine ont sévi dans tout le pays. Mais dès le mois d’août 1919, la réaction que menait Miklós Horthy a frappé à son tour, et la Terreur blanche a pris le pas sur la Terreur rouge, faisant elle environ 1500 victimes. Et Lukács a pu fuir son pays – une fuite préparée soigneusement depuis des mois – pour rejoindre l’Autriche, puis Moscou après un passage à Berlin.

L’empreinte de tels événements et la place qu’occupait Georg Lukács dans la Hongrie soviétisée d’après 1945, y compris après le Soulèvement de 1956, se mêle dans la mémoire diffuse et affective des citoyens hongrois à son importance intellectuelle, à son caractère d article prestigieux d’exportation. Quoi qu’il en soit, il est une part essentielle et nodale de la culture européenne ; et rien ne servirait de l’occulter, voire de tenter de l’effacer ; d’ailleurs, les différents populismes ou fascismes divers n’ont jamais réussi ce genre d’opérations.

La Fondation des Archives Georg Lukács (ILAS) a bien évidemment une place très importante à occuper. Elle insiste à juste titre sur l’importance scientifique de des Archives. N’importe quel chercheur qui le désire doit absolument pouvoir y travailler, et cela avec une totale liberté, sur l’oeuvre, la vie et les relations de ce grand Hongrois avec l’histoire tragique de son temps.

 

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste