« Ils ne nous auront pas ! »

Le point sur les conséquences de l’attentat de Strasbourg

" Ils ne nous auront pas ! " Le Tentateur, celui qui divise, Cathédrale de Strasbourg Foto: Txllxt TxllxT/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/ 4.0Int

(Marc Chaudeur) – La plus insignifiante en apparence des violences commises entraîne des conséquences souvent irréparables, et en tout cas littéralement incalculables. Le malheur est qu’il est impossible, ou presque, d’en convaincre les auteurs présents ou à venir… Quoi qu’il en soit, un an plus tard, psychologues, juristes et enquêteurs ont fait le point sur l’attentat du 11 décembre 2018. Notamment au Club de la Presse de Strasbourg, hier matin.

Maître Friederich et Madame Sahraoui ont pour charge tous les deux des victimes ou familles de victimes de l’attentat. L’un pour le suivi juridique, l’autre, pour l’accompagnement psychologique. Les deux domaines se complètent, bien évidemment, avec surtout la problématique de l’indemnisation des victimes et même, plus fondamentalement, celle de l’identification symétrique de la notion même de victime dans les deux domaines.

Tous deux étaient présents immédiatement après l’attentat, et ils apportent donc de précieux témoignages sur toute l’évolution, le rétablissement physique et psychologique des victimes. Leur activité dans le domaine de l’aide aux victimes remonte d’ailleurs à bien avant l’attentat : ainsi, Me Friederich a accompagné la famille d’une jeune personne assassinée par un célèbre serial killer de la région strasbourgeoise ; Madame Sahraoui, elle-même femme d’expérience,agit au sein des 2 associations clés, l’EIA (Espace d’Information et d’Accompagnement) et le CAF (Centre d’Accueil des Familles) ; la première sera en place jusqu’au 31 décembre 2019.

Pour l’essentiel, on dira que la souffrance des victimes n’est pas révolue, certes non ; loin s’en faut. Par delà le caractère nécessairement flou de la quantification, alors que 1660 personnes ont été accueillies au lendemain de l’attentat par des psychologues, des juristes et des inspecteurs de la PJ, il en reste… 317 en souffrance. Un nombre considérable. Mais comment ces personnes ont-elles traversé cette année tragique ?

Parmi elles : les blessés physiques, les familles des personnes décédées, et les personnes exposées de près ou de plus loin, celles qui ont assisté aux meurtres. Et leur souffrance dépend, dans leur nature même, de plusieurs facteurs ; elle est aussi liée au caractère différé ou non de son expression : cette souffrance peut s’exprimer tôt et fréquemment, ou longtemps après l’attentat seulement, ou bien pas du tout – du moins, pour l’instant. Les victimes survivantes connaissent, soit des « symptômes d‘intrusion » (le rappel incessant des scènes traumatiques), soit des troubles du sommeil, des cauchemars récurrents, le sentiment de persécution ; soit encore des états dépressifs et leurs graves complications, des conduites addictives jusqu’aux tentatives de suicide…

La résilience ? Pour la plupart, elle n’est sans doute pas proche, hélas. Telle victime de coups de poignard, alors qu’elle se montrait physiquement diminuée mais psychologiquement très forte, subit en mouvement inverse un état de stress traumatique “à retardement”, et la stabilisation nécessaire au rétablissement est bien loin. Ce qui est fréquent, nous a t-on expliqué, dans le cas de personnalités dynamiques : par exemple, celles qui se sont opposées physiquement à l’agresseur, le 11 décembre.

Ces meurtres ont-ils soudé les familles de victimes ? Oui ou non selon les cas ; quelques-unes au contraire s’en sont trouvées déchirées. Moins gravement, les parents des femmes et hommes survivants gèrent parfois avec difficulté leurs changements de comportement et d’humeur (irritabilité,…). D’où une proposition utile de thérapie familiale.

Et Strasbourg ? La communauté est-elle sortie de sa convalescence ? Les experts en présence s’accordent sur les réactions « très alsaciennes » ici quant à cette attaque au cœur même. Ce dont on pourrait donner de nombreux témoignages, pour ceux qui en douteraient… La psychologue, Madame Sahraoui, a parlé de « grande dignité » ; de « pudeur ». Les Strasbourgeois n’ont pas réclamé à corps et à cris des indemnisations en tous sens ; beaucoup ont exprimé le souhait que l’ argent aille à ceux qui ont été touchés le plus directement. Il est vrai qu’en Alsace… « J’ai vécu des choses beaucoup plus graves », a estimé une vieille dame pourtant très concernée par l’attentat… Les maîtres-mots ne sont pas indemnisation – ou vengeance, mais compréhension, attention, solidarité. Très peu de haine ou de ressentiment en réaction aux failles du dispositif de sécurité, ni à l’égard de l’assassin – sinon par rapport au fanatisme islamique/islamiste. Et, sans doute par-dessus tout, le souci qu’on n’oublie pas les victimes et leurs proches.

Cet attentat, il y a un an ; et plus de 1500 vies marquées à jamais, sans compter les 5 morts. Les petites violences détruisent immensément, les grandes violences détruisent irréparablement : celui qui la subit et celui qui la commet. Il faut cesser et faire cesser cette  monstrueuse hyperbole de la violence animale qu’est jusqu’à aujourd’hui l’être humain.

Grande dignité des victimes, avons-nous dit : cela va de pair avec une ferme volonté. « Ils ne nous auront pas », ont dit beaucoup de Strasbourgeois dès la nuit tragique. Les fanatiques, quels qu’ils soient, ne changeront rien à notre manière de vivre, à notre goût de la liberté de pensée (« Die Gedanken sind frei ! »), aux fruits de la patiente construction séculaire de notre liberté intellectuelle et spirituelle, du respect et de la tolérance qui sont ses corollaires.

La cérémonie festive qui devait suivre au Zénith celle, très …officielle de la Cathédrale de Strasbourg demain le 11 décembre, vient d’être annulée pour des raisons techniques. Dommage : ces 2 commémorations eussent été complémentaires. L’une dans le recueillement, l’autre dans cette joie que demandaient certains parents de victimes, dont ceux de notre ami Bartek.

 

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